Tu n’es pas en colère
Mais tu n’es pas un homme sans colères
Qui va au milieu de ses sables
Per­du au cœur de sa pro­pre sci­ure –  sont-ce les copeaux de ta vie qui s’émiettent sous tes pas en grains incan­des­cents pour te rap­pel­er les bruits oubliés de tes brisures ou les graines de vie qui ruinent l’espoir d’une mort certaine

*

Ancré dans le duvet de tes pro­pres cendres
tes pieds s’enfoncent dans le sable des cer­ti­tudes diluées d’où tu renaî­tras droit blanc comme un squelette de phos­pho­re illu­soire sémaphore comme une amphore per­due au milieu des ruines d’une incer­taine aurore
par­fois la pen­sée a la blancheur d’un squelette et les mots l’épaisseur de la chair

Dans les sables noirs de ta vie
il est une aube qui ne dira peut-être jamais son nom d’étoile
si tu n’étends les men­su­ra­tions de ton esprit étriqué
pour entr­er dans la grâce de l’inconnu

*

Cet homme qui écrit de ses pas un nom évanes­cent sur l’ardoise des sables revien­dra-t-il un jour de pluie ou de grêle brûlante
Se sou­vien­dra-t-il de ses voies plurielles et entrecroisées
Se recon­naî­tra-t-il dans cette immen­sité sans souvenirs
L’homme des sables feuil­lette sa vie sur la table rase et jamais pleine et tou­jours nou­velle de la vie

*

Errance
inconstance
turbulence
la cadence de l’impénitence
depuis des siè­cles astreints au mou­ve­ment perpétuel
et cela n’est pas pour finir bientôt
les hommes bleus du désert marchent
le cœur lové dans le délire cir­cu­la­toire de son désert affec­tif et dis­ser­tant sur l’impossible haine de la vie

*

Le désert qui s’étire devant éveille en toi des sou­venirs inguériss­ables et des­sine en silence une nature féérique qui est loin d’être une évi­dence poétique
Marche
Cette guerre que tu mènes con­tre la nature accentue la beauté des dunes ondulées sous tes pas trébuchés.

*

VA
ta foulée irrégulière et monotone
absente à force de martèlement
marche sur les sables mou­vants de tes sou­venirs abîmés
sur cette terre incendiée qui t’appelle sans espoir de retour
Souf­frant comme un esclave soupire
après l’ombre ou le forçat après la trêve
l’homme expire et où est-il

*

Comme l’aveugle qui lacère les plis de la nuit ou la bar­que qui fend les eaux orageuses dans le noir silence l’homme tran­si et dis­joint agrippe les lam­beaux d’espoir
Ceux qui ont apprivoisé le désert ont con­quis l’éternité
la lib­erté y a l’ampleur de la lumière
ce qui manque à l’imagination dans l’enclos de la raison

*

L’océan de sable cray­onne l’infinie courbe des dunes qui se prélassent avec non­cha­lance leur dos gon­do­le pour faire des vagues géantes, longues, liss­es et lass­es à la beauté sul­fureuse de cuiss­es déharnachées
De tes regards éper­dus tu sai­sis toute la dis­tance qu’il te faut encore courir avant la tem­pête de la nuit
Que nulle part ailleurs les ténèbres sont menaçantes et le jour si fort comme au désert – le dan­ger éclat­erait de partout comme une averse impromptue qui tombe prompte­ment en trombes
Mais à quoi bon la peur de mourir quand le vent qui sif­fle assèche la peau les os

Un vieux gril­lon aux élytres noires crie son esseule­ment – le sable chaud se glace tout d’un coup le froid est maître de la nuit comme l’est du jour le soleil

*

Le cac­tus fier et majestueux
Tend ses mul­ti­pliés épineux adipeux
Pour implor­er du ciel quelle clémence
Le désert est triste et vaste comme un océan de sel
On y est si près des réson­nances mythiques et élé­giaques de la mer
La vie ralen­tit son pas fou sur des ombres ratatinées
Tour­men­tée par un soleil acharné

