Je regarde la mer interdite
la mer souillée
des embar­ca­tions témoignent de voy­ages morts
de l’incessante langue d’eau de la brûlure du sel
bois et fer­railles cail­loux et plastiques
une bous­sole satel­li­taire grip­pée sur le néant

Je pense aus­si aux voy­ages morts échoués en chacun
aux épaves qui s’accrochent à nous
à ces liens d’ombre qui nous ligotent

Luisant dans la nuit
sur la crique les os léchés à blanc
et je me dis
un mort est-ce
un crâne bour­ré d’obscur

Le bruit des vagues
Le vent

 

 

***

 

 

   je par­cours les cimetières engloutis et pagaie seul sur cette eau morte
   entre des fleurs décom­posées où la nuit réver­bère son huile
   entre les grands ifs faisant fi des vanités
   entre l’amnésie flot­tante et les mouss­es éclip­sant les pierres
   entre l’âme moisie des lieux de piété et d’abus
   entre la puan­teur des joies défuntes qui dégui­saient vos jours
   entre les bijoux de l’infamie arrachés des corps sans nom
   entre l’os pros­ti­tué et les images du règne qui s’émiettent
   je par­cours les cimetières engloutis et cherche les yeux d’une femme

 

 

***

 

je suis le couteau qui se cache
dans le sourire de l’enfant humilié
le trou que la nuit creuse dans l’insomnie
la res­pi­ra­tion des asthmatiques
le miroir de la lépreuse
la dernière ombre du chien au milieu de la rue
cher­chant sa mort de métal
le genou cassé à l’horizon de la frontière
la goutte d’acide qui tombe et ronge la langue
je suis le bal­bu­tiement de la langue rongée

 

 

***

 

sur la route du retour
la ten­sion affûte tes sens
tu cherch­es les bifurcations
où te perdre
où puisse encore éclore
un moment de splendeur

sur la route du retour
il pleut des oiseaux morts

 

 

***

 

à M.

j’ai bu le vide au goulot
tant ma soif était noire

et je nage
pour échap­per aux fourches
pour chercher les failles
pour saper les racines de vieux réflex­es mentaux
j’articule ma lenteur défie ma blessure
efface au noir mes traces

et j’ai tant nagé
qu’à la pointe de l’épuisement
là où se fend l’insomnie
là où se tend le nerf caché
où le masque se casse
où l’os brise le verre
où le sang récupère sa source
je ren­con­tre une femme
belle comme une forêt en feu
 

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