LES MÈTRES DE LIBERTÉ
À pro­pos de Résis­tance à la poésie de James Longenbach
Édi­tions de Cor­levour, 2013

 

1 De la  résis­tance de la poésie à la critique
2 De la sin­gu­lar­ité de cet ouvrage de poé­tique – le con­cept de « résistance »
3 De la sin­gu­lar­ité de la poésie améri­caine – quelques indices

 

Ils mar­chaient en avant, moi tout seul
en retrait, je rece­vais de leurs paroles
l’intelligence poé­tique.

Dante, Pur­ga­toire, Chant XXII

 

 

1 De la résis­tance de la poésie à la critique

Nul besoin de plaider ici la cause de la poésie… La cause de la cri­tique, par con­tre, si. Les poètes résis­tent aux ouvrages cri­tiques ; ils préfèrent la lucid­ité silen­cieuse ; réson­nent en eux les paroles de Rilke :

“D’ailleurs, pour saisir une œuvre d’art, rien n’est  pire que les mots de la cri­tique. Ils n’aboutissent qu’à des malen­ten­dus plus ou moins heureux. Les  choses ne sont pas toutes à pren­dre ou à dire,  comme on voudrait nous le faire croire. Presque  tout ce qui arrive est inex­primable et s’accomplit  dans une région que jamais parole n’a foulée.”

Je me suis tou­jours méfiée, moi aus­si, du regard cri­tique, qui, comme le regard de Psy­ché, volatilise le vis­age de l’amour. La cri­tique poé­tique, en par­ti­c­uli­er, perd le plus sou­vent la poésie en route, la réduisant en cen­dres, priv­ilé­giant le dit au dire, la visée du poète à la façon dont elle s’incarne. La poésie est ce qui dis­paraît à la tra­duc­tion, dis­ait Robert Frost ; à plus forte rai­son ce qui s’évapore à la cri­tique ! Cette dernière n’est-elle pas tou­jours peu ou prou stéril­isante ? Ennuyeuse, aussi…

Or voici que je viens vous par­ler d’un libret­to cri­tique : il me faut donc me jus­ti­fi­er de cette palinodie.

J’ai décou­vert le poète et cri­tique James Lon­gen­bach par un autre ouvrage, un recueil de poèmes de lui, dont la cou­ver­ture amène le sourire :

 

 

 

Sur une table de bois une éprou­vette retournée recou­vre un cartel­lo por­tant l’inscription The iron key. Voilà un écrivain mod­este et spir­ituel, ai-je pen­sé, qui ne par­le pas de clef d’or en majus­cules  mais de clef de fer, admet­tant que la clef de la poésie ne peut être trou­vée qu’en milieu stérile, stéril­isant, stéril­isé par l’éprouvette cri­tique. Telle l’invitation du château de Kaf­ka, elle ne se trou­ve qu’à l’intérieur. Comme si elle n’existait pas : sor­tie de l’éprouvette, l’air ambiant la réduira en poussière.

J’ai ouvert le recueil au hasard, et m’ont sauté aux yeux les 2 vers suivants :

 

 He could’nt tell a poet from a critic;
They talked about the same things in the same way.

Il ne pou­vait dis­cern­er le poète du critique ;
Les deux par­laient de même chose en même façon.

 

For­mule humoris­tique, naturelle­ment, car cha­cun sait que la façon n’est pas la même. Et le poète ne s’appuie sur rien, tan­dis que le cri­tique s’appuie au para­pet du poème. Humoris­tique mais pas que. Voici pourquoi, à mon avis :

D’abord on est bien inca­pable de dire si ces deux vers con­stituent une for­mule poé­tique ou une for­mule cri­tique, ce qui, de fait, est une preuve en soi de l’identité proposée.

Ensuite, l’idée implicite qui se dégage de l’ensemble de ce poème est la suiv­ante : il est vrai que l’expérience que nous faisons d’un poème est tou­jours plus vaste, plus diverse que notre par­faite inca­pac­ité à la décrire ; mais le poème, le poème lui aus­si, est dans l’imparfaite capac­ité à dire ce qu’il veut dire. La lisière de l’asymptote est la même :

 

Trees are com­ing into leaf
Like some­thing almost being said.

Aux arbres pointent les feuilles
Comme la chose pointe au dire.

 

Ain­si s’achève ce poème de Lon­gen­bach, inti­t­ulé « Le voyageur ». Cet améri­cain-là, qui trans­for­mait la cri­tique en poème, était un voltigeur de l’impossible !

 

 

 

Je me suis pré­cip­itée sur l’un de ses essais, Résis­tance à la poésie, qui ne m’a pas déçue.

Tout d’abord parce qu’il s’ouvre avec le poignant réc­it de Pri­mo Lévi, racon­tant com­ment les poèmes, de Dante en par­ti­c­uli­er, qu’il con­nais­sait par cœur, l’ont con­solé dans son camp de con­cen­tra­tion, lui ont per­mis de vivre et pas seule­ment de sur­vivre. Ce pas­sage célèbre de Si c’est un homme insiste sur la néces­saire ambiguïté du lan­gage, sans laque­lle il n’y a pas de parole, mais une langue de bois. J’avais fait la même expéri­ence dans mon monastère, et je savais ce que veut dire « per­dre la fac­ulté de sym­bol­is­er ». C’est une expéri­ence ter­ri­ble, celle des régimes totalitaires.

Ayant été sauvée men­tale­ment par la poésie, l’ayant tou­jours aimée, à mon retour dans le monde j’ai cher­ché à réfléchir un tant soit peu sur elle.

 

Pourquoi m’être tournée vers un ouvrage en langue anglaise ? Parce qu’un poème est tou­jours plus poé­tique dans une langue étrangère. Aus­si bien qu’on la pos­sède, celle-ci garde son étrangèreté, le lan­gage y appa­raît dans son aspect matériel, extérieur, objec­tif, les sons ne se réduisant pas immé­di­ate­ment en leur sens.

D’autre part, l’anglais, langue « écla­tante et plas­tique » (Valéry Lar­baud dix­it), et l’américain encore plus, est une langue accentuelle, ce qui per­met d’entendre plus facile­ment les rythmes, et nous offre une lentille grossis­sante pour appréhen­der la poésie française. Car, con­traire­ment à ce qu’on pré­tend, le français, lui aus­si, est accentuel. Sim­ple­ment de façon plus sub­tile, jouant seule­ment sur deux paramètres :

1 l’accentuation de tous les mots sur la dernières syllabe.

2 le e muet, cette eau courante comme l’appelle Bon­nefoy, qui crée partout où elle passe des syl­labes faibles, s’opposant par là-même aux syl­labes fortes.

