C’est bien con­nu. Bon nom­bre d’écrivains éprou­vent le besoin, à un moment ou un autre de leur vie,  de revis­iter leur passé et de revenir sur les lieux qui les éveil­lèrent à l’écriture et plus générale­ment à la lit­téra­ture. On pour­rait citer Bernard Berrou racon­tant sa baie d’Audierne dans Un pas­sager dans la baie (La Part com­mune, 2005 ), Charles Made­zo et Douarnenez (La cale Ronde, Cal­ligrammes, 1985) ou encore Michel Dugué racon­tant Vannes dans Vannes pour mémoire (Apogée, 2004). Voici Jacques Josse à Lis­corno, lieu « improb­a­ble » qui fut la matrice de l’œuvre du poète ren­nais, par ailleurs auteur de réc­its et de courts romans.

        Lis­corno, donc. Lis­corno en Lan­nebert, où ses par­ents vin­rent se fix­er à la fin des années 1950, en plein cœur de ce qu’on appelait encore les Côtes du Nord. « Dans le loin­tain se dessi­nait un sem­blant de mon­tagne légère­ment bleutée. C’était le Menez Bré », racon­te Jacques Josse. Mais la mer, à l’opposé, n’est pas loin. Le père, élec­tricien, part tra­vailler du côté de la pointe de l’Arcouest.

    Le décor est plan­té. C’est là, à Lis­corno (où il débar­qué à l’âge de cinq ans) que le jeune Jacques Josse con­naî­tra son pre­mier émoi lit­téraire. A la lec­ture des poèmes de Tris­tan Cor­bière. « C’était l’hiver, inter­minable et boueux ». Dans sa mansarde gelée, il se dit « physique­ment bous­culé » par le poète mau­dit de Roscoff. « Il por­tait en lui sar­casme, désar­roi, récon­fort et offrait, mine de rien (…), un peu de ce mal-être frot­té d’écume qui m’allait droit au cœur ».

        Puis Jacques Josse, au début des année 1970, bourlinguera dans sa tête en suiv­ant à la trace les auteurs phares de la Beat Gen­er­a­tion (Ker­ouac, Sny­der, Gins­berg…). « Voilà vers où mon cerveau, tra­ver­sé par des fortes bour­rasques venues du Nord-Ouest, déri­vait durant ces heures tourmentées ».

     Déjà tran­spire cette atti­rance (qui ne se démen­ti­ra pas dans l’œuvre de l’écrivain ren­nais) pour les per­son­nages en marge, pour les fêlés, les paumés, les hommes et les femmes en rup­ture, les « piliers de bistrot », le plus sou­vent au sein d’une nature inhos­pi­tal­ière sinon hos­tile. Il pleut à Lis­corno, il fait froid sous les draps. Le soleil brille peu sur la cam­pagne. Le jeune Jacques voit son père frap­pé de crises d’épilepsie, un père « qui n’acceptait pas d’être en vie à plus de qua­tre-vingts ans alors que deux de ses enfants n’étaient déjà plus de ce monde ». Mais c’est un père qui l’initie en douceur à la pêche en riv­ière et qu’il voit par­tir emprunter des livres de Stein­beck ou de Hem­ing­way à la bib­lio­thèque municipale.

      Jacques Josse fait mémoire. Mais le monde, autour de lui, est bien cabossé. Il décou­vre Paul Celan, Jean Genet, Yves Mar­tin, Armand Robin, Bohu­mil Hra­bal… Il décou­vre aus­si, dans la cam­pagne de Lis­corno, des vrais per­son­nages de roman, comme ce cul­ti­va­teur bra­con­nier à ses heures dont la  mère a de vraies allures de sor­cières. C’est un monde clos, frus­tre, des « ter­ri­toires restreints », mais hauts en couleurs. Nous sommes plus près de Bosch et de Brueghel que de Corot ou de Con­sta­ble. Jacques Josse, lui, fait pro­vi­sion d’images. Ces « vies minus­cules » (façon Pierre Michon), entre­vues dans cette cam­pagne per­due, le hanteront à jamais.

    L’écrivain qu’il devien­dra nous par­lera donc le moment venu, dans ses livres, de tous ces hommes aux « rêves criblés de plomb » et aux « exis­tences en lam­beaux » qu’il a côtoyés dans sa jeunesse. Des hommes qu’il fréquen­tait aus­si bien à Lis­corno qu’en lisant des textes d’Alan Ginsberg.

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