I
De lui, la sil­hou­ette qu’on craignait
comme celle d’un fauve.
Les mêmes mots mâchés dans une bouche
édentée.
Les mêmes mots le long des mêmes fos­sés qui
sor­tent du matin et se recro­quevil­lent le soir.
Le même recom­mence­ment pour le même étonnement
inqui­et des enfants

 

 

II
Il por­tait la vieil­lesse à même les mains et sur
son dos des gue­nilles. La toile épaisse et qui fut
bleue comme la fron­tière des mon­tagnes. La casquette
pour écras­er son crâne dans les épaules.
Et qui fut bleue encore pour tiss­er les abysses
sans fond de la perte; une langue glaireuse de
l’amer­tume des guer­res — surtout des survivants -

 

 

III
Et tu fis poème pour­tant frère Apol­li­naire des
peurs per­ma­nentes, des beautés sol­idaires et des amours
lointaines
qu’on écrit sur le cœur.
La guerre était jolie comme la lèvre rouge qui te
fendit le front d’un sourire alti­er pour t’ac­com­pa­g­n­er d’un
rêve.
Ô mamelles sur-réelles où vous buviez le néant
à pleines gorgées et caressiez des nuques dému­nies de
tout espoir sous les nuits réfrac­taires aux draps des
sueurs et suaires liquéfiés.

 

 

IV
Par­fois on se réveille incer­tain. Le regard collé
sur l’hori­zon absent. Le regard col­lé. Sans regard parfois.
Sans regard pour
voir défini­tive­ment ce qui fut. Jamais plus ce qui sera.
Sur­vivre à hier. S’ac­cuser de maintenant.
Comme s’il y avait une autre vie dans la vie.
On a des trous dans la langue. On voudrait
dire les trous. On n’a plus de langue.

Sur la lèvre le poème du vide dans la vie.
        Le poème du vide
        Le vide
 

 

éd. La Passe du Vent (2014)

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