Le mémorial des limules de Jacqueline Assaël. Sur FJ Temple

Par |2021-07-06T19:19:44+02:00 5 juillet 2021|Catégories : Frédéric Jacques Temple|

En novem­bre 2013, cette cri­tique amorçait une col­lab­o­ra­tion fructueuse avec son auteur.

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Jacque­line Assaël pub­lie un essai sur l’œu­vre poé­tique de Frédéric Jacques Tem­ple… Et je ne peux m’empêcher de penser, même loin­taine­ment, à la lec­ture que fit Paul Claudel d’Arthur Rim­baud (1). Il cite alors quelques pas­sages de la let­tre d’Is­abelle Rim­baud à sa mère, décrivant les derniers moments d’Arthur Rim­baud à l’hôpi­tal de la Con­cep­tion à Mar­seille : “Tu vas voir, on va apporter les cierges et les den­telles, il faut met­tre des linges blancs partout…” Et ça suf­fit à Claudel pour faire de Rim­baud un catholique envers et con­tre tout (ou presque tous).  Ce à quoi s’op­pose vio­lem­ment  Aragon dès 1930 dans sa pré­face (longtemps inédite) à Une Sai­son en Enfer (2) : “Le truquage est le fort de ces hommes rom­pus à la sophis­tique chré­ti­enne, de ces hommes  qui par­lent couram­ment des preuves de l’ex­is­tence de Dieu. En atten­dant, il faut surtout sub­tilis­er les pièces du procès qui pour­raient infirmer la thèse catholique : il est cer­tain que sur les con­seils de Claudel, le cou­ple Berri­chon enter­ra deux poèmes blas­phé­ma­toires… etc. Mais en sep­tem­bre 1943, Aragon et Claudel finiront par se ren­con­tr­er lors d’un déje­uner organ­isé à Lyon par René Tav­ernier, les temps n’é­tant plus les mêmes…

L’es­sai de Jacque­line Assaël com­porte deux par­ties (dont la pre­mière me laisse sur l’ex­pec­ta­tive par ses par­tis-pris, alors que j’ad­hère à la sec­onde) suiv­ies d’un entre­tien de l’auteur(e) avec le poète. Si ce dernier, avec son ouver­ture d’e­sprit habituelle ne remet pas en cause l’ap­proche de Jacque­line Assaël, il ne manque pas de not­er que toute œuvre donne nais­sance à des inter­pré­ta­tions divers­es : Frédéric Jacques Tem­ple ne déclare-t-il pas : ” Je crois que ce qui fait l’au­then­tic­ité d’une œuvre lit­téraire, c’est juste­ment que la mul­ti­plic­ité des inter­pré­ta­tions, selon les per­son­nes et les épo­ques, ne l’épuise pas. Bien sûr, l’œu­vre cri­tique en apprend sou­vent davan­tage sur les obses­sions de son auteur que sur son référent et quand elle est de qual­ité, eh bien, elle en apprend autant ! ” (p 66).  Belle façon de bot­ter en touche après avoir déclaré, en réponse à ce qu’af­firme Jacque­line Assaël présen­tant son essai (“Cette réac­tion est sans doute car­ac­téris­tique du zèle d’une néo­phyte qui n’en­vis­age pas de pren­dre l’habi­tude de sup­port­er, sans mot dire, les man­i­fes­ta­tions d’un mépris de la foi dans les pro­duc­tions intel­lectuelles et qui ne veut pas don­ner l’im­pres­sion d’ad­met­tre comme une évi­dence et sans dis­cus­sion le bien-fondé d’une idéolo­gie matéri­al­iste” [p 63]) : “J’é­tais effec­tive­ment très sur­pris que vous ayez priv­ilégié ce dont les cri­tiques ou les com­men­ta­teurs ne se sont pas souciés jusqu’à aujour­d’hui, c’est à dire mes rap­ports à Dieu. Mais je n’ai jamais nié son exis­tence, ne serait-ce que par pru­dence ! ” (p 64). Que penser de cette pru­dence ? Et que met-on sous le voca­ble de Dieu ?