Et comme on peut se sen­tir vain
Homme dans la créa­tion foisonnée
Le sable des sou­venirs moi­sis s’entasse dans les couloirs noirs de la mémoire où l’amertume entre­tient ses racines de plante vivace.
Les pas que tu allonges ne t’avancent guère plus loin
D’où vas-tu et où viens-tu

*

Et c’est ici le para­doxe de ta folle randonnée
La foulée propulse tou­jours plus loin creuse un chem­ine­ment vers l’inconnu du monde et engen­dre der­rière le tracé d’un poten­tiel retour
L’amont appelle l’aval et les deux se tien­nent inséparables

*

Espace hori­zon le désert est fascinant
et par sa raideur terrifiant
une oasis y est un mirage aque­ux au milieu d’une réal­ité de feu
une excep­tion qui survit au creux d’un songe de sable
comme une espérance trem­blée au fond de l’âme

*

Il y a pour­tant plus aride que le désert rouge d’Australie
c’est l’esprit cuit à point au foy­er des préjugements
ou le galet dur­ci d’un cœur chauf­fé à blanc par la froideur de la haine
ou la rai­son prise au piège des isthmes idéologiques – les mon­di­al­ismes fon­da­men­tal­ismes intégrismes
les ter­ror­ismes angélismes intégritéismes et autres humanitarismes
tous ces par­a­digmes de l’infécondité des temps passés et présents

Ce qu’il faut com­bat­tre dans chaque reli­gion et qui est en chaque homme c’est juste­ment cette déri­va­tion pro­pre en is(th)mes qui est une dérive hystérique.

*

Les yeux rivés sur l’éternellité de ta rage de vivre d’aimer de vain­cre avance vers le goulet ouvert sur le temps sans fond et sache que ces larmes gaspillées n’auront pas séché que d’autres inon­deraient déjà les rain­ures creusées sur tes joues.

*

On l’a dit, mais est-ce vrai, c’est l’espoir scin­til­lé d’une oasis qui dit la beauté du désert. Ce poème de sable sans fin que tu tra­vers­es comme une ligne de fuite est un réser­voir de promess­es fos­sil­isées. L’étendue exquise le tour­nis – ou est-ce le contraire ?
Quand il fait feu de toutes parts, l’espoir d’une oasis rend le désert plus beau encore. La soif devient un sim­ple com­pagnon de route. Fidèle d’une inquié­tante  loy­auté. Mais l’étendue seule rend le ver­tige doux.

*

Le Sahara le Kala­hari le cœur de l’homme échan­cré par la haine et la peur de l’autre ont cer­taine­ment les mêmes économies – et la rugosité.

*

Homme ridicule fourni par­mi les sables infi­nis de la vie ombre sans corps temps sans his­toire échoué dans ce vide plein de Dieu tes heures heurtées s’écoulent avec monotonie
Mais chaque désert a ses oasis même si tes déserts à toi te sem­blent sans espoir d’eau sinon celle qui sourd des gey­sers de ton cœur trahi
Que faire des désirs qui nais­sent dans la nudité de ce lieu cimetière de vents et de sables qui brouil­lon­nent ton cœur d’insomnies invaincues

*

Homme hom­bre
Tes pas redou­blés s’enfoncent dans les rain­ures des chemins de dunes
Ta foulée a beau se faire ample
Tes pas sont tou­jours à l’étroit assurés même de som­br­er dans le vide
Tes pas scan­dent leur litanie et ton ray­on de jeu ne passe guère ta conscience
Tu tomberas à coup sûr dans le tour­bil­lon de ta pro­pre tautologie
Ombre qui s’en va à vau sable nulle part (ailleurs) que la tienne te tend un bras ami ou armé
Creuse le sable de ton cœur il est sûre­ment un chemin inédit

*

Le désert est un lieu-temps où le temps se dis­tend et l’espace dure
le désert est un vaste champ de ruines un chant dévasté en plein vent
où l’homme mène une lutte d’épuisement de pous­sière et de sable

