Beau titre qui joint l’ouïe à la vue pour main­tenir une vision au tra­vers d’un sou­venir dont nous pressen­tons qu’il ne s’éteindra pas. Par cette asso­ci­a­tion du con­cret et de l’abstrait, flotte une mélan­col­ie rehaussée par la forte sonorité du mot écho qui va s’amenuisant dans celle plus douce du mot vis­age. On ne perd jamais un vis­age aimé, mais nous nous per­dons à le chercher au fond de la mémoire. Ce sou­venir est réac­tivé par bribes, par asso­ci­a­tions qui appor­tent encore son lot de sur­pris­es. L’instant doit être prop­ice et l’acuité avec laque­lle nous cher­chons ce sou­venir provoque une perte de pesan­teur. Nous avons besoin d’une matéri­al­ité aus­si ténue soit-elle, un fil, peut-être, dans cette nuit sans fond à scruter l’immobile oubli des choses.

Ce sou­venir, cette Absence, a quelque chose de som­bre, d’irrémédiablement som­bre. C’est une pro­fonