« La routine, cette préface des révolutions ! ». Emile de Girardin, « Les Cinquante-deux ».

 

 

La date d’au­jour­d’hui sur le cal­en­dri­er accroché au mur est encadrée en rouge. Est-ce un jour de fête ?

 J’ai décou­vert récem­ment que la per­cep­tion que j’ai  des dates des fêtes est de plus en plus terne. Je les oublie beau­coup et je ne m’en rap­pelle que par hasard en me prom­enant sur le boule­vard où les lumières saison­nières clig­no­tent mis­érable­ment sur les vis­ages de la clien­tèle des cafés ombragés par des dra­peaux bien usés et des ban­deroles dont la plu­part des let­tres gri­bouil­lées se sont essuyées.

 Ce sont les mêmes man­i­fes­ta­tions des mêmes fêtes qui se répè­tent à l’infini. Cepen­dant, dans mon  enfance, je me rap­pelle que je n’ignorais pas les dates des fêtes autant que je ne le fais à présent. Je ne lais­sais aucune chance aux ban­deroles de me sur­pren­dre. Je ne dor­mais même pas la veille de la fête: Je restais éveil­lé devant l’hor­loge, à atten­dre l’avènement ray­on­nant de la fête pour met­tre mes nou­veaux vête­ments et puis louer une bicy­clette pour join­dre mes cama­rades dans leurs cours­es à vélo vers l’infini. je ne me rap­pelle pas com­ment le som­meil et le rêve m’emportaient loin de l’horloge et m’habillaient de mon plus beau pull-over tout en y inscrivant les plus douces des expres­sions et que mes cama­rades, trou­vaient du plaisir à répéter en bégayant : “Comme un oiseau”

Leur joie m’en­vahit. Je cours. Je vole. Comme un oiseau. J’étends mes petits bras pour vol­er, en imi­tant, dans mes songes,   l’oiseau dans le ciel volant de ses pro­pres ailes, je l’imite. Il vole et je le suis sauf que mes cama­rades à chaque fois sab­o­taient les ten­ta­tives de décol­lage ; ils se ruaient pour me dévor­er les ais­selles et s’amusaient simul­tané­ment  de mon fou rire et de mes coups de pieds qu’ils pre­naient à tort et à tra­vers et que je leur don­nais  pour me débar­rass­er d’eux avant que l’oiseau de fête n’apparaisse dans l’hori­zon loin­tain atti­rant tous les enfants qui chantent leur joie de le revoir et dansent leur iden­ti­fi­ca­tion à son état :

Danse, danse, Amoureux
Je te don­nerai ce que tu veux

L’oiseau descendait jusqu’au niveau des maisons inclinées les unes con­tre les autres. Plus nous chan­tions, plus il dan­sait. Au moin­dre arrêt, l’oiseau volait dans le ciel loin­tain mais il retour­nait  encore et encore chaque fois que le chant et la danse recom­mençaient  en sec­ouant ses ailes pour répon­dre à nos chan­sons et nos acclamations :

Danse, danse, Amoureux
Je te don­nerai ce que tu veux

 L’oiseau venait  nous voir le matin de chaque fête. Il volait dans le ciel en atten­dant que nous sor­tions l’accueillir pour célébr­er ensem­ble la fête en dansant et en chan­tant… mais, au fil du temps, l’oiseau a disparu:

 Prob­a­ble­ment, parce que les per­son­nes ici ont vieilli,

Prob­a­ble­ment, parce que les oiseaux de joie n’ex­is­tent plus. Prob­a­ble­ment, encore, parce que l’his­toire dans son orig­ine n’était qu’une sim­ple illu­sion per­pé­tuée par des enfants innocents…

Main­tenant, je tourne les pages du cal­en­dri­er, toutes  humec­tées par le suin­te­ment des lieux, à la recherche de futurs jours fériés et de futures dates en rouge.
Je tourne les pages, l’une après l’autre.
Encore et encore…
Rien.
Aujour­d’hui, alors, c’était la dernière fête.

 

 

 

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