*

Un vol d’oiseaux déchire le ciel sans fond
Sont-ce les net­toyeurs du désert qui récla­ment le dépôt immé­di­at de ton âme sur le matéri­au fos­sile de ce lieu horizon
Tu as posé le talon sur ce filet de sable aux mailles béantes et la trappe sur ta route sans chemin se referme sur ta cheville
Elle ne tardera pas à t’ensevelir à moins de quit­ter le poste de spec­ta­teur de ta vie

*

Vas dans ta clau­di­ca­tion solitaire
peut-être où se trou­ve le salut
vois-tu de tes regards affamés quelque lam­proie accommodée
quand le soleil dans ses éclats de lampyre dévoile les courbes sere­ines des lames de sable qui s’étendent à l’infini
la vie qui au loin t’appelle ne te lais­sera pas le temps d’aimer ces lieux fasci­nants et ter­ri­fi­ants de féérie

*

Qui es-tu homme des vents galet brûlant errant roulant tes désirs de pierre
ton pas hésité est une prière éva­porée dans ce tem­ple aride et sans bout
où vas-tu dans cette intime soli­tude qui te colle au pas et rem­plit tes silences crevassés de chants de ruines
tu claudiques preuve que tu ne boîtes pas que tu pass­es ton chemin comme une étoile va s’étreindre dans les voies lac­tées et inex­pugnables avec les ténèbres sidérales

*

Où vas-tu de ce pas précipité
et d’abord d’où pars-tu pour t’atrophier
dans ces flots de sable où les rêves d’eau d’un coup
se muent en cauchemar de feu de soif de faim
con­naî­tras-tu en ce lieu immense le bonheur
de boire après avoir eu soif

*

Il faut son­der ta pen­sée jusqu’à pleine saisie de l’ineffable qui se déploie sous tes yeux mais cette mer salée et immo­bile ne gardera pas le sou­venir de ton pas haletant
Con­tem­ple les fenêtres de Dieu et cueilles les pépites du soleil qui fuit à l’horizon
Tu te crois touriste tu es flâneur
Fétu de sable sur la paille dorée des dunes
Un lieu de ruines un lieu aride avide tor­ride à l’horizon strié de cris d’hyènes qui guet­tent l’heure fatidique où tu poseras fatigué ton bâton de pèlerin vain­cu dans tes inassouvissements

la vie aspirée par la lente seringue du temps

*

Un ser­pent s’efface dans la dune lais­sant sur le sable une trace qui te tente. Se sou­vient-il des temps où il allait sur ses pattes avant d’être aplati de tout son long Ce tout pre­mier rhé­teur a tracé une voie men­tie à une descen­dance innombrable.

*

Le désert se déploie à perte de voies et les voix mêmes se con­fondent dans leur pro­pre écho.
Ombres portées sur les sables les pèlerins aux corps trem­blants suiv­ent l’appel de l’horizon si proche et intouchable.

*

Tends l’oreille et ouïs le vaste silence de cette immense voyelle sonore
Le désert par­le plusieurs langues l’amour la paix la dilata­tion de l’être La vio­lence qui se greffe sur chaque grain de sable Le chaud le froid la beauté des dunes alan­guies au milieu de l’horizon Partout le temps s’involue pris dans son pro­pre ver­tige Le ciel n’est pas un cou­ver­cle lourd c’est un voile bleu tin­té de nuages blancs et secs qui ouvre sur l’inédit et l’ineffable

*

La soif qui assèche la langue est la seule évi­dence qui rap­pelle les corps per­dus dans les riens arides de cette pous­sière renou­velée Le vent habile manège soulève de vifs espoirs de fraîcheur et s’acharne à effac­er toute trace de mémoire de tes pas brûlés sur le sable C’est le poème d’une fin prob­a­ble et d’un départ promet­teur Le désert est une promesse poé­tique et ter­ri­ble Une prophétie dont l’épiphanie inquiète plus qu’elle ne rassure.

