I

Vite, il ramasse  ses organes un à un, le ciel lui monte à la gorge. Les sou­venirs aus­si, plus haut, vite, dans les yeux des morts. Sale sou­venir, à quoi joues-tu ? Je joue au silence, à la jeunesse du monde.
Le silence est une pierre noire qu’on serre dans sa main, qu’on ne lance qu’une fois. On déplie ses poumons, c’est la nuit des abeilles.
Dans le brouil­lard doré de la ter­reur, la danse des insectes, ton nom, ton prénom, les ailes de la cigogne.
Et du souf­fle court, de l’haleine som­bre, du cail­lot de sang qui bouche l’azur, on ne dit rien aujourd’hui, on écoute le petit bruit d’enfer du droséra de tou­jours. Les organes, on les ramassera en souri­ant aux cerisiers, on a le temps, on a tout le temps.

 

                                                

     II

Dans le miroir du noir, som­brent deux amants.
Passent deux oiseaux : on ne les con­naît pas.
Mais le loup dans la cave, on lui par­le à l’oreille, on lui fait faire le tour du monde. On recon­naît aus­si les soix­ante-dix-sept morts de la cas­cade ; le sang ne sèche pas vite. Sous le soleil de verre, râle la cigogne.

 

 

     III

Après tout, l’horloge d’une artère au beau milieu des mers. Après tout, les herbes du sel, les tombes ouvertes, l’ennui refer­mé sur l’ennui. Le vent soulève le ciel, c’est un vis­age éclairé par le phare ; c’est celui d’un vieux chien qui revient d’un bal évanoui, d’une pho­to ouverte sur l’éclair.
C’est la mort à demi. 
Après tout, les voyageurs qu’on n’attendait plus, l’ombre bleue des mon­tagnes, les petits pas dans la neige d’oiseaux, l’absolu dans la clair­ière. Avant tout, l’absolu, les herbes, les tombes, l’ennui.

 

 

    IV

L’absolu, la cigogne d’acier le regarde en riant.
Je ramasse le cœur, l’entoure de papi­er cristal, l’oublie dans le tiroir de la com­mode, télé­phone à mon ombre, m’endors dans la bruyère. Le reste c’est pour demain.
Sur le chemin, les organes chan­ton­nent en riant. C’est pour demain, dans le haut de l’armoire, pour l’éternité, le rêve d’un organe arraché : la foudre, la marée haute, les enfants du vieux chien. Le rêve d’un oiseau de proie qui s’épuise là-haut.

 

 

     V

On oublie les lèvres de sable, mais la mer est une cigogne blessée ; on oublie le drôle de cervelet, le silex des écorchés, les blancs champignons de la soli­tude, mais la mer est un sac vide qui traîne sur la mer.
Dans l’œil du temps, l’électricité, l’amour, le vin, le désas­tre des con­stel­la­tions. Et tous les organes du rêveur qu’on arrache en rêvant.
Coquil­lages majeurs, enfances de tonnerre.

 

     VI

La cigogne croque l’œuf noir du ciel. La cigogne claque du bec et chante à tue-tête la com­plainte fétide des organes, de leurs plaies ouvertes sur le rien qui danse.
Le muse­au du rien, pas le muse­au du chien. Le muse­au du rien, ça n’est pas rien : ça vous mange la main, ça vous dévore pour un rien.
Là-haut, les organes de rien, les organes du ciel.

 

       (mars 2013 — Inédit)
 

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