Un exem­ple : on a gardé de Descartes la for­mule : « Je pense donc je suis », du Dis­cours de la Méth­ode. Or le philosophe explique dans la sec­onde médi­ta­tion qu’il faut préfér­er la for­mule : « Je pense, je suis », parce qu’elle est une évi­dence immé­di­ate sans inférence logique. La postérité a priv­ilégié le son par­fait au sens impar­fait. Pourquoi ? Tout sim­ple­ment parce que « Je pen/se donc/je suis », ce sont des iambes…

Oser la for­mule para­doxale de mètres de lib­erté, un jeu de mots sur lequel je ne mis­erais pas ma tête, c’est ris­quer l’idée que la poésie n’échappe pas au mètre. Le maître de lib­erté, c’est le rythme, bien sûr, qui trans­forme une struc­ture con­traig­nante en sys­tème libre, et cela par des écarts, écarts de plus en plus auda­cieux certes dans la poésie con­tem­po­raine, apparem­ment sans métrique ni prosodie, mais qui sup­posent une norme, sans laque­lle le rythme, ou le con­tre-rythme, ne peut sur­gir. Tous les poèmes cités dans ce recueil, aus­si avant-gardistes que soient cer­tains, sont por­teurs d’un rythme, appuyé ou dis­cret, à la dif­férence d’une cer­taine poésie con­tem­po­raine française qui, crachant sur le mètre, jette sou­vent le rythme avec.

 

Et ce libret­to m’a retenue parce qu’il se garde bien de pro­pos­er la moin­dre déf­i­ni­tion de la poésie, sachant que « la poésie c’est tou­jours autre chose » (Gérard Pfis­ter). Appa­raît juste au pas­sage la déf­i­ni­tion de Wors­dsworth : « Le sou­venir de l’émotion dans la tranquillité ».

Julien Gracq dis­ait que les cri­tiques fab­riquent des ser­rures pour y intro­duire leurs clefs. Celle de Jean Paul­han n’est d’ailleurs pas une clef, c’est un passe-partout, puisqu’elle ouvre aus­si les maximes, les apoph­tègmes et les slo­gans pub­lic­i­taires. Poé­tique n’est pas seule­ment ce que l’on ne saurait mieux dire.

Ces 9 chapitres ne sont pas des clefs, des cordes plutôt. Les cordes pérennes du lan­gage poé­tique. On décou­vre par exem­ple que cer­tains tours qu’on croy­ait ultra-con­tem­po­rains sont présents chez Mil­ton ou Wordsworth… Il n’est pas abusif d’en déduire qu’en poésie les élé­ments pre­miers ne sont pas les mots, comme on a ten­dance à le penser, mais les rela­tions, les liaisons, les attrac­tions des mots entre eux, pas du dis­con­tinu, mais du con­tinu. En physique, la théorie des cordes sup­pose que l’univers est con­sti­tué dans sa struc­ture la plus intime non par des atom­es, ni des quarks, ce que seraient un peu les mots, mais par des cordes nanoscopiques, cha­cune réson­nant avec un tim­bre, une vibra­tion pro­pre. Cer­taines sont ouvertes, d’autres sont fer­mées, bouclées sur elles-mêmes. Si l’on file la métaphore, celles du lan­gage poé­tique sont ouvertes, ne se refer­ment pas sur un signifié.

 

Il y a 9 chapitres dans ce libret­to, sans doute en sou­venir d’Orphée, qui aux 7 cordes de la lyre d’Apollon, en ajou­ta 2 ; 9 cordes comme les 9 Mus­es aus­si. Mais cela Lon­gen­bach ne le dit pas explicite­ment, car son ouvrage échappe aux atten­dus du lyrisme. S’il par­le de la Muse, c’est moins de la muse rimeuse que de la muse trimeuse. La lyre reste en fil­igrane comme sur ce dessin de Cocteau :

 

 

 

 

   I. La résis­tance à la poésie

II. La fin du vers

III. Formes de disjonction

IV.  L’histoire et la chanson

V.  Une occu­pa­tion pas très nette

VI. La voix de la poésie

VII. Ou d’un autre côté

VIII. Ne pas tout dire

IX. Com­pos­er l’étonnement

 

Chaque chapitre écoute le tim­bre d’une corde par­ti­c­ulière, éprou­ve sa ten­sion, son énergie, sa résis­tance. L’écoute réson­ner et raison­ner ; nous savons que la poésie raisonne, ce n’est pas vrai­ment nou­veau. Ner­val affir­mait déjà que ses poèmes pos­sé­daient une dialec­tique aus­si rigoureuse que celle de Hegel… Jean-Luc Stein­metz par exem­ple, dans La poésie et ses raisons, ou bien la poéti­ci­enne améri­caine Helen Vendler dans Poets think­ing ont appro­fon­di cela. Inédite est ici la façon de le mon­tr­er. Que sont ces cordes ? Les divers­es façons dont, en poésie, le lan­gage résiste à la poésie, le je au moi, la poésie à la lit­téra­ture et, finale­ment le lan­gage à lui-même. Les cordes ne cor­re­spon­dent pas exacte­ment aux fig­ures, aux fonc­tions, aux struc­tures ni aux tropes, bien qu’elles les recoupent par­fois : apo­siopèse serait la 8ème corde, ana­co­luthe la 3ème. Le ch. 3 par exem­ple, sur les formes de dis­jonc­tion, abor­de le fait bien con­nu que la poésie s’autorise des écarts, mais il mon­tre ces rup­tures en acte, intro­duisant une dif­férence entre la dis­jonc­tion sèche (Chez Pound) et la dis­jonc­tion humide (Chez TS Eliot ou Jorie Gra­ham), tan­dis que John Ash­bery, le maître améri­cain de la sprez­zatu­ra, joue sur les deux. Cela vaut pour toute poésie.

 

La table des matières ne sem­ble pas com­porter de chapitre sur l’image, l’une des com­posantes atten­dues de la poésie. Elle appa­raît, mais voilée par le titre du ch. 5 « Une activ­ité pas très nette ». La ques­tion de l’image est très sen­si­ble aux États Unis, depuis le mou­ve­ment imag­in­iste qui reléguait le sym­bol­isme au plac­ard. Lon­gen­bach offre une approche fraîche des cor­re­spon­dances baude­lairi­ennes, qui laisse toute sa valeur au sym­bol­isme, et donne une vision de l’image com­préhen­sive, applic­a­ble non seule­ment à la poésie con­tem­po­raine, mais aux com­para­isons homériques, qui sont des distractions :

« Nier l’aptitude d’une métaphore à nous dis­traire de ce qu’elle dit, c’est nous brouiller avec le plaisir de la poésie ». 

 

Sur la lyre d’Orphée de Cocteau, les paires de clous des­tinés aux cordes hor­i­zon­tales qui ressem­blent à une portée, sont 9, mais les cordes elles-mêmes sont seule­ment 5, encadrées par les mon­tants courbes. Aux extrémités gauche et droite de la lyre, point de fil au lieu du lien. On ne con­naît pas toutes les cordes. « Poète n’est pas maître chez lui », dis­ait Hen­ri Michaux.

 

 Le livre est con­stru­it comme cette lyre. Les 5 chapitres abor­dant des traits pré­cis du lan­gage poé­tique sont encadrés pas deux mon­tants, la fin du vers et l’aposiopèse, et enfin par 2 chapitres d’ordre plus général, con­sacrés, sous une per­spec­tive dif­férente, à la ques­tion du won­der, à la fois émer­veille­ment et éton­nement, ce qui est une façon de repren­dre à la philoso­phie son bien, car l’étonnement est tra­di­tion­nelle­ment la source du philosopher. 

Le won­der est présent dans l’épigraphe de Keats : la mer­veille est qu’on en lise autant.

