Marc Kober est de ces poètes qui entrent chez vous par la boîte aux let­tres. Cette façon de faire n’est pas aus­si anodine qu’il y paraît. Surtout de la part d’un écrivain qui a dirigé la revue Supérieur Incon­nu, issue du sur­réal­isme et fondée par feu Sarane Alexan­dri­an. C’est du reste dans les par­ages de cette revue et de son men­tor que j’ai ren­con­tré l’homme et le poète Marc Kober. Avant de le crois­er en divers rivages édi­to­ri­aux ou dans les eaux ter­ri­to­ri­ales de la revue La Sœur de l’Ange (de celle-ci je plaide coupable). Un ami com­mun, mal­heureuse­ment dis­paru, Alain-Pierre Pil­let, à la poésie duquel il fau­dra que Recours au Poème con­sacre la place qu’elle mérite, avait quant à lui cou­tume d’envoyer des cartes postales, éditées spé­ciale­ment, accom­pa­g­née d’une sim­ple phrase qui valait bien des romans. Un état de l’esprit cela, à mi-chemin entre sur­réal­isme et sit­u­a­tion­nisme. Kober et Pil­let appar­ti­en­nent ain­si à une étrange con­frérie, en même temps vis­i­ble et invis­i­ble, d’aucuns par­leraient de société secrète, mais chut…, dont il fau­dra bien que les his­to­riens et théoriciens de la lit­téra­ture con­tent un jour les faits et gestes − dici­bles ou non. Ces poètes sont hommes de gestes et de signes. D’actes lit­téraires conçus comme aus­si impor­tants que les mots tracés sur la planche à écrire. C’est l’une des tra­di­tions souter­raines impor­tantes et peu con­nues de la poésie con­tem­po­raine, dis­crète bien qu’essaimant large­ment grâce aux enveloppes à l’ancienne. Nous sommes loin ici du règne de la quan­tité devenu nor­mal­ité, par les temps qui courent vers on ne sait trop quoi. C’est ubuesque mais c’est ainsi.

Un hareng Diep­pois à Fécamp m’est donc par­venu sous pli cacheté et numéroté, comme le font les objets pré­cieux. Les objets-livres. Ce livre cousu, sur papi­er Vergé corol­la book, accom­pa­g­né des gravures de Olivi­er O. Olivi­er, et tiré à 500 exem­plaires numérotés sur les press­es de l’atelier Rougi­er V a paru dans la col­lec­tion « Plis urgents » dont il est le 24e opus. Envoy­er un pli urgent… par la poste, en ce début de XXIe siè­cle, qui plus est un livre, est un acte essen­tielle­ment révo­lu­tion­naire. Il y a bien plus en dedans de ce geste que dans les agi­ta­tions indignées à la chaîne qui se vendent dans les super­marchés de la col­lab­o­ra­tion quo­ti­di­enne. Les seules pos­tures ne suff­isent pas. Il est ici ques­tion d’état de l’être. Et l’état de l’esprit du poète Marc Kober est loin des pos­tures offi­cielles con­tem­po­raines, c’est le moins que l’on puisse dire. Le texte est aus­si « décalé » que l’acte. Marc Kober nous invite à un voy­age com­plète­ment à con­tre-courant de ce qui se pra­tique aujourd’hui en masse : il se rend à Fécamp, haut lieu du hareng. À vrai dire, le poète devient plus voyageur encore que les éton­nants voyageurs de la Bre­tagne proche aux­quels il fait un pied de nez nor­mand, plus voyageur aus­si que les pol­lueurs d’espaces loin­tains, pré­ten­dus aven­turi­ers des temps mod­ernes. Non, l’aventure s’affronte à Fécamp. Et l’exploration con­cerne le hareng. Il y a beau­coup d’ironie sur notre monde dans ce voy­age d’apparence si proche. Kober vis­ite l’extrêmement proche comme l’on écrivait autre­fois des Let­tres Per­sanes et sa poésie a un léger goût de con­te philosophique, mais d’un con­te non dénué de l’humour de Tintin vis­i­tant les colonies quand le poète écrit : « Dans les petites sta­tions de la côte, le pois­son est ven­du pour une somme dérisoire ». Fécamp est le lieu d’un voy­age devenu exo­tique, et le texte porte en lui une force de con­tes­ta­tion poli­tique et sociale exprimée à haut degré. Aus­si étrange que cela paraî­tra, j’affirme que ce texte s’inscrit dans la tra­di­tion sur­réal­iste, la tra­di­tion vivante et non celle qui se muséi­fie à grande vitesse. Car il ne serait pas éton­nant que Fécamp et ses harengs soient devenus, sans que nous en ren­dions compte, le plus que réel. On ne s’étonnera pas alors que « La pois­son­nière aux bras mas­sifs » gravée par Olivi­er O. Olivi­er paraisse sor­tie tout droit d’un opus­cule de textes alchim­iques de la Renaissance.

 

Marc Kober est poète, uni­ver­si­taire et essay­iste. Entre autres. Digne descen­dant du sur­réal­isme influ­encé par Man­di­ar­gues et par Arcane 17, Marc Kober a créé une belle revue inscrite dans ce domaine dans les années 90 du siè­cle passé, La Révolte des chutes, revue qui a joué un grand rôle dans le développe­ment des édi­tions post sur­réal­istes Rafael de Sur­tis, avant de devenir rédac­teur en chef de Supérieur Incon­nu puis mem­bre du comité de rédac­tion de La Sœur de l’Ange. Auteur d’un roman (Fayard) et d’un recueil de nou­velles (A Con­trario), il affec­tionne les beaux objets livres. 

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