Dans la pre­mière par­tie de son essai, Jacque­line Assaël pose comme un pos­tu­lat l’ex­is­tence de Dieu. Et par­tant de là, elle (re)lit l’œu­vre de Frédéric Jacques Tem­ple et force par­fois le trait ou se fait vio­lence (ah, le zèle du néo­phyte !) pour prou­ver que l’œu­vre cor­re­spond à ses a pri­ori. D’où cette impres­sion de malaise que j’ai éprou­vée à la lec­ture. En effet, nous dit-elle, l’au­rochs “ren­voie à l’im­age mas­sive et ani­male d’une créa­ture proche du tau­reau, som­bre divinité des man­ades, et à celle du bœuf de la crèche (3), réchauf­fant du souf­fle de ses naseaux et de la prox­im­ité de son poids de chair la nou­velle étin­celle de la vie” (p 21). Et pourquoi pas, au lieu du bœuf de la crèche, le tau­reau présent dans la pen­sée religieuse des Sumériens, des Baby­loniens, de l’Inde aryenne et védique, de la Crète, de la Grèce et de Rome ? Com­ment com­pren­dre cet arché­type qui court de l’An­tiq­ui­té (voire de la Préhis­toire avec ses fig­ures par­ié­tales) jusqu’à Frédéric Jacques Tem­ple ? Jacque­line Assaël ne répond pas à ces questions.

    Pour autant, la sec­onde par­tie (qui ne met pas en évi­dence ses préférences idéologiques) est une bonne intro­duc­tion à l’œu­vre de Frédéric Jacques Tem­ple. J’ai ain­si, en par­ti­c­uli­er, appré­cié l’ap­proche du poète en col­lec­tion­neur qui con­serve (et préserve donc de l’ou­bli) les mots ren­voy­ant à ce qui est en passe d’être oublié, comme les êtres vivants qui n’ont pour seules traces que des fos­siles. On est alors en plein dans une option matéri­al­iste, me sem­ble-t-il… Mais que le dieu de Jacque­line Assaël me garde de lancer l’anathème sur son essai : ce dernier donne envie de lire les livres de Frédéric Jacques Temple !

Notes :

1. Paul Claudel, Pré­face aux Poèmes de Rim­baud. Le livre de poche n° 498, Gal­li­mard, 1960. 

2. Aragon, in Une Sai­son en Enfer d’Arthur Rim­baud. Le Temps des Ceris­es (col­lec­tion Les Let­tres français­es), Paris, 2011. page 9. Voir mon arti­cle sur inter­net dans “revue-tex­ture”, jan­vi­er 2012. 

3. C’est nous qui soulignons… (NDLA).

Présentation de l’auteur

Frédéric Jacques Temple

Frédéric Jacques Tem­ple est né en 1921 à Mont­pel­li­er. c’est un écrivain et poète français. Son œuvre com­prend des poèmes, des romans, des réc­its de voy­age et des essais. On lui doit égale­ment des tra­duc­tions de l’anglais.

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Eric Jacquelin

À pro­pos de Eric Jacquelin Mem­bre de An Amz­er Poésie Prési­dent du con­cours de Poé­siz Leclerc/An Amz­er Site poésie : http://ericjacquelin.over-blog.com Site pho­tos : www.ericjacquelin.com Recueils : CRINIERES DES REVES, Cham­bel­land, 1989 ANTHROPOPHAGES, édi­tions LGR, 1996 LOINTAINS, édi­tions LGR, 2000 LE FRONT CONTRE LE CIEL, 2009 3ème prix de la ville d’Arles et 2ème prix Tavel-Avi­gnon, pre­mière par­tie éditée dans la sélec­tion annuelle de Tara­buste LES REVES DE LA MEDUSE, la baie en poésie, 2010 1er prix de la baie du Mont St Michel JE PARLE SI BAS QUE SEULE LA LUMIÈRE PEUT M’ENTENDRE , La Nou­velle Pléi­ade, 2012 1er prix de la Prin­ci­pauté d’Orange L’ARBRE ET LA MER, 2013 3eme prix de la ville de Pau LA MORT DU POISSON A PLUME, 2015 Prix Blaise Cen­drars de la ville de Vannes PRIMITIVES , La Nou­velle Pléi­ade, 2019 Revues et Antholo­gies : Par­tic­i­pa­tion à des revues : Tara­buste, le cris d’os, Phréa­tique, Recours au poème… Antholo­gies : Triages, Flammes Vives, Société des Poètes Français, Edi­tions Robin… Organ­i­sa­tion du print­emps des poètes au château de Ker­groad­ez, près de Brest, avec des poètes amis, Jean-Pierre Boulic, Gérard Le Gouic, Gwen Gar­nier-Duguy, Louis Bertholom, Eve Lern­er et bien d’autres.
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