L’eau, le ciel, les étoiles
et l’arc-en-ciel. Si tu as perdu
tout sens, sors au grand air :
ton juge­ment sera plus serein.

 

Fran­co Mar­coal­di est un poète, romanci­er, auteur d’essais ital­ien, né en 1955. La plu­part de ses recueils de poèmes ont paru chez Ein­au­di, l’un des prin­ci­paux édi­teurs de la pénin­sule. Ce recueil pub­lié en France par les édi­tions de Cor­levour, dans la col­lec­tion de la revue Nunc, a obtenu le prix inter­na­tion­al Lerici­Pea en 2008. Peu lue encore en France, cette poésie est celle d’un poète recon­nu en sa langue et il faut saluer le tra­vail de l’éditeur français, ce courage qui le con­duit à nous don­ner cette œuvre à décou­vrir, comme l’on fait un présent aux vrais amis. Car c’est bien d’une œuvre dont il s’agit ici. Bien sûr, le titre réfère à Paul, et plus générale­ment à la Bible ou encore à divers­es tra­di­tions intérieures occi­den­tales, mais ce n’est pas tout, et ce n’est pas une poésie « chré­ti­enne », pour peu que cela ait du sens de qual­i­fi­er une poésie de ceci ou cela, on s’en con­tre­fiche non ? Le temps désor­mais comp­té est surtout un ensem­ble de poèmes/flèches sur et con­tre ce monde dit mod­erne alors que son archaïsme humain et men­tal devrait paraître fla­grant à tout béo­tien jetant un sim­ple coup d’œil par la fenêtre. On se demande bien ce que l’on peut trou­ver de mod­erne à un tel monde de dingues. Sauf à vouloir se faire plaisir en prenant des vessies pour des lanternes. Tout cela, désor­mais, est donc comp­té.

Et les Nom­bres, ce n’est pas rien.

Le poète se place d’entrée sous la « pro­tec­tion » d’Octavio Paz, et l’on trou­verait aisé­ment maître plus médiocre que l’homme qui a, au 20e siè­cle, de notre point de vue, pen­sé la poésie avec la plus per­ti­nente acuité. On lira L’arc et la lyre, si ce n’est pas déjà fait (mais… sérieuse­ment, que lit-on si cela n’est pas fait ? Et d’ailleurs, com­ment peut-on aspir­er à pub­li­er un poème sans avoir lu Octavio Paz ?). Mar­coal­di ne cite pas seule­ment Paz en « ouver­ture », il par­le poésie avec lui :

 

Le mex­i­cain par­le en poète
et en poète décrit com­ment naît
un poème : d’une fusion mystérieuse
de grâce divine et d’humaine géométrie.
Je lis et les chiens dor­ment : Baldo
aban­don­né sur mon ven­tre ; Nina,
au main­tien par­fait, la tête sur le coussin.
 

La lyre ron­fle, et l’arc soupire.
Cela résonne comme une douce
invi­ta­tion musi­cale pour qui lit
le poète mex­i­cain : je t’en prie
quand vien­dra ton tour, sois
avant tout con­cis, sec, sobre.
 

Il suf­fit par­fois de peu de mots pour dire beau­coup au monde dit mod­erne. Un monde de saltim­ban­ques pathé­tiques non ?

Ici, le poète en appelle à la musique et à l’harmonie du monde, Mozart ou Chostakovitch en dedans de vari­a­tions poé­tiques, une musique et une har­monie qui ne sont pas seule­ment celles de sphères loin­taines ou imag­i­nales mais aus­si celles du réel con­cret de la vie sim­ple. Les deux sont loin d’être con­tra­dic­toires, je par­le de ce qui est en haut et de ce qui est en bas, sauf à avoir cessé d’être vivant. Mais c’est une autre par­tic­u­lar­ité de la moder­nité, d’être un espace de zom­bies con­fon­dant les ter­res de la mort et les vastes ter­ri­toires de la vie. Alors, la poésie de Mar­coal­di regarde la souf­france en face, tout comme elle évoque les « petits bon­heurs » du quo­ti­di­en. Tout est là, en cette poésie comme en cette vision du monde, dans le sai­sisse­ment de la sim­plic­ité. C’est cela, vivre au cœur même du Poème.

Car il con­vient d’:
 

Accepter les choses comme elles sont.
Et l’ombre qu’elles portent
la con­sid­ér­er comme un don.
 

Tout est dans « la récolte des olives », en plein « couch­er de soleil ». Là où tout est « ter­ri­ble­ment doux, ter­ri­ble­ment immense ». Là où l’on aura le courage d’abandonner « la pro­priété du moi ». Le temps désor­mais comp­té est un recueil de poèmes, et ce n’est finale­ment pas si fréquent, la vie, le Poème, au creux de ce précipice minable que d’aucuns nom­ment « moder­nité ». L’outrecuidance a de beaux restes. Allez, le poète a rai­son, je vais pren­dre le « grand air ». 

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