D’emblée, mer­ci à François-Marie Dey­rolle de lancer cette nou­velle aven­ture et de don­ner à lire une telle revue, belle autant par son fond que par sa forme ; ou plutôt de relancer, car Dey­rolle avait déjà don­né ce titre autre­fois à une belle revue. Belle, et plus que cela : une revue en appelant à l’érection du Beau. On dira que dans le domaine de l’art, de la poésie et de la lit­téra­ture, ce devrait être nor­mal. Sans doute. Est-ce tant que cela le cas par les temps qui courent ? Rien n’est moins cer­tain, même si l’auteur de ces lignes, habitué amoureux de cer­tains lieux, comme la Bien­nale de l’art con­tem­po­rain de Lyon par exem­ple, ne fait pas par­tie de ceux qui, bête­ment de mon point de vue, met­tent tout l’art con­tem­po­rain dans un même sac – comme si tout ce qui se tra­vaille aujourd’hui n’était que ceci ou cela. Non, il y a aus­si force beauté dans l’art con­tem­po­rain. Le prob­lème, car prob­lème il y a aus­si, vient sans doute d’ailleurs : du dis­cours porté sur ce même art, sou­vent ana­lyti­co-uni­ver­si­tairo-ratio­nal­iste ou on ne sait trop quoi, ni du reste com­ment qual­i­fi­er ce vide de la pen­sée – se pré­ten­dant out­rageuse­ment pen­sée juste­ment. Quand le dis­cours esthé­tique se par­le à lui-même, oubliant de par­ler aux gens (et en domaine d’art, ce n’est pas rien les gens) ou plus sim­ple­ment des artistes et œuvres eux-mêmes. Un dis­cours qui par­le de lui-même et de son locu­teur englué dans des con­cepts des­tinés à n’être com­pris que par une fric­as­sée de copains. Est-ce impor­tant ? Non. Il ne reste et ne restera rien de ce dis­cours insipi­de à peine pronon­cé ou écrit. Par con­tre, le temps trie les œuvres et cer­tains ate­liers s’imposent, s’installent. D’une cer­taine manière, l’existence même de la revue L’Atelier con­tem­po­rain cri­tique cette façon très française (la Pré­ten­tion érigée en art de vivre la con­som­ma­tion de soi-même par soi-même, et de se ven­dre comme un com­mer­cial ven­dant un produit/objet) d’aborder l’art con­tem­po­rain, et c’est pourquoi cette revue est une bouf­fée d’air frais qui tombe à pic. Ce souci de faire place au Beau n’est pas que celui de la revue d’ailleurs. Il y a le même souci dans la nais­sance de la mai­son d’édition qui sous le même nom accom­pa­gne ce pre­mier numéro de revue. Dey­rolle annonce déjà des titres d’ouvrages signés Emaz, Deg­roote, Bergounioux ou Claude Louis-Com­bet, écrivains qui du reste con­tribuent au numéro 1 de L’Atelier con­tem­po­rain et par­fois accom­pa­g­nent l’éditeur de longue date. Tout cela est fort, beau et pro­fond. On sent naître une véri­ta­ble aven­ture édi­to­ri­ale et cela fait chaud au cœur.

