Il y a, là, dans le monde, une somme con­stante de pres­sions supérieure à ce que nous pou­vons sup­port­er. Nous nous tenons cha­cun et ensem­ble emmi­tou­flés dans un brouil­lard si néces­saire­ment fam­i­li­er que nous ne voyons plus sa com­pac­ité ni la lumière dont il est fait – ni lui ni rien – nous ne voyons rien – c’est man­i­feste, cela se sur­prend à tous nos vis­ages enfouis. Par éclipses occa­sion­nelles, non sans déli­catesse une douleur pour­ra réveiller l’attention et fera gliss­er d’une douleur à une autre. Une joie s’annonce-t-elle qu’elle nous réjouit vers l’intérieur sans rien désé­pais­sir de la brume où nous reposons notre tête fatiguée. Voir le brouil­lard comme brouil­lard laisse devin­er un ciel, laisse devin­er une clarté, laisse sen­tir la dif­fu­sion des sen­sa­tions. Devin­er : c’est ce que notre esprit accom­plit de plus exact. Toute chose s’aperçoit dis­tincte­ment dans l’écho des rayons qui se propa­gent depuis le cœur d’un boule­verse­ment. Le sen­ti­ment de la vie : c’est le com­mence­ment sere­in d’une recon­nais­sance qui ne cherche pas à dur­er et qui ne s’oublie pas, guet­tant cette présence de toute sa ten­dresse. Être amoureux fou de l’indéfinissable sen­ti­ment de la vie. Le regard s’éveille à la clarté qui le hante. Rien d’autre à partager, à aimer partager. Un hyp­no­tisme. On croit que le rêve est une image défor­mée de la vie mais c’est l’inverse qui est vrai. Le rêve est de l’ordre du pressen­ti­ment le plus pré­cis. (Fau­dra-t-il compter et énumér­er tous les mys­tères qui se ren­con­trent les uns après les autres jour après jour tant de fois en tant d’occasions pour se con­va­in­cre enfin de leur poignante réal­ité – pour bien vouloir admet­tre que le réel est fait de cela et si peu du reste ?) La vie est dans sa con­ti­nu­ité tous ces dif­férents points de notre exis­tence où le monde a jail­li en soule­vant notre poitrine jusqu’à nos épaules. Nous sommes cha­cun à nous seuls le monde. Notre héroïsme con­sis­terait aujourd’hui à ne plus pou­voir l’oublier.

 

L’é­tat actuel des choses (édi­tions Al Man­ar, 2012)
 

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