 

Les cri­tiques ayant sans arrêt la plus que mer­veille à la bouche sont sus­pects, j’avoue. Je me sou­viens d’un illus­tre cours de lit­téra­ture qui, mal­gré son titre alléchant, La mer­veille en poésie, n’était pas émer­veil­lant. Lon­gen­bach ne fait PAS de cri­tique lyrique, c’est tout l’inverse ; ni pathos ni emphase, ni sen­ti­men­tal­isme, ni spir­i­tu­al­ité, ni méta­physique, ni moral­isme, ni con­sid­éra­tions poéthiques avec un H sur l’habitation poé­tique du monde, ni célébra­tion ni sacral­i­sa­tion de la poésie. La plume est inci­sive, bril­lante, spir­ituelle, détachée ; si j’ai choisi la lyre comme illus­tra­tion, ce n’est pas seule­ment qu’Orphée est le nom de ce qu’on ne con­naît pas, qu’il est tou­jours à venir, et que j’aime bien les dessins et la forme de vie de Cocteau, poète en dis­grâce mais qui revient actuelle­ment dans les bagages de Proust (cf. le récent ouvrage de Claude Arnaud, Proust con­tre Cocteau), c’est que le chapitre VI, La voix de la poésie, pro­pose une excel­lente approche du sujet lyrique : pas la peine de se lamenter sur sa dis­pari­tion, de proclamer sa résur­rec­tion ou de se féliciter de sa dis­sémi­na­tion, pour la bonne rai­son qu’il n’a jamais existé ! Un poème peut être poly­phonique, choral même, « je » a tou­jours été un autre, et le sujet lyrique est dès l’origine un sujet dra­ma­tique, une per­sona. La voix d’un  poème n’est pas celle de quelqu’un, pas celle d’un sujet unifié, ni celle de la langue par­lant toute seule, ni celle de Per­son­ne quoi qu’en ait Valéry (Cette voix qui quand elle sonne / n’est plus la voix la voix de per­son­ne), elle n’est ni la voix d’alto de Richard Mil­let, ni la voix de cas­trat, ni la voix de vio­le de Pas­cal Quig­nard, ni la voix humaine de Cocteau, elle n’est ni ceci ni cela, elle est une métaphore, la fic­tion d’une voix à laque­lle on veut croire.

 

Sur ce point, comme sur les autres, Lon­gen­bach tire les ficelles de der­rière le rideau, vise des théories pré­cis­es, en l’occurrence ici le dial­o­gisme de Bakhtine ; l’agrément de cet essai est qu’il peut se lire à deux niveaux ; on n’a pas besoin d’être au fait de ces choses pour appréci­er. La pen­sée tient par elle-même, sans une once de jar­gon ou de pédan­terie. Mag­nifique exem­ple du souci de vul­gar­i­sa­tion qui hon­ore les cri­tiques améri­cains. Il existe une tra­di­tion cri­tique améri­caine, com­mençant avec Eliot et Pound et son admirable Com­ment lire, se pour­suiv­ant avec Robert Pen War­ren et son mon­u­men­tal Under­stand­ing Poet­ry de 900 pages qui se lit comme un roman, tra­di­tion dont Lon­gen­bach, très prisé aux USA est sans con­teste un digne héri­ti­er. Son essai fera date, mais on ne l’appréciera peut-être que dans 5 ans… 

 

On l’aura com­pris, il ne s’agit pas de « cri­tique » à pro­pre­ment par­ler, mais de poé­tique, c’est-à-dire d’une lec­ture trans­ver­sale, con­vo­quant des poètes de langue anglaise du XVIème au XXIème siè­cles, dont de nom­breux poètes-femmes, ain­si que des prosa­teurs, dont Proust… col­lec­tion apparem­ment dis­parate, mais aiman­tée par ce même noy­au de sens, la résis­tance. Rien d’une jux­ta­po­si­tion de mono­gra­phies aboutées, où le cri­tique s’efforce d’entrer dans la peau, dans la pen­sée du poète ou de poètes suc­ces­sifs, ce qui entraîne sou­vent dérive para­phras­tique et délire inter­pré­tatif. La méth­ode Lon­gen­bach est sin­gulière. En fait, elle très proche de celle de Ben­véniste dans ses notes sur Baude­laire, que l’on vient de redé­cou­vrir et dont on fait grand cas actuelle­ment. Démarche à la fois abstraite et mod­este­ment con­crète qui, sim­ple­ment, sert les œuvres, fait voir, et c’est le rôle du cri­tique, faire voir dans le texte ce qu’on n’aurait pas vu. Tout ce qu’on ne sait pas qu’on entend.

Le poème de Franck Bidart, « La sec­onde heure de la nuit », par exem­ple, est presque incom­préhen­si­ble si l’on est pas aidé :

 

Par une telle nuit, à une telle heure,

lorsque les habi­tants du tem­ple du délice
pren­nent tous un visage
dif­férent bien sûr pour chacun,

mais pour cha­cun de nous, unique ; -

quand l’avatar présent de puis­sances absentes
à tra­vers lui présentes, pour cha­cun différentes,

arrive en fin de ligne d’autres plus anciens hôtes
du tem­ple du délice, dif­férent pour chacun : -

quand le suiv­ant veut son portrait
et que par un méchant tour des lignes, de la lumière et de la nuit
je vois qu’ils sont tous

 le même le même le même le même le même le même –

  par une telle nuit 
                               à une telle heure

  … grâce est le rêve, à demi-rêve, à demi-

  lumière, où vous appa­rais­sez et ne répon­dez pas

  à la ques­tion que j’ai posée, mais avec courtoisie
 me deman­dez (car vous êtes mort) si vous pouvez

   emprunter un peu, habiter mon corps.

 

 

Dif­fi­cile de saisir que cet extrait, une seule phrase de 21 lignes évo­quant des fan­tômes, par­le de la fin du vers ! Lon­gen­bach nous aide à appréhen­der des textes d’une dif­fi­culté équiv­a­lente, qui auraient pu nous rebuter. 

Les essais cri­tiques sont sou­vent com­pacts. Ici, il suf­fit de feuil­leter pour voir que la trame est celle des poèmes, pas de la glose ; ce sont en fait des expli­ca­tions de textes de tal­ent, ori­en­tées selon une logique exigeante, rigoureuse et sin­gulière, celle de cette fameuse Résis­tance, et ponc­tuées de con­sid­éra­tions orig­i­nales, par exem­ple, ces mots de Winnicott : 

« On peut décel­er chez tous les artistes un dilemme con­sti­tu­tif : le besoin urgent de com­mu­ni­quer, et le besoin encore plus urgent de ne pas être décou­vert . Être trou­vé est une cat­a­stro­phe, mais ne pas être cher­ché est une tragédie». C’est de cela que s’alimente la résistance.

 

2 Sin­gu­lar­ité de cet ouvrage cri­tique – le con­cept de résistance

Il est temps d’en venir au plat de résis­tance, de nous attarder sur le titre du recueil, et sur sa thèse tit­il­lante pour l’esprit.

Résis­tance à la poésie. Et résis­tance de la poésie à elle-même. Oxy­more dialec­tique. « La poésie est son pro­pre meilleur enne­mi », écrit  Longenbach.

