Caché au cœur de la forêt je con­nais un endroit où se dresse
  Un hêtre, tel qu’en pein­ture on n’en peut voir de plus beau.
Lisse et clair, d’un seul trait pur il s’élève, solitaire,
  Et nul de ses voisins ne touche à sa parure soyeuse.
Tout autour, si loin que cet arbre imposant étende sa ramure,
  La pelouse verdit, afin de rafraîchir l’œil en silence.
De tous côtés égale­ment elle ceint le tronc qui en forme le centre :
  La Nature elle-même, sans art, a tracé ce cer­cle adorable.
Des tail­lis déli­cats font une pre­mière enceinte, puis ce sont les hauts fûts
  D’une foule d’arbres ser­rés qui tien­nent éloigné le bleu du ciel.
Près de la som­bre épais­seur du chêne, le bouleau berce
  Sa tête vir­ginale timide­ment dans la lumière dorée.
Là seule­ment où, jonché de roches, le raidil­lon dévale vers l’abîme,
  La clair­ière me laisse devin­er l’étendue des champs.
Quand, dernière­ment, soli­taire, séduit par les visions nou­velles de l’été
  Je quit­tai le chemin et vins me per­dre là dans les taillis,
Ce fut un esprit ami­cal à l’oreille tou­jours aux aguets, la divinité de ce bois,
  Qui soudain m’introduisit ici pour la pre­mière fois, moi l’étonné.
Quelles délices ! C’était aux envi­rons de l’heure haute de Midi :
  Tout se tai­sait. Même l’oiseau dans le feuil­lage restait silencieux.
Et j’hésitais encore à pos­er le pied sur ce tapis plein de grâce ;
  Avec solen­nité il accueil­lit mon pas, moi qui ne le foulai que sans bruit.
Puis, une fois adossé au tronc (qui ne porte pas trop haut
  Sa large voûte), je lais­sai mes regards vaguer à la ronde,
Là où les rayons enflam­més du soleil traçaient une frange aveuglante,
  Presque par­faite­ment régulière, tout autour du cer­cle ombragé.
Et je restai là, sans bronch­er ; au plus intime de moi-même tout mon être
  Épi­ait le démon du silence, toute cette insond­able paix.
Enfer­mé avec toi dans le prodi­ge de cette cein­ture solaire,
  Je ne sen­tais que toi, ô Soli­tude, à toi seule allaient mes pensées.

(1842)
 

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