Une aven­ture revuis­tique et édi­to­ri­ale donc qui se présente en ordre de com­bat avec un dossier offen­sif inti­t­ulé « Pourquoi écrivez-vous sur l’art ? ». On lira ici des con­tri­bu­tions de Joël Bas­tard, Jean-Louis Baudry, Pierre Bergounioux, Lionel Bourg, Mar­cel Cohen, Ludovic Deg­roote, Claude Dour­guin, Jean Fré­mon, Chris­t­ian Garcin, Claude Louis-Com­bet, Eric Pes­san, James Sacré, Jean-Claude Schnei­der, Pierre-Alain Tâche, Frédéric Val­abrègue et Franck Venaille. Un beau som­maire, con­venons-en, pour un dossier tout à la fois riche et pro­fond, et c’est bien cela qui compte vrai­ment de notre point de vue ici, au sein de Recours au Poème, la pro­fondeur. On lira par exem­ple, par­mi les nom­breux textes de qual­ité, de ce superbe et pas­sion­nant dossier, Jean-Louis Baudry évo­quant « l’enfant aux ceris­es » et le fait que, pour lui, « La pein­ture avait donc bien la ver­tu de garder dans une éter­nelle et mirac­uleuse survie les per­son­nages qu’elle nous pro­po­sait » ; Mar­cel Cohen, por­tant féroce et juste cri­tique sur cer­tains aspects de l’art con­tem­po­rain : « En fin de compte, et quels que soient les moyens util­isés, le pré­cepte qu’énonçait Her­mann Broch dans les années trente à pro­pos de l’art tape-à‑l’œil et de l’art offi­ciel reste incon­tourn­able. Pour lui, l’art mod­erne avait résol­u­ment opté pour le pré­cepte « fais du bon tra­vail » quand l’art antérieur pre­scrivait fais du beau tra­vail. ». Ce rap­pel me remet d’ailleurs en mémoire l’important numéro de la revue Con­tre­lit­téra­ture paru il y a quelques années et aus­si con­sacré à l’art, un numéro dont on ne peut que con­seiller la lec­ture ; les très intéres­santes notes, aus­si, de Ludovic Deg­roote (« Je ne peux pas écrire l’art ni même sur l’art – je peux écrire sur le tra­vail d’un pein­tre, d’un artiste, ou plutôt à par­tir de son tra­vail, car au fond je ne peux pas me débar­rass­er de moi lorsque j’écris : mais il n’y a pas d’intention égo­cen­trique : ce n’est pas que je désire aller à moi en pas­sant par lui, mais par quels autres yeux que les miens pour­rais-je regarder son tra­vail ? ») ; ou encore le texte de Claude Louis-Com­bet (Cette écri­t­ure-là serait-elle aus­si sans pourquoi ?). Lisant cet ensem­ble, on est frap­pé par une cer­taine cohérence : L’Atelier con­tem­po­rain tra­vaille à porter un regard sur des œuvres et des artistes qui élèvent l’âme tout en étant lui-même un lieu éle­vant l’âme. Et cela ne va pas sans l’expression d’un néces­saire esprit cri­tique, ain­si Pierre-Alain Tâche, citant Pon­tal­is, avant d’écrire : « Et, de fait, l’analyse n’intervient jamais dans le temps de la rencontre ».

Nous serons entière­ment en accord avec ceci. Le face à face avec l’œuvre d’art (visuelle, choré­graphique et/ou poé­tique, de mon point de vue ce sont ter­res proches) est lieu de ren­con­tre, ou pas. Tout ce joue ain­si, de la même façon qu’entre humains. Le reste est bavardage sans fond.

C’est pourquoi L’Atelier con­tem­po­rain en sa deux­ième par­tie devient juste­ment lieu de ren­con­tre. La revue nous offre de ren­con­tr­er qua­tre artistes, de méditer sur de splen­dides repro­duc­tions de leurs œuvres, de les lire aus­si (car­nets surtout, poèmes par­fois) et de lire des textes d’écrivains venus à leur ren­con­tre. On partagera donc un moment avec des artistes comme Monique Tel­lo, Alexan­dre Hol­lan, Ann Lou­bert et François Dilasser.

La revue L’Atelier con­tem­po­rain et François-Marie Dey­rolle réus­sis­sent immé­di­ate­ment leur pre­mier pari, en atten­dant la paru­tion des pre­miers vol­umes de la mai­son d’édition du même nom (voir plus bas) : être ce lieu, à côté et à dis­tance de l’analyse bavarde, qui per­met la ren­con­tre avec des œuvres. Dans le paysage actuel, ce n’est pas rien et c’est loin d’être anodin.

Une réus­site.   

 

Revue L’Atelier con­tem­po­rain, n° 1 (datée « été 2013 » mais en librairies le 3 octobre).
Chaque numéro : 20 euros.
Abon­nement, deux numéros : 40 euros.
4 bd de Nan­cy. 67 000 Strasbourg.
Mail de l’éditeur : francois-marie.deyrolle@orange.fr

Les livres à venir à L’Ate­lier contemporain :

Poèmes de Jacques Moulin illus­trés par Ann Lou­bert, A vol d’oiseaux
Réc­it de Claude Louis-Com­bet , Suzanne et les croû­tons, paru­tion en novem­bre 2013
Début 2014 : un réc­it en vers de Bruno Krebs (“L’Ile blanche”), et deux livres de dia­logues entre écrivain et plas­ti­cien — l’un unis­sant Yves Bon­nefoy et Gérard Titus-Carmel (“Sur ce rivage de sable et d’herbe”), l’autre Jean Dubuf­fet et Valère Nova­ri­na (“Per­son­ne n’est à l’in­térieur de rien”).

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