Le con­cept de résis­tance est sans doute choisi, entre autres, mais là je m’avance peut-être, comme une réplique à Ezra Pound, qui définis­sait le poésie comme Insis­tance (martel­er la pensée).

 

Le pre­mier sens, le plus obvie, est celui de la résis­tance des lecteurs à la poésie, qui n’a jamais aucun suc­cès, ou qui en a trop.

Cette facette est traitée dans le pre­mier chapitre, qui rap­pelle que la poésie a tou­jours été une force, dont poli­tique, d’un impact dif­férent dans l’Antiquité, en Irlande, à Brook­lyn ou à Moscou. On y lit le paysage actuel, où la poésie est gal­vaudée, éven­tée, vapor­isée. Nous sommes aus­si amenés, de façon déli­cate­ment implicite, à nous dire que nous-mêmes qui pré­ten­dons l’aimer, ne lui faisons pas suff­isam­ment con­fi­ance. C’est ce sens de NOTRE résis­tance à la poésie, que j’ai choisi pour illus­tr­er la cou­ver­ture, par un stam­nos (vase ser­vant à con­serv­er le vin pur, moins pan­su que le cratère, sou­vent avec cou­ver­cle) grec du VIème siè­cle, représen­tant Ulysse lig­aturé à son mât, arc-bouté, résis­tant au chant des sirènes, si bien que l’une choît la tête en bas. C’est une fig­ure rouge pleine d’humour, on dirait une bande dessinée.

 

 

 

                                                 

             

Avec la Résis­tance, Lon­gen­bach invente un con­cept. Non total­isant, post-mod­erne si l’on veut puisqu’il se retourne con­tre lui-même. À la fois tran­si­tif et intran­si­tif. L’anglais peut par­ler de self–resistance. Résis­tance du soi, résis­tance à soi. Auto-résis­tance Les poètes sont tou­jours des résis­tants, au sens com­mu­nau­taire ou indi­vidu­el. Tou­jours exer­cés à la résis­tance per­son­nelle. Joë Bous­quet, ce gisant debout, avait déjà par­lé de la poésie comme résis­tance. Dans Le tra­vail vivant de la poésie, Jérôme Thiélot con­sacre un très beau chapitre à la résis­tance de Joë Bous­quet, où les idées avancées sont proches des thès­es de Lon­gen­bach, sim­ple­ment Jérôme Thiélot ne mon­tre pas cette résis­tance en acte dans la poésie de Bous­quet, à l’oeuvre dans ses poèmes. Lon­gen­bach est plus vivant, il a un point de vue de poète. Jean-Luc Nan­cy a inti­t­ulé Résis­tance de la poésie un de ses ouvrages. Lon­gen­bach dit « résis­tance à ». C’est un Con­cept de poéti­cien, mais un con­cept tout de même. Begriff en alle­mand. Vilain mot. Mais c’est le bon, un con­cept per­met de sur­sumer des phénomènes apparem­ment éloignés, voire con­tra­dic­toires, et de don­ner d’autres idées. Ce n’est pas un con­cept expli­catif, cela n’explique rien, mais heuris­tique. Nous ne déflorons pas le secret de la poésie, nous l’approfondissons, comme les esclaves de la Vie antérieure de Baude­laire. A‑t-on besoin de con­cepts en poésie ? Il me sem­ble que oui, quand ils sont justes. Le poète est Flüge und Klaue. Aile et griffe. Aile et serre, dit Hoffmannsthal.

Cepen­dant, nous résis­tons, nous-mêmes, à ce con­cept. Du moins lui ai-je d’abord résisté : la valeur d’un poème n’est pas for­cé­ment dans son her­métisme, sa dif­fi­culté. Nous aimons aus­si les poèmes qui coulent de source, les Poèmes bleus de Georges Per­ros par exemple.

 

 Mais ici comme ailleurs je sais que la beauté
N’est la plu­part du temps que la simplicité.

 

écrit Apol­li­naire, en deux vers qui, notons-le, expri­ment une pen­sée cri­tique. Mais nous savons bien que les poèmes faciles sont aus­si, très sou­vent, de piètres poèmes, des poèmes faibles, des ren­gaines. Que les mau­vais poèmes, les vers de mir­li­ton, de boîte de choco­lats comme on dit en anglais, fonc­tion­nent ain­si. Qu’est-ce qui fait la dif­férence entre Minou Drou­et et Apol­li­naire ? N’y a‑t-il pas des poèmes faciles, sans résis­tance, qui soient de bons poèmes ? Et je me pre­nais comme exem­ple ce pas­sage de « Vitam impen­dere amori » :

 

Encore un print­emps de passé
Je songe à ce qu’il eut de tendre
Adieu sai­son qui finissez
Vous nous revien­drez aus­si tendre.

 

Rien de plus limpi­de. Cela ne résiste pas, pour­tant c’est irré­sisitible. Ni rup­ture, ni ambiguïté, syn­taxe enfan­tine. Cepen­dant, à bien lire, ce n’est pas si sim­ple. Quand Apol­li­naire dit « adieu », c’est sérieux. Or ici l’adieu pré­sume du retour. Celle qui revien­dra n’est pas celle qui par­tit. Et la sai­son n’en est pas vrai­ment une. Apol­li­naire s’adresse à autre une. On a beau le lire et le relire, le poème résiste : c’est un irré­ductible. Son dire ne se réduit pas à son dit.

 

Nous aimons ce qui résiste, et nous aimons ce qui coule de source. Nous aimons ce qui résiste tout en nous don­nant de la joie. C’est cette qual­ité de joie sin­gulière qu’interroge Longenbach.

 

Il y va par­fois un peu fort : « Un poème ne dit une chose que par ce qu’il men­ace d’en dire une autre ». Le verbe men­ac­er (to threat­en) est très fort. En est-il vrai­ment ain­si ? Pourquoi pas ? Prenons le titre d’un recueil de Claude Roy : Sais-tu si nous sommes encore loin de la mer ? Sous la mer on entend la mort, mer est miné par mort, inter­pré­ta­tion con­fir­mée par l’intérieur du recueil. Il en va tou­jours ain­si en poésie, l’oreille interne entend les har­moniques, les asso­nances tues.

 

Tous les poèmes font cela, de divers­es façons. La démarche des objec­tivistes, qui voulait débar­rass­er les mots du halo de sig­ni­fi­ca­tions qui les entourent, per­dait le poème avec. Lon­gen­bach le mon­tre avec esprit. Le pur « il y a », la présence pure, n’existe pas plus que la poésie pure. Pas plus que l’Être avec un grand air.

 

Par un retourne­ment inat­ten­du, le dernier chapitre affirme que l’émerveillement ne peut exis­ter que si on lui résiste, le tient à dis­tance, comme dans ce poème de Louise Gluck, « Octobre » :

 

Viens à moi, dit le monde.
Cela ne veut pas dire
qu’il ait par­lé exacte­ment avec des phrases,
mais que de cette manière j’ai perçu la beauté.

 

Le soleil se lev­ait. Une pruine
cou­vrait toute chose vivante. Des flaques de lumière froide
bril­laient dans les rigoles.

Je me tenais debout
dans l’embrasure de la porte,
même si ça sem­ble à présent ridicule.

