C’est le livre du souf­fle. Il doit dire l’étrange pou­voir qui est le sien et trou­ver sa place dans le cœur du lecteur. Mais, avant — tout, sous nos yeux atten­tifs, il déroule avec vivac­ité son écri­t­ure « qui pense ». L’homme roman. Présent sous nos doigts, il nous donne le ver­tige. On pour­rait même le touch­er.  Son his­toire est peut-être celle de la vie, de la lib­erté de la vie  au cen­tre d’un monde  qui nous pré­cip­ite dans la mis­ère. ( mon frère écrivant ruelles et mon grand-père comp­tant et recomp­tant  l’argent  de la retraite…)
Il nous faut lire à haute voix cette quête, prob­a­ble­ment, en la lais­sant s’approcher de nous, à portée de main, à portée d’âme. Tout est « dedans ». Tout est « dehors ». Quelle vie.  Au fil des pages, rares sont les points de ponc­tu­a­tion qui nous har­cè­lent, sim­ple­ment quelques vir­gules et tirets, parce que  ça ne s’arrête pas de galop­er en nous cet éblouisse­ment fécond, cette larme qui brille, ces mots qui mon­tent comme la marée. Nous sommes emportés, creusés par l’écriture. Cette grande musique du texte  nous irradie. Ecou­tons-là  qui frôle le vis­age de l’enfant de sa puis­sance évocatrice :

« Ce doit être  la fin ou en tout cas quelque chose qui lui ressem­ble à la fin car je ne vois pas la mon­tagne, je vois quelqu’un que je ne con­nais pas, pas mon grand-père, pas mon père, pas mon frère, pas le com­mis en train de me regarder au fond du puits, j’ai même pen­sé que la cou­sine Hort­elin­da  pour me ten­dre une giroflée
‑Bien le moment est venu mon enfant
Avec une peine imper­cep­ti­ble sur son visage »

L’important, dans ce livre, c’est bien l’espace con­quis à la marge, à l’approche du noir aveuglant de la nuit. La forme  con­fère au pro­pos une radieuse nou­veauté. C’est que l’histoire, partagée avec le lecteur,  étrange com­plic­ité de l’auteur avec son vis-à-vis, nous touche par sa pro­fonde humanité.

« D’où  peut bien me venir cette impres­sion que dans la mai­son, alors que rien n’a changé, tout ou presque a disparu ? »

Ain­si débute la nébuleuse de l’insomnie d’António Lobo Antunès. Plus qu’un livre à lire, un grand écrivain à découvrir.
 

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