Voici réu­nie en édi­tion bilingue anglais-français cinq recueil de poèmes d’Allen Gins­berg. Un parpaing flam­boy­ant ! C’est dire si ces quelques mille pages sauront sta­bilis­er sur les étagères de nos bib­lio­thèques les livres chance­lants de nos romanciers actuels.

Cinq livres : Real­i­ty Sand­wich­es (1963), Plan­et News (1968), Mind Breath/Plutonian Ode (1984), Linceul blanc (1986) et Cos­mopoli­tan Greet­ings (1994). Traduits par Claude Pélieu, Mary Beach, Yves Le Pel­lec et Françoise Bour­bon. Quin­tes­sence de l’œuvre d’une vie au poème nourrie.

Le pré­faci­er, Yves Le Pel­lec, intro­duit à l’œuvre de ce grand poète en soulig­nant le para­doxe qu’il y eut dans sa vie entre la veine intime, secrète, privée de Gins­berg et son per­son­nage pub­lic qu’il accep­ta d’assumer. Bohème, « inso­lent lib­er­taire que les Etats ten­tèrent d’emblée de cen­sur­er (Howl) », il devint à la fin de son exis­tence le poète vivant le plus con­nu du monde.

Gins­berg cou­rut les évène­ments, répon­dit présent aux fes­ti­vals poé­tiques, accep­ta les hom­mages offi­ciels, défendit les caus­es des droits de l’homme, des droits de la terre, se fit un cos­mopo­lite con­va­in­cu, déplo­rant la fail­lite morale de son pro­pre pays et applaud­is­sant « la sur­vivance mys­tique », comme le souligne son pré­faci­er. Il a fait du monde sa poésie, une sorte de globe-poète intéressé par tout et tous, se faisant européen parce que l’Europe le con­cer­nait, Africain parce que l’Afrique lui par­lait, Améri­cain parce que né pèlerin en Amérique, voyageur, défenseur, chanteur, chanteur d’abord, chanteur avant tout car là où son regard se posait, Gins­berg voy­ait la vie et savait la trans­muer en poème. Sa poésie est née de tout ce qu’il a vu, les petites choses, les choses hum­bles, les inspi­ra­tions grandios­es servies avec un lan­gage d’homme du XXème siè­cle. Pas de poèmes délais­sés. Pas de sujets n’appartenant pas au poème. Au fil du temps, on voit l’influence épique de Whit­man se met­tre en retrait, sa fas­ci­na­tion pour Blake devenir sa pro­priété par son lan­gage pro­pre, fait d’un sens hors du com­mun de l’ellipse.

Il faut lire Gins­berg, le lire à haute voix. C’est un évène­ment. La pièce immé­di­ate­ment se peu­ple d’une présence dont seuls les grands chamans du verbe sont capa­bles. Pos­er le livre sur une table solide et ouvrir à n’importe quelle page. Voy­ager dans son œuvre comme Gins­berg voy­ageait sur les ter­ri­toires du monde. On y gag­n­era à coup sur l’énergie qui était la sienne et qu’il sut, prodigieuse­ment, faire pass­er dans des poèmes inépuis­ables. Les dire à haute voix nous relie aux étoiles. Voy­age mer­veilleux où la mar­que de la vie appose son sceau à votre âme. La poésie de Gins­berg vaut tous les remon­tants du monde. Avant de par­tir au tra­vail, faite-vous une ligne de Gins­berg. De l’énergie pour la journée, et sans descente. Avec, cerise sur la gâteau, le pou­voir, inoculé par ses poèmes, de devenir soi-même inspiré en sa journée. 

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