Ce que d’autres trou­vaient dans l’art
je le trou­vais dans la nature. Ce que d’autres
Trou­vaient dans l’amour humain
Je le trou­vais dans la nature.
Très sim­ple. Mais il n’y avait pas de voix.

L’hiver était fini. Dans la boue du dégel
appa­rais­sait un peu de gris.

Viens à moi, dit le monde,
dans mon man­teau de laine j’étais comme debout à un bril­lant portail –
et finale­ment je peux dire
il y a longtemps ; dont plaisir considérable.

 

Pareil retourne­ment sug­gère que la poésie est une con­nais­sance, sans doute la plus pro­fonde qui soit, dans la mesure où, ne sachant plus qui résiste à qui, l’objet et le sujet se con­fon­dant, la résis­tance devient la dynamique qui porte un poème et le lieu où il se noue. En fait c’est un con­cept qui reprend à nou­veaux frais l’idée d’inspiration, puisque la résis­tance est à la fois pas­sive et active ; il rend compte du para­doxe de l’inspiration, elle qui tout en étant un cadeau, oblige le lan­gage à se sur­pass­er, à se dépass­er. Cela dit, chez Lon­gen­bach aucune pos­ture de l’impuissance à dire, aucune com­plai­sance devant l’innommable ou l’indicible, aucune thé­ma­ti­sa­tion pesante du retrait. L’impossibilité de tout dire est une béné­dic­tion que dévoile le chapitre 8.

Non que le retrait, le hia­tus, la lacune entre les mots et les choses, entre le monde et nous, la langue sociale et la langue secrète, le rêve d’une intéri­or­ité du monde, ne soit pas envis­agé, mais tou­jours Lon­gen­bach insiste sur le manque de tact qui con­siste à thé­ma­tis­er une ques­tion, celle-là comme une autre. Ce n’est pas parce qu’un poète affiche explicite­ment son désir de retrait du monde qu’il est mys­tique. Ron­sard, qui sub­li­mait comme pas un, est aus­si mys­tique que Cédric Demangeot :

 

Le don de poésie est sem­blable à ce feu
Lequel aux nuits d’hiver comme un présage est vu…

 

« Mignonne allons voir si la rose » n’est pas une ren­gaine, brûle d’un feu voilé, résiste à jamais.

La façon dont est écrit un poème, s’il est réus­si, amène le lecteur à saisir ce qui est en jeu, sans que le prob­lème soit explicite­ment for­mulé. Son écri­t­ure doit génér­er une énergie suff­isante pour que sa thé­ma­tique implicite reti­enne l’attention.

La poésie dit ce qu’elle peut dire, qui n’est pas l’absolu, pour Lon­gen­bach du moins — c’est de lui que nous par­lons, mais on peut penser autrement — qui n’est pas tout, surtout pas tout, et le dit avec ses moyens à elle, que le poéti­cien analyse hum­ble­ment, en gram­mairien. De la gram­maire à la théolo­gie, et à plus forte rai­son à la poé­tolo­gie, il n’y a pas loin.

Pas de méta­physique explicite, comme dans L’expérience poé­tique de Renaud de Réneville, ou Poésie et Philoso­phie, de Maria Mam­bra­no, de beaux livres et pro­fonds, mais qui ne don­nent pas à voir en quoi un poème est beau, ce que dit l’auteur valant pour les bons poèmes comme pour les mau­vais. De toutes façons, la poésie vue seule­ment comme exer­ci­ce spir­ituel court-cir­cuite l’expérience, allant trop vite à la lumière.

Lon­gen­bach ne par­le jamais directe­ment de l’inspiration, il l’aborde de biais.

La cou­ver­ture de l’édition améri­caine porte le tableau de Chiri­co, « L’inspiration du poète », con­tem­po­rain de son por­trait d’Apollinaire :

 

 

 L’inspiration est partout présente, implicite­ment, à tra­vers le terme de Won­der, qui sig­ni­fie aus­si mir­a­cle. Le con­cept de résis­tance allie le côté inspiré et le côté arti­sanal, la par­tie man­u­fac­turée de l’invention poétique.

Et la résis­tance sur­git au cœur du livre par une image sub­rep­tice, inat­ten­due, d’un poème d’Ellen Bri­ant Voigt, « L’art de la distance » :

 

                   Le Benedicite
ma grand mère le dis­ait debout
s’entourant la main de son tablier
pour ôter de son rond la poêle en fonte et l’apporter
à la table des hommes. Elle fini­ra brûlée, dis­aient ses filles
le dimanche, en vis­ite avec moi, s’en prenant à mon oncle,
mais elle, per­sis­tait à nour­rir de ses doigts le four bas
et ses vieux enfants en tutelle

fendaient le bois et le traînaient
pui­saient l’eau et traî­naient le seau, coupaient le foin et le traî­naient, traînaient
le cochon la vache et les fientes, soule­vant des nuées de mouches.
Ne fourre pas ton nez dans la grange, dit mon oncle, qui m’avait surprise
En con­tem­pla­tion devant la trou­vaille : tresse épaisse pen­dant d’une poutre,
deux ser­pents noirs se tor­dant là, fil incandescent,
mèche ardente.

Que voulez-vous savoir de plus ?

 

Quelle chose étrange, au milieu des fientes, que ce fasci­nant tal­is­man : Deux ser­pents noirs se tor­dant là, fil incan­des­cent, mèche ardente.

 

Lon­gen­bach ne com­mente pas, mais Helen Bri­ant retrou­ve ici, sans doute incon­sciem­ment, un très ancien sym­bole des cultes à mys­tères de l’Antiquité, qui représente un ciste (une cor­beille) que seuls les ini­tiés peu­vent ouvrir sans péril, et d’où jail­lis­sent deux ser­pents noués l’un à l’autre, comme sur ce statère hellénistique :

 

 

 

 

 La notion de Résis­tance, sym­bol­isée par le dou­ble caducée de ces ser­pents incan­des­cents, est bien un arché­type, une struc­ture de l’imaginaire, un emblème, l’énigme de la parole se nouant au silence.

Les deux ser­pents sont en tor­sion, comme le sens dans un poème. Le poème les désigne par un mot appar­tenant au reg­istre de l’électricité (« a light fuse », une résis­tance, lit­térale­ment un fusible à lumière) ; et en même temps il s’agit d’animaux, c’est une image biologique. J’ai essayé d’ausculter cette notion turlupinante.

