Six ensem­bles ou « suites » for­ment ce pre­mier beau recueil de Sabine Huynh, recueil aux poèmes transper­cés par les craies noires de Chris­tine Del­becq : Sérénité, Sans toi, Immen­sité, Où il fait noir, Gouf­fre et Le cri de naître. L’on devine que l’ordre des poèmes ne doit absol­u­ment rien au hasard. La poète est née à Saï­gon. Elle a passé une par­tie de sa vie à Lyon et habite, tra­vaille, en divers­es langues aux con­fins de la Méditer­ranée, du côté de Tel Aviv. Sabine Huynh est aus­si l’auteur d’un récent et remar­qué roman, La mer et l’enfant (Galaade, 2013), et a codirigé la mise en œuvre de cet opus dont nous avons eu l’occasion de par­ler : pas d’ici, pas d’ailleurs.   

Saï­gon, Lyon, Israël, Angleterre, Etats-Unis, Cana­da… Sabine Huynh est un des col­ib­ris dont elle par­le en présen­ta­tion de son livre : « Ces poèmes peu­vent se lire comme une topolo­gie de l’exil, dans le sil­lage des drôles d’oiseaux qui les tra­versent (…) Et par­mi eux, des col­ib­ris, les plus petits oiseaux de la planète, les plus rapi­des et les plus entêtés aus­si, les seuls à pou­voir vol­er à recu­lons, ou la tête en bas, à faire du sur place… comme les immi­grés et les immi­grants, ces pollinisa­teurs poly­glottes sans lesquels nulle fleur n’éclorait. » Sa poésie est poésie de l’exil, comme toute poésie pro­fonde, de mon point de vue, lequel est en accord tout aus­si pro­fond avec la façon de saisir l’être du poète chez Dominique de Roux, pour qui tout vrai poète vit en exil – quelle que soit la géo­gra­phie appar­ente de sa vie. Il y a loin entre être en dedans de ce monde et en être réellement.

Exil, donc.

 

Tou­jours
la nuit nous fait mal
la nuit suffocante
vorace
elle avale les débris
de présence
 

la même nuit
partout
épaisse
sans ombres
où s’enlisent
des trains invisibles
 

la nuit inquiète
sans repos
de l’exil.
 

 

Mais c’est aus­si une poésie des renais­sances et méta­mor­phoses per­ma­nentes ou per­pétuelles, lesquelles ne sont pas sans lien (juste­ment) avec l’exil. Il y a un attrait vivant et vivace des ailleurs. Et bien de l’humain en cela. C’est un chem­ine­ment en quête de lumière. Une alchimie.

 

D’aurore en aurore
brise de mer et brise de terre
la douceur des lanternes oscille.
 

Les tuiles mous­sues con­tem­plent le ciel
les pies se recueillent
les pois­sons-gout­tières se taisent.
 

Les ombres sur les pavés de brique
aus­si longues que l’écho du gong
jouent à rester immobiles.
 

Ce sont les pre­miers mots du recueil. Et cela se ter­mine ainsi :

 

Rien sauf le temps
à lire ce soir
hier à grains
lisse aujourd’hui
demain
écrit après-demain.
 

Rien sauf le vent
à dire ce soir
hier en fuite
aujourd’hui dévidé
demain tissé
dans le temps liquide.
 

Rien que le vent
et mon cœur qui bat.

 

Il faut être né beau­coup et sou­vent pour comprendre/savoir/vivre cela.
J’ignore si Sabine Huynh est « écrivain » et « roman­cière », et pour le dire tout de go je m’en fiche : je ne crois pas en l’existence de ces caté­gories, pas plus qu’en celle de la « lit­téra­ture ». Par con­tre, je sais l’existence réelle de la poésie, cette part présente d’un chant qui vient de loin et par­le au tra­vers des poètes. Une chose est cer­taine : Sabine Huynh est poète.
Ce n’est pas rien.

 

On con­sul­tera son site : Sabine Huynh

Et on lira des extraits de son tra­vail dans nos pages : Sabine Huynh dans Recours au Poème

Sabine Huynh con­tribue régulière­ment à la revue Terre de femmes

image_pdfimage_print