Magda Carneci, Poème trans-neuronal (fragments)

Par |2023-03-06T12:29:37+01:00 1 mars 2023|Catégories : Magda Carneci, Poèmes|

4.

Finie la lamen­ta­tion his­torique   la pitié de soi-même
   finis les abîmes infra et subconscients

 je sub­lime leurs mers de vase dans des hyper pro­duits noétiques.

J’ai dépassé la cul­ture des larves de papil­lons vantards
   der­rière moi, une jachère pleine d’espèces expirées
   blo­quées dans leur cara­pace de chi­tine conceptuelle.

 J’ai dépassé l’atavique marée instinc­tive-lacry­male 
   je suis sur l’autre rive   ici c’est pro­pre  il fait un peu frais

 je suis enfin arrivée à moi-même 
   une haute tour au-dessus de la nature.

Je suis dans la sainte des saintes, au milieu du cerveau
   dans le pro­gramme ultra central

je patauge telle une navette spa­tiale ivre, béate
   dans mon pro­pre vide neural.

Main­tenant c’est le grand jeu qui-vainc-qui 
   l’écume de myé­line veut un monde surréel

le tour­bil­lon des synaps­es attend une nou­velle drogue
   une pro­téine illimitante

Je le rem­pli­rai de nou­velles constellations.

5.

Finie la mélan­col­ie organique, maladive
   je suis un cyborg rebelle   un mutant per­ti­nens

je cherche dans mes poches quelques vieux archétypes 
  ils sont moi­sis, ils sen­tent la momie.

Du peu de sable ptolé­maïque resté dans les pro­fondeurs 
de mes mitochondries
je mod­èle la mar­i­on­nette à mille têtes des civil­i­sa­tions épuisées

je la piquerai d’antennes à fréquence supersonique
je la déchiquèterai avec les appareils analytiques

je la dis­sé­querai avec les sci­es culturelles
je la net­toierai de toutes les clés ésotériques

j’en sor­ti­rai lente­ment avec la pincette les démons et les monstres
   et je les avalerai.

L’avorton vertueux de cette poupée morte
   je l’enterrerai entre les seins, au-dessus de mon plexus solaire

alors je ver­rai des cohort­es de dieux et de bêtes sauvages
   sor­tir de la forêt som­bre de mon pubis 

se jeter dans l’océan géométrique de ma pen­sée augmentée
   pulser comme un cristal vivant en expan­sion extraterrestre.

J’aurai mal au ven­tre à cause du vide créé
   je me trou­verai mal à cause de la planète entière

mais de ma tête jail­li­ra jusqu’aux astres
le laser de l’illumination.

6.

Au milieu de la ville transcirculaire
    je lis un arti­cle de jour­nal sur les tach­es solaires

dans la chaleur de midi je me réjouis du soleil
   je m’imagine pour un instant comme une tache sur le disque solaire

et brusque­ment, je ne sais pas com­ment, je suis dans le soleil.

    Je suis dans ma tête et je suis pour­tant dans le soleil 
    mon esprit s’est expan­sé avec le mot ter­ri­ble soleil
    mon esprit s’est uni à l’idée aveuglante du soleil
    mon esprit s’est trans­posé dans le vécu ardent du soleil
    mon esprit est devenu soleil   vrai SOLEIL 
    et j’illumine.

Je suis soleil et pour­tant je ne suis que pensée
   je tra­verse l’assourdissant mag­ma en éruption.

Je suis pure pen­sée et pour­tant je suis aus­si pur soleil
   il y a ici un point mys­térieux qui coïn­cide dans les deux.

Il a la présence intense à soi de la lumière
   et sa ver­sa­til­ité aveuglante.

De ce point je saute d’un niveau de réal­ité à l’autre
  par une petite tor­sion intérieure.

Les mon­des s’interpénètrent dans le point, ils y coïncident
Avec ce point je me fixe sou­ple­ment dans le cen­tre de l’univers

qui est aus­si le cen­tre con­tem­pla­teur de mon être
   devenu lui-aus­si un soleil minuscule.

Puis je reviens instan­ta­né­ment sur Terre.

7.

Non, non, non,
    j’en ai fini avec la grotte de l’âme

elle pue le vieux et la peur rupestre
   je suis restée enfer­mée trop longtemps dans son cloaque 
je veux m’envoler maintenant.

Je mets le feu au san­gli­er caché dedans
   je l’entends gémir, je l’entends crier

cela sent le sac­ri­fice, j’aime cette odeur
   je détru­is des autels pour­ris et de la myrrhe par­fumée 
s’écoule de ma bouche
   j’entends des éclats cos­miques de ter­reur et de rire.

Partez de moi
   bêtes d’eau et de terre

vous qui traînez, creusez, mordez, vous carnassiers
   je vous dépose tous au musée d’archéologie obsolète. 

Lais­sez la voie libre, arrive l’avalanche de l’esprit délivré
   un noy­au incan­des­cent aux dimen­sions mul­ti-spi­rales 

un polyè­dre étince­lant de lumière éveillée.

8.

Écoulez-vous dans la Lune, cauchemars et fantasmes
   vous n’avez qu’à nour­rir le sub­con­scient d’autres sys­tèmes solaires.

Me voilà :
   j’arrache mes racines mortuaires

je me sépare de mes étages inférieurs délabrés
   je suis puri­fiée main­tenant, je suis libre

je détache mes dernières den­drites de la face de la Terre
   je brûle les étages de ma fusée cor­porelle 

je suis étince­lante, je suis cos­mique 
   je me rem­plis de dyna­mite stellaire.

Le cerveau est ma carte et ma catapulte
   par lui je me pré­pare à décoller

du sous-sol de mon imag­i­naire, de ma matrice ter­restre. 

Présentation de l’auteur

Magda Carneci

Mag­da Carneci est écrivaine, cri­tique d’art et tra­duc­trice fran­­co-roumaine. Anci­enne direc­trice de l’Institut cul­turel roumain de Paris, elle a pub­lié des livres en roumain, français, hol­landais et anglais. Ses livres en français : Psaume(1997), Trois saisons poé­tiques (2008), Chaos­mos (2013), FEM (2018). Ses livres en anglais : Chaos­mos (2006), A Defean­ing Silence (2017), FEM (2021). Son roman FEM fut final­iste pour le PEN Amer­i­ca Trans­la­tion Award 2022. 

En tant que tra­duc­trice, elle a trans­posé en roumain des poètes tels Jean-Pierre Siméon, Marie-Claire Banc­quart, Pierre Oster, Nicole Brossard, André Vel­ter, Lil­iane Giraudon, Alain Lance, Jean Por­tante e.a.

Elle a créé en 2008 le « Prix inter­na­tion­al de lit­téra­ture fran­coph­o­ne Ben­jamin Fon­dane ». Mis sous l’égide de l’OIF, ce prix a été accordé à des noms tels Abdel­wa­hab Med­deb, Lin­da Lé, Nim­rod, Abdel­latif Laabi, Anan­da Devi, Jean Met­telus, Nicole Brossard, Jean Por­tante, Gabriel Okound­ji, Luis Mizon, Seyh­mus Dagtekin, Tahar Bekri, Bluma Finkel­stein et à Habib Ten­gour en 2022.

Elle pré­pare un nou­veau vol­ume de poésie inti­t­ulé Poème trans-neu­ronal aux édi­tions Tran­signum, d’où sont extraits les frag­ments suivants.

Bib­li­ogra­phie

Pub­li­ca­tions en langue française

  • Chaos­mos, Édi­tions de Cor­levour, 2013.
  • Trois saisons poé­tiques, Édi­tions Phi, 2008.
  • Partage de peau, en col­lab­o­ra­tion avec Jean Por­tante et Wan­da Mihuleac, Trans Signum, 2007.
  • Psaume, Autres Temps, 1997

Pros­es et essais dans les ouvrages collectifs

  • Paris par écrits, L’Inventaire, 2002.
  • Le Sacré aujourd’hui, Édi­tions du Rocher, 2003.
  • La Trans­dis­ci­pli­nar­ité, un Chemin vers la Paix, les Édi­tions Jou­vence, 2004.

Essais

  • Poet­rix, Bucarest, 2002.
  • Art et pou­voir en Roumanie 1945–1989, Paris, L’Harmattan, 2007 – sous presse
  • Les arts plas­tiques en Roumanie 1945–1989, en roumain — Bucarest, Merid­i­ane, 2000

Pub­li­ca­tions dans les revues

  • Action Poé­tique, Po&sie, Europe, NUNC, Autres SUD.

Autres lec­tures

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