Qu’est-ce qu’une résis­tance élec­trique ? Lon­gen­bach n’en par­le pas, mais rap­pelons-nous que c’est un cir­cuit de matéri­aux non con­duc­teurs qui ralen­tit le pas­sage du courant, et qui du même coup oblige la chaleur à se dégager, la lumière à ray­on­ner. Une résis­tance con­ver­tit l’énergie. C’est une sorte de trans­for­ma­teur. Trans­for­ma­tion d’une forme de vie par une forme de lan­gage, et récipro­que­ment. La valence d’un poème se mesure à sa capac­ité de retenue. Quel est le con­traire de la résis­tance ? La con­duc­tiv­ité. Le lan­gage poé­tique a ceci de par­ti­c­uli­er, qu’il est résis­tant ET con­duc­teur, con­voyeur, c’est un phar­makon, remède et poi­son, comme l’écriture dans le Phè­dre de Pla­ton. Le verbe anglais « to con­vey» — induire, trans­met­tre, revient sans cesse dans le libret­to. La poésie ne décrit ni n’exprime, elle con­ver­tit et trans­met. Il se passe la même chose au niveau atom­ique : plus un élec­tron résiste à s’éloigner du noy­au, plus il dégage de la lumière. Notons au pas­sage que Pla­ton inti­t­u­la son dia­logue con­sacré à la poésie Ion, nom qui sig­ni­fie : « celui qui va ». D’où le nom de la par­tic­ule ION. Tout se passe comme si, au moment de la cristalli­sa­tion, créa­tion, inspi­ra­tion, qu’importe le mot, les liaisons, les cordes entre les mots se créaient selon une logique dif­férente de celle du temps ordi­naire. Plus cette logique est pro­fonde et souter­raine, plus la cohé­sion sera forte et illu­mi­nante. Les mots se con­stel­lent alors selon des liaisons plus solides, mais moins vis­i­bles, plus sub­tiles, rel­e­vant d’un autre espace/temps, selon une cohé­sion plus immatérielle. « L’âme est air et nous fait tenir » dit un poème de Charles Wright. La lec­ture du poème recrée ce dégage­ment de lumière, et le lecteur, refaisant le chemin du poète, éprou­ve comme joie cette résis­tance et sa lumière. Chaque chapitre explore une façon dont se créent entre les mots des liens sou­vent d’autant plus forts qu’ils sont invis­i­bles, et inter­roge cette joie. L’hermétisme n’est pas ici le but. Il ne s’agit pas d’une esthé­tique de l’obscur, d’un désir d’être incom­préhen­si­ble, d’un refus du sens, mais d’atteindre une lisière, une orée de sens inouïe, qui scin­tille entre les mots, aux con­fins de l’esprit lisant. Tels ces derniers vers du poème de Wal­lace Stevens, « The snow-man », dont le début « Il faut avoir un esprit d’hiver »… a d’ailleurs don­né son titre à l’un des beaux romans de cette ren­trée, Esprit d’hiver, de Lau­ra Kasischke :

 

                         Il faut avoir un esprit d’hiver (…)
                                                             pour ne penser
À aucun mal­heur dans le bruit du vent
Dans le bruit que font quelques feuilles

Qui est le bruit de ce pays
Empli du même vent
Qui souf­fle au même endroit désert

Pour celui qui l’écoute, écoute dans la neige
Et, n’étant rien lui-même, qui regarde sans voir
Rien de ce qui n’est là, et le rien qui est là.

 

Tor­sion du sens s’il en est…

Mais la plus façon la plus facile de ralen­tir le lan­gage est d’aller à la ligne. Non seule­ment la poésie va à la ligne plus sou­vent qu’à son tour, mais un poème réus­si nous amène à le lire à recu­lons, la syn­taxe nous pres­sant d’avancer, les jeux du sens et des sons nous tirant vers l’arrière. Pourquoi va–t‑on à la ligne en poésie ? demande le chapître 2, qui joue sur les deux sens de l’expression : La fin du vers.

1 Le vers libre est-il la fin du vers, sa dis­pari­tion  ? Et là, mag­nifique réc­it de l’invention du vers libre par Pound, Eliot et Mar­i­anne Moore. On a sous les yeux les dif­férentes ver­sions d’un poème de cette dernière, le vers libre s’invente sous nos yeux. 

2 Et puis, que se passe-t-il il à la fin du vers, au bout de la ligne ? Le vers, VERSUS, prend toute sa valeur de ver­sa­til­ité, d’inadvertance ou d’advertance, de tour­nant, où s’origine d’ailleurs le mot. Les vers ne sont pas des tronçons, des seg­ments dis­con­ti­nus séparés par du blanc, on attend la poésie au tour­nant. Il ne suf­fit pas de saucis­son­ner un texte pour en faire un poème. Beau­coup de choses s’attrapent en pas­sant à la ligne. D’où les mag­nifiques analy­ses de poèmes d’Ashbery, le maître améri­cain de l’enjambement. Lon­gen­bach scrute 3 façons de pass­er à la ligne : la pause finale (le vers clos sur lui-même), la pause explica­tive, et la contrapuntique.

 

Nous percevons alors l’écriture comme curvil­inéaire, et le poème comme une nouai­son. L’art des nœuds est plus com­plexe que celui du tis­sage, le but étant, naturelle­ment, le nœud sans noeud, la lib­erté. Cet essai échappe au cliché du texte comme tis­su, tis­sure, tex­ture, tunique avec ou sans cou­ture etc. La ver­sa­til­ité est l’une des plus belles cordes de la lyre. Le chapitre « On the oth­er hand », « Mais d’un autre côté », « L’alternative », con­sacré au « ou » dans la poésie, au « ou » par lequel procède la pen­sée poé­tique, est excel­lent. Lon­gen­bach y cor­rige Eliot, et le fait très bien. C’est rare qu’un poéti­cien se per­me­tte de cor­riger un auteur con­sacré. Je n’en dis pas plus, que le sus­pense reste entier.

 Car Lon­gen­bach est un maître du sus­pense… C’est un des charmes de l’esprit anglo-sax­on. Tous les poèmes cités ici sont emplis d’un sus­pense sin­guli­er, d’un côté énig­ma­tique captivant.

 

3 De la sin­gu­lar­ité de la poésie améri­caine – quelques indices

Venons en donc à l’autre point fort, pour nous français, de cet essai : offrir au pas­sage un panora­ma de la poésie améri­caine dans sa diver­sité. « Le XXème siè­cle aux Etats-Unis est celui de la poésie », annonce Jacques Roubaud dans sa pré­face à son ouvrage de 1980 : 20 poètes améri­cains. Ce libret­to en est une superbe preuve.

 

Au XIXème siè­cle déjà, le prési­dent assas­s­iné, Abra­ham Lin­coln, écrivait de la poésie…

Dépayse­ment assuré, mais pas for­cé­ment comme on l’attendait. Du moins pas comme je l’attendais. Nous emprun­tons sou­vent aux Etats-Unis le pire ; de plus, croy­ant importer des nou­veautés, nous nous embar­ras­sons d’options avant-gardistes là-bas dépassées depuis longtemps : les impass­es de l’imaginisme, du mod­ernisme (pour faire vite, le mod­ernisme sub­sti­tu­ait comme art de référence pour la poésie la pein­ture à la musique) pour lesquels Lon­gen­bach est très cri­tique, mais jamais méchant. Diplo­mate : dip­lo-mati, œil dou­ble, le lan­gage de la poésie, et de la cri­tique, est proche de celui de la diplo­matie. Lon­gen­bach ne pour­fend pas, il tente la défense et illus­tra­tion de la poésie, ce qui est beau­coup plus difficile.

Il nous fait ain­si décou­vrir une tra­di­tion raf­finée, dif­férente, enrichissante. Essayons de l’évoquer en 2 mots, au risque de simplification.

 

La pen­sée mar­quante du XXème siè­cle aux USA ne fut ni le spir­i­tu­al­isme, ni l’Heideggerianisme, ni l’existentialisme, ni le marx­isme, ni le struc­tural­isme, mais le prag­ma­tisme ou prag­mati­cisme, mot trop laid pour être kid­nap­pé, c’est pourquoi il fut choisi. Le pro­pre de cette philoso­phie est de ne pas con­sid­ér­er la ques­tion de la vérité, mais celle de la croy­ance. La notion de fic­tion n’y est pas opposée à celle de vérité. La lit­téra­ture, qui est une affab­u­la­tion sincère, n’y est pas empêtrée par la ques­tion de la vérité. N’a aucune dif­fi­culté avec le men­tir-vrai. On lira avec prof­it l’analyse de Lon­gen­bach du recueil de Georges Oppen, inti­t­ulé Pour une fic­tion suprême. 

Ce n’est pas un empirisme, mais une philoso­phie pre­mière fondée sur l’expérience, qui ne déval­orise pas la vie ordi­naire par rap­port à l’ontologie, qui ne cherche pas la clarté absolue, qui admet comme inévita­bles le vague, le flou. Et s’en délecte. On voit par là qu’elle fraie le chemin de la poésie. D’autant que la poésie améri­caine s’est définie à l’origine par réac­tion à la tra­di­tion bri­tan­nique, comme démoc­ra­tique, comme celle de tout le monde. Au même moment, d’ailleurs, Apol­li­naire écrivait à Cocteau : « Nous sommes les derniers rois ».

 

Et puis, le prag­ma­tisme a tou­jours pris en compte le rythme de la pen­sée : « Qu’est-ce que la croy­ance ? C’est la demi-cadence qui clôt une phrase musi­cale dans la sym­phonie de notre vie intel­lectuelle », écrit Charles Peirce, philosophe et logi­cien. On dirait une pen­sée de poète…

 

D’autre part le prag­ma­tisme n’a pas une con­cep­tion dual­iste du signe, comme celle de Saus­sure, mais ter­naire, celle de Peirce, qui tient ensem­ble la désig­na­tion et l’appel, le « faire signe ». Sémèno (d’où vient séman­tique) en grec sig­ni­fie : son­ner les cloches. Ce qui a sans doute per­mis aux poéti­ciens comme aux poètes améri­cains d’intégrer plus facile­ment, con­sciem­ment ou pas, le fait que le poème ne par­lait pas d’une chose, mais la fai­sait, et l’adressait. Un je s’adressant à un je, pas for­cé­ment au désert.

Enfin, le tour­nant lin­guis­tique a été pris plus tôt aux USA, si bien que la décon­struc­tion y fut une opéra­tion ana­ly­tique, mais non destruc­trice, lais­sant les choses en état. Le but est de débar­rass­er la pen­sée des cram­pes men­tales, de laiss­er tomber les faux prob­lèmes, d’alléger. Le seul philosophe auquel se réfère Lon­gen­bach est Wittgen­stein. Pas besoin de tout cass­er pour inven­ter du nou­veau. Ce qui explique que les USA aient pu don­ner nais­sance à de grands poètes con­tem­po­rains, dont les plus authen­tiques résis­taient à être sociale­ment val­orisés comme poètes et ne posaient pas à l’échevelé : Dick­in­son n’a rien pub­lié de son vivant, Mar­i­anne Moore n’apparaissait pas en pub­lic, William Car­los William était sim­ple médecin de cam­pagne, Wal­lace Stevens fonc­tion­naire, Georges Oppen syn­di­cal­iste et ingénieur.

 

L’histoire lit­téraire s’accorde à recon­naître comme ini­ti­a­teurs de la poésie améri­caine Whit­man et Dick­in­son. Car Edgar Poe, européanisant, et Longfel­low, uni­ver­sal­iste, n’étaient pas vrai­ment améri­cains. Rien de plus opposé que Whit­man et Dick­in­son ; tous deux étaient cepen­dant protes­tants, ce qui donne for­cé­ment une col­oration autre. Une autre con­cep­tion de la tran­scen­dance, et du lan­gage. Pas de lita­nies, par exem­ple, dans le protes­tantisme. Péguy s’est mag­nifique­ment inspiré des lita­nies, mais il est le seul. La poésie française tombe facile­ment dans une cer­taine indi­gence syn­tax­ique, sat­urée de relances répéti­tives, monot­o­nes, arti­fi­cielles. Or la syn­taxe est poéti­s­able, et cela sans avoir besoin de la faire explos­er. De nom­breux poèmes du recueil sont témoins de cette subtilisation.

 

Revenons à Whit­man. Le très long poème qu’est Leaves of Grass intro­dui­sait, aux orig­ines de la poésie améri­caine, le réc­i­tatif. Quand la poésie con­tem­po­raine cherche l’immédiat, elle tombe sou­vent dans la com­plai­sance du bavardage con­fes­sion­nel ; ou bien dans le ver­set, déclam­a­toire et affec­té ; ou bien dans le déroulé brut du flux de con­science, ou bien dans le min­i­mal­isme exsangue, le vide n’étant pas seule­ment celui des blancs de la page, ou bien dans l’écoeurante atten­tion à la cor­poréité, tra­vers surtout féminin. La prose du Transsi­bérien n’a pas eu de descen­dance nette, à part Hen­ri Michaux, alors que la poésie améri­caine, avec Pound et Eliot, puis aujourd’hui Jorie Gra­ham et bien d’autres, a su préserv­er le par­ler-chanter du réc­i­tatif. La poésie améri­caine me sem­ble vol­er sur des ailes plus étendues.

 

Leaves of Grass donne aus­si le ton, spir­ituel, inven­tif. C’est un immense poème, pro­fond, extra­or­di­naire, mais c’est aus­si un can­u­lar, une empoigne per­pétuelle entre écrivain et lecteur, d’un dynamisme fou. L’édition orig­i­nale ne por­tait ni nom d’auteur, ni titres de poèmes, ni table des matières. Évo­quer l’humour anglo-sax­on est enfon­cer une porte ouverte, mais l’humour est le con­traire de l’ironie. Il n’est pas destruc­teur. Il est surtout une forme de pudeur. Un cer­tain ver­sant oulip­i­en, fab­ri­ca­teur, par­o­dique, de la poésie française est au fond méprisant pour la poésie. L’humour implique un regard cri­tique y com­pris sur soi. La bonne poésie intè­gre le regard cri­tique, sinon elle se con­damne à la red­ite. Les humoristes, rien de plus sérieux qu’un humoriste, sont des poètes en puis­sance, sinon en acte. Là, comme sou­vent, l’anglais est plus riche que le français, il pos­sède deux mots pour l’action de la muse : to amuse, amuser, et to bemuse, charmer, décon­te­nancer. Alliance de grav­ité et de légèreté, dont la sprez­zatu­ra de John Ash­bery est un mag­nifique exem­ple. En art la forme se moque de la forme, la poésie de la poésie. Mais il y a plusieurs façons de se moquer.

 

De l’autre côté, Dick­in­son. Lap­idaire, vir­tu­ose et pen­sante. À la fois spon­tanée et réflex­ive. Génie ès-énigmes, lesquelles, au lieu de faire éclater le monde, l’éclairent. C’est la lignée de Mar­i­anne Moore, Wal­lace Stevens, Antony Hecht. La poésie digne de ce nom, comme la lit­téra­ture en général, sait faire appa­raître à peu de dis­tance, voire dans la même phrase, dans le même vers, voire en même temps, des sen­sa­tions et des pen­sées. S’il n’y a que du sen­si­ble, c’est de l’impressionnisme. « On n’écrit pas de poésie avec des idées, mais avec des mots », dis­ait Claudel. C’est un bon mot, mais dou­teux. Car une idée, une pen­sée, s’élabore avec des mots, cer­tains mots mis dans un cer­tain ordre. Les poèmes présen­tés ici ne tombent pas dans l’idolâtrie du mot. Échap­pent aus­si à la plaie du descrip­tif. Ils réfléchissent, à des sujets graves, la cul­pa­bil­ité, la jus­tice, le total­i­tarisme, la guerre. Ceux de Frank Bidart, de Georges Oppen surtout, dans son célèbre poème Of being Numer­ous - « Faire nombre ». 

 

Obsédés, effarés
Par le naufrage du singulier
Nous avons choisi l’importance de faire nombre.

 

 Ils n’ont pas peur des mots, et encore moins des idées. La poésie améri­caine est han­tée par la guerre du Viet­nam. Et par le 11 sep­tem­bre, qui fut un trau­ma­tisme ter­ri­ble pour les États-Unis. Les chants du matin se sont tus. À ceci près, qu’au lieu de se deman­der : « Pourquoi des poèmes par temps de dérélic­tion ? », les Améri­cains épinglèrent aux ves­tiges des tours mas­sacrées… des poèmes. Voici com­ment Louise Glück, dans son recueil Octo­bre, qui suit ce sep­tem­bre-là, trans­forme en bifur­ca­tion la voie sans issue :

 

Je suis
au tra­vail, bien que silencieuse.

La fade

mis­ère du monde
nous serre de chaque côté, comme une allée

bor­dée d’arbres ; nous nous tenons

com­pag­nie ici, sans parler,
cha­cun dans ses pensées ;

der­rière les arbres le fer forgé
des por­tails de maisons privées,
                  volets fermés,

l’air désert, abandonné,

comme si l’artiste avait
le devoir de créer
de l’espoir, mais avec quoi ?

le mot lui-même,
faux, un arti­fice pour réfuter
la per­cep­tion – À l’intersection,

les lumières orne­men­tales de la saison.

J’étais jeune alors. Voyageant
en métro avec mon petit livre
comme pour me défendre

con­tre ce même monde :

tu n’es pas seule
dis­ait le poème
dans le som­bre tunnel.

 

Dans un poème, il faut qu’il se passe quelque chose. Or il ne se passe sou­vent rien. D’où la réti­cence, sou­vent jus­ti­fiée, du lecteur, qui n’est pas plus bête qu’un autre. Sou­venons-nous d’Aristote (Rhé­torique III,1407a-33) : « Comme ces gens–là n’ont rien à dire, ils écrivent de la poésie ».

Il me sem­ble, mais là je m’avance sur la pointe des pieds, que la poésie française est un peu exsangue au jourd’hui. Elle a un côté néo-pla­toni­cien, Plotin revient à la mode en ce moment, si bien qu’elle est une ren­trée sans sor­tie. Or il faut sauver les phénomènes, dis­ait Arisote, encore lui. Il faut sor­tir par l’intérieur, dis­ait Maître Eck­hart. Aris­tote, ce n’est pas parce qu’Aristote l’a dit que c’est faux, c’est génial Aris­tote quand on prend la peine de le lire, com­mence d’ailleurs  sa Poé­tique comme suit :

« Nous allons par­ler de l’art poé­tique en lui-même, de la manière dont il faut com­pos­er l’intrigue (le mythos) ».

Le théâtre et le roman n’ont pas le priv­ilège de l’intrigue. Il existe une forme poé­tique de l’intrigue. On pour­rait même forcer le trait, et soutenir qu’au fond, dans un roman l’histoire nous importe peu : les fonc­tions du réc­it sont assez lim­itées, on en a vite fait le tour, et ce qui nous cap­tive dans un roman est son écri­t­ure. C’est quand un poème racon­te une his­toire, que ça devient intéres­sant. Pensez à « La berline arrêtée dans la nuit », de Miloscz, un des plus beau poèmes de langue française à mon sens. À la fois une his­toire et une scène à plusieurs per­son­nages. Il me sem­ble qu’un poème digne de ce nom est à la fois une évo­ca­tion et l’appel à un accom­plisse­ment. Ce qui frappe chez ces poètes améri­cains, évidem­ment bien choi­sis, c’est qu’ils n’hésitent pas à racon­ter des his­toires, aux deux sens de l’expression. C’est vrai­ment intéres­sant, car para­dox­al : on pour­rait penser que cet essai, val­orisant le dire plutôt que le dit, allait priv­ilégi­er la chan­son, plutôt que l’histoire. Or c’est l’inverse, il réha­bilite à part égale l’histoire, le nar­ratif, l’épique sous toutes ses formes, le dis­cur­sif même. Si la langue d’écriture d’un poème résiste suff­isam­ment, s’il a, si je puis dire, une résis­tance de qual­ité, il peut soutenir un con­tenu dis­cur­sif. Ça, c’est vrai­ment bien, et ouvre des pos­si­bles. D’une manière générale, l’essai ouvre toutes les pos­si­bil­ités, n’en ferme aucune. Il met en valeur la ver­tig­ineuse lib­erté de la poésie contemporaine. 

 

C’est bien un ouvrage d’esthétique. Il par­le de la poésie en tant qu’art, et nous offre des armes cri­tiques. Kri­sis en grec sig­ni­fie juge­ment. Il nous aide à faire la dif­férence entre des cordes et… des ficelles. Il n’y a pas de recette pour cela ; sim­ple­ment, ayant écouté réson­ner, dans la con­so­nance ou la dis­so­nance, les cordes de poèmes de valeur, notre oreille est mieux à même de voir la beauté là où elle nous échap­pait, et inverse­ment de ne pas pren­dre des vessies pour des lanternes. Nous avons tou­jours su d’instinct juger un poème : nous dis­ons « ça tient », « c’est ten­du », ou au con­traire, « c’est mou ». Nous savons qu’une résis­tance de qual­ité n’a pas une obso­les­cence pro­gram­mée, qu’elle sou­tient des lec­tures répétées. Ce libret­to affine notre sens de la résis­tance, nous aide à acquérir un touch­er d’aveugle, car l’évaluation de la résis­tance appar­tient au sens du touch­er, comme en musique, il nous exerce à lire un poème les yeux fer­més, en pen­sant la note.

Vous souhai­tant une pas­sion­nante quête out­re-atlan­tique, je laisse à votre médi­ta­tion, pour pour­suiv­re cette réflex­ion sur la poésie, quelques vers extraits du recueil Goezt, de Cole Swensen, poète améri­cain vivant dont ne par­le pas ici Longenbach :

 

                                        Nous sommes passés
                                        juste à côté de la mer­veille, nous avons franchi le seuil
                                       de la ten­sion de la sur­face, jetant des notes dans la marge
                                       et mal­gré tout, elle nous emplit d’effroi.

 

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