*

Au fil de la tra­ver­sée des voix fusent
Si l’on y croit des voies s’ouvrent
Et l’écho l’onde du silence se heurte s’amplifie rebon­dit sur les formes plurielles des sables ou sur les épaves de navires naufragés qui rap­pel­lent que ces lieux furent arrosés
Graviers Alluvions
Débris de chair polis par les vents
La tra­ver­sée du désert est une équipée terrifiante
Une marche lente où le temps devient éternité

*

Il faut résis­ter aux courants qui noient ou élec­tro­cu­tent et revenir en avant pour faire tri­om­pher les bon­heurs sim­ples et la fas­ci­na­tion des élé­ments dans leur présence/absence

*

La vie est un itinéraire de sable
Un voy­age sans des­ti­na­tion initiale
Le désert un naufrage de sables qui des­sine sur les délinéa­tions du sol des dunes aux con­tours de femmes éphémères
La lumière ful­gu­rante omniprésente et brûlante effrite le son et perd le regard

Univers mys­térieux où la somp­tu­osité de l’immensité écrase tout autre bon­i­ment le désert est plongé dans la lumière éter­nelle et l’horizon qui de loin en loin s’efface s’écrit dans le même mouvement

Le désert est tout à la fois début et fin vie et mort
Lumière aveuglante jeux d’ombres et de lumière
Les heures se traî­nent en un cortège infini

*

Toi qui croy­ais fuir La rumeur Le mécon­tente­ment pop­u­laire La guerre des mots qui volent comme des balles sifflantes
Te voilà assigné à soli­tude seule demeure où rien ne croît sauf l’évidence du vide qui se creuse dans ta tête ton cœur troué ton esprit béant

*

Voyageur
Passager
Déam­bu­la­teur qui troue de ses rêves les volutes de sable
Tu apprends enfin l’art de l’essentiel
À te sous­traire à la loi du super­fi­ciel à savoir que tous les par­adis arti­fi­ciels ne sont qu’artificiels

Et si ton ombre s’allonge devant ce n’est pas pour dire d’autres dimen­sions qu’elle n’atteindra pas
tes pas essouf­flés déjà vien­nent se coller à ta sil­hou­ette pour te rap­pel­er tes faux départs tes épuise­ments tes écroulements
tu n’es jamais arrivé n’étant jamais parti
hors de toi

*

Tu échéances la perte
Tu éch­e­lonnes le déclin  mais le déclic déjà est déclenché
Tu échan­cr­eras encore un cœur ou le duvet soyeux de la vie
Mais tu sais très bien que le sur­sis est une corde qui craque au-dessus de la fos­se qui offre si heureuse­ment ses entrailles au proscrit

*

L’horizon est tombé se lèvera-t-il sur d’autres mondes
tu n’as fait qu’un petit tour du rond-point de ta conscience
et te voilà encore per­du dans les détours d’une histoire
l’amour dont on ne sait s’il existe ou s’il faut l’inventer tient-il de la physique ou dit-il la néga­tion du déterminisme
car à peine com­mencé tu es main­tenant au point de chute l’effroi
la ter­reur sont plus sûrs com­pagnons et tu sais les épou­van­te­ments des fins de parcours
l’obscurité qui envahit comme une nuée ardente

*

La vie s’exfolie les hommes comme des feuilles
tombent – deuil
de l’arbre de la vie
der­rière les plus pais­i­bles nuages s’élèvent de silen­cieuses tempêtes
Mais le silence ne cou­vri­ra pas d’absence le sur­gisse­ment de la parole qui échap­pera à l’épuisement du vécu par le mouvement.

Dans ce monde par­cou­ru d’un fris­son d’hébétude seule la dis­ten­sion de l’être per­son­nel qui suit l’appel aval (à val) des pentes déclives au-delà des délinéa­tions tel­luriques offre la pos­si­bil­ité d’une inser­tion dans le cycle uni­versel. Ton pas se mou­vra en une dynamique qui déplace les tracés pour t’arracher à l’entrave char­nelle. Mû par les démangeaisons d’itinérance en ce monde de références résil­iées tu suis un tra­jet hyp­no­ti­sant dans la quête frémie de la pléni­tude de l’exister.
Tu sais que seul le mou­ve­ment parvient au possible.

*

 

 

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