À Bor­deaux comme partout ailleurs il y a le in et le off. En matière d’art, le off, c’est le musée de Bègles. Éti­queté art brut, il offre tous les deux mois une nou­velle expo­si­tion. Cette insti­tu­tion, portée par la rigoureuse pas­sion con­jointe de con­ser­va­teurs et d’un maire hors normes (Gérard Cen­drey, Pas­cal Rigeade & Noël Mamère), est la plus créa­tive et la plus réjouis­sante de la région.

L’art brut est un ter­ri­toire accueil­lant, à des artistes qui se sont affran­chis de l’esprit de sérieux (San­fourche, par exem­ple) et à des auto­di­dactes qui font œuvre de leur com­bat quo­ti­di­en avec la souf­france psy­chique. On sait com­bi­en fut enrichissante la ren­con­tre entre Artaud et le Dr Fer­dière, un des pre­miers psy­chi­a­tres à mesur­er l’importance de l’art dans le proces­sus thérapeu­tique. De nom­breuses œuvres se créent ain­si grâce à l’accompagnement de cen­tres de soins (en Bel­gique particulièrement).

Dans l’art brut, l’écriture occupe une place prépondérante et beau­coup de tableaux sont des poèmes. Con­sti­tu­ant un écart dans l’habi­tude “mono­graphique” de la mai­son, cette expo­si­tion unique­ment cen­trée sur des tableaux écrits, se jus­ti­fie pleinement.

Vouloir s’accrocher à l’art du cal­ligramme réduirait l’enjeu et la force de ces tableaux qui se foutent bien de tout ce qui est sco­laire et d’abord de l’orthographe. En échap­pant à la divi­sion entre savant et pop­u­laire, cette écri­t­ure se place aux lim­ites du com­mu­ni­ca­ble, man­i­fes­tant un esprit ludique et trag­ique à la fois. Chez Michel Dave (cf illus­tra­tion), la répéti­tion et les mots changeants com­posent une litanie hir­sute et ami­cale qui ren­voie — pour l’auteur de ces lignes — aux lim­ites de son pro­pre vocab­u­laire pour dire une si sim­ple réal­ité. J’aurais cher­ché des mots abstraits, des références, j’aurais eu envie de plaire ! L’enjeu pour un poète est de taille, me semble-t-il.

 

Pour le vis­i­teur de Bor­deaux qui aurait com­mencé par le Cen­tre d’art con­tem­po­rain avant de débar­quer à Bègles, l’exposition « Les mots à l’œuvre » a l’insigne audace de met­tre à nu cer­tains rêves que l’art plus offi­ciel traite tou­jours avec l’excuse de l’ironie et du sar­casme : plaisir de faire l’amour, de con­duire une auto­mo­bile, de ranger sa mai­son ou son jardin. Ici, c’est sans per­spec­tive cri­tique, l’artiste descend, joyeuse­ment et trag­ique­ment (je me per­me­ts d’in­sis­ter !), aux sources des pulsions.

Aucun sujet n’est tabou, il y a beau­coup d’objets et d’animaux, par exem­ple ceux en forme de cartes d’Ignacio Carles-Tolra.

Cer­tains textes — ici de Stani Nitkows­ki — son­nent aus­si comme de sacrées vic­toires sur le sort :

je voulais vivre, on me donne un corps
je voulais par­ler, on me donne des yeux
je voulais voir, on me donne une voix…
ain­si, de sutures en sutures me voici brinquebalant

 

 

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