Le poète se place devant le poème, le ques­tionne, attend des répons­es sur ce qui est autour de lui, l’a­len­tour de l’homme, la géo­gra­phie de l’être humain… et le dia­logue se noue.

“Le monde est mon lieu, dit le poème”

Mais si le monde appar­tient au poème, quand donc est la place de l’homme, sa vie, sa mort ? et quand se situe le poème, de fait ?

“En moi, dit encore le poème / Il n’y a nulle dif­férence entre la vie et la mort”

L’homme, le poète, se situe entre la vie et la mort, lui, à expéri­menter ce qui s’écrira de l’une, de l’autre ; comme un chant intu­itif qui trou­vera du sens au fur et à mesure des tâton­nements de la langue, ou, plus sim­ple­ment, une voix qui se posera le temps sur de l’en­cre, voire, par­fois, un cri qui réson­nera avec cent échos de let­tres. L’homme peut crier, et le poème ?

“Je demeure dit enfin le poème / Au plus fort du silence”

Mais le silence du poème… est-ce la fin de tout ? le vide ? le creux ? ou la sécher­esse après l’ivresse ? l’aridité après les larmes ?

“Ce n’est pas un miroir pour jeune fille, / Ni un alcool pour un soir de fête / Mais une prose qui ne con­naît ni la pause ni la victoire”

Si l’homme ne s’ar­rête, même un instant, ni ne croit pou­voir chanter la vic­toire de ses com­bats ? Les mots peu­vent sem­bler vains, comme des sec­ouss­es pachy­der­miques qui dis­parais­sent après le pas­sage du troupeau.

“Les mots ne sont rien que den­telle obscure / Et nos pas sont lourds quelques fois”

Les mots ne vivraient-ils que tels des objets pré­ten­tieux, sci­em­ment opaques, abscons pour le plaisir ; sans jamais chercher à sig­ni­fi­er ? ou du moins, sans ne faire que dire l’év­i­dence de la chose matérielle, pas le doute  de la chose spirituelle ?

“On peut aller jusqu’au bout du mot som­meil, au bout du mot fenêtre ou du mot regard mais il est impos­si­ble / d’aller au bout du mot temps parce que à l’in­térieur du mot temps il y a l’éternité”

Le mot dépasse le poète, le mot dépasse le poème ? Va au delà du vivre ? Est plus que la vie ?

“Chaque mot / qui te ressem­ble / fait écho / à ta vie”

Il n’est ques­tion que de passé(s), d’in­stants aban­don­nés ou presque, de voix lais­sées de côté, dont la trace n’est que la sou­ve­nance du temps de vivre ? Jamais ques­tion d’un avenir, dans le poème ?

“Ce qui s’ef­face en toi / bien­tôt / te ressemblera”

Le poème se tient à la lisière des ans, peut se dire le poète ; il faut vivre, pour savoir que l’on a vécu ; il faut écrire pour savoir que l’on a vécu ?

“Cette mèche de cheveux gris / ah cette rouille des phras­es ! / cheveux flam­bés et cheveux cen­dre / mémoire qui s’é­parpille / ces teintes de fin novembre.”

Pas d’âge, pas de vécu, mais cette inten­sité du moment ; voilà à quoi le poème s’ac­croche ? à ce que le poète sait couler de son sang, ce qui s’é­coule mais ne peut sor­tir, ne fait qu’être vu, à peine, loin de l’éphémère de la parole ? comme de la pré­car­ité du chant du jour ?

“Les mots sont comme la main / ils se fer­ment ils s’ou­vrent . mais quelques fois gorgés de vent / on les perd en chemin.”

Le poète perd le poème à peine l’a-t-il écrit… une brise entre les tem­pes, une pen­sée banale, une vue com­mune… le poète n’est pas l’au­teur du poème, mais son lecteur, par­mi tant d’autres — anonyme ouvri­er sans métier ? 

“Les mots sont pen­sés / comme on les prononce, / c’est un méti­er / comme de vivre / au plus près de soi.”

Au plus près de lui, le poète est le poème qui est le lecteur. Pas de réponse, que des questions.

 

 

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