À l’issue d’une représen­ta­tion, Michel Deutsch dis­ait du théâtre qu’il rend pos­si­ble un sur­plus de vie. Bernard Noël, dans sa pré­face à La Com­bus­tion de l’Ange, explique que le vers tire « de la langue un sup­plé­ment expres­sif ». Ceux de Marc Alyn ont ce pou­voir-là. Bernard Noël cite quelques vers écrits en 1962 :

 

         Tou­jours la bête en l’homme pèse et choisit le gouffre
         
et le gouf­fre respire, humain, sous le frisson.

 

L’ouvrage pub­lié au Cas­tor Astral est une antholo­gie. Le livre regroupe des poèmes écrits entre 1956 et 2011, ce qui per­met d’assister à quelques méta­mor­phoses. Cer­tains thèmes cepen­dant tra­versent l’œuvre sans pren­dre une ride.

 

Les oiseaux sont sou­vent invités : rouges-gorges, mer­les, mou­ettes, oies sauvages, hiron­delles, chou­ettes effraies… Ils représen­tent tour à tour le voy­age, la lib­erté, les anges. Je suis un chant à la recherche d’un oiseau écrit Marc Alyn dans La parole planète (1992). Il arrive qu’il se sente même pouss­er des ailes.

 

Je t’aimais. Tu m’aimais. En toi ger­maient des cieux
immenses dont l’issue com­mençaient à tes yeux :
j’y entrais d’un coup d’aile et salu­ais l’espace.

 

L’amour sur­git et irradie ce recueil de 1988, Le livre des amants. Il rem­plit le vide de lumière. Le poème inti­t­ulé Dans le tarot du vide mon­tre bien ce que le temps qui a précédé l’arrivée de l’être aimé était au fond : pure attente.

 

[…] au fond de l’eau, par­fois, une porte s’ouvrait
et j’entendais ger­mer, soyeuse, ta présence
à l’heure où le couchant incendie ses secrets.

 

L’amour donne du sens, de la lumière, de l’épaisseur à la vie. Cepen­dant, dehors, la guerre fait rage. La guerre du Liban.

 

Ain­si la Ville-femme en l’aurore émergeait
mi-ruines, mi-splen­deur, et le soleil moussait […]

 

À la fin du long poème inti­t­ulé Céré­mo­ni­al de la Ville-femme, à ses pieds pour­rait-on dire, cette inscrip­tion : « Imprimé à Bey­routh sous les bombardements ».

L’ésotérisme est présent et devient très tôt indis­so­cia­ble de l’écriture. Dans Infi­ni au-delà (1972), il est ques­tion par exem­ple de l’univers et de la con­nais­sance du secret, du petit qui con­tient le grand (le pollen, les astres…), de la mort qui se déverse dans la vie – et inverse­ment –, de verbe mêlé de silence, de sym­bol­es et d’énigmes. En 1972, le poète a décou­vert Byb­los. Un tour­nant dans sa vie. Une révo­lu­tion même. Byb­los, c’est à la fois le désert et Dieu. Le Dieu de Marc Alyn est présent dans chaque chose, son regard se reflète dans une goutte de rosée. Tout, alors, dans le paysage devient Livre. Les riv­ières sont des phras­es ; les fruits ou les ani­maux des mots – et récipro­que­ment. Cela reste vrai longtemps après le séjour à Byblos.

 

[…] mots saumons qui remon­tent l’onde
mots-lézards mi-nuit mi-soleil
mots mus­cats ora­cles des treilles.

         (extrait du recueil inti­t­ulé Le scribe errant, 1993)

 

Mais la poésie de Marc Alyn n’est pas tou­jours aus­si lumineuse que Byb­los. Il lui arrive même d’être tra­ver­sée par un pro­fond dés­espoir dû soit à la mal­adie soit à la folie des hommes lorsqu’ils sont attirés par les ténèbres. Dans sa pré­face, Bernard Noël évoque la mal­adie, sans la nom­mer. Il s’agit d’un can­cer du lar­ynx. Cette lutte con­tre la mort sur­git dans les poèmes. « La mort n’a pas tué, mais sa présence a fait le geste et il en reste, indélé­bile, la trace inscrite dans l’espace intérieur : c’est une ombre qui désor­mais talonne la vie » explique Bernard Noël avant de citer le poète.

 

Vivait en moi la langue des morts tan­dis que je flottais
dans mon berceau d’osier sur le Nil noir
m’efforçant d’éviter la proue tran­chante des bar­ques funèbres…
avec leur charge­ment de corps emmaillotés

 

La lec­ture de la revue Phoenix (jan­vi­er 2011) com­plète celle de l’anthologie. Dans son dossier con­sacré à l’œuvre de Marc Alyn, elle pro­pose des pros­es récentes, un entre­tien, des arti­cles… L’entretien mené par Daniel Leuw­ers per­met au poète de revenir sur ses jeunes années et nous l’imaginons dans sa mansarde parisi­enne, fauché et insoumis. Il refuse de pren­dre part à ce « monde de plus en plus assu­jet­ti à la dic­tature de l’objet-roi », n’entre pas dans « le moule défor­mant ». Marc Alyn par­le aus­si de la dimen­sion ésotérique de son écri­t­ure-quête. Le poète « dis­tille inlass­able­ment le lan­gage comme l’alchimiste, messie des métaux, ses liqueurs philosophales ». On ne sera pas éton­né que l’entretien se referme sur ces mots : « le fab­uleux métal issu des pro­fondeurs ». Dans son arti­cle, Emmanuel Hiri­art attire notre atten­tion sur le fait que le mot alyn, que le poète a choisi pour pseu­do­nyme, a une sig­ni­fi­ca­tion : c’est « l’accélérateur des opéra­tions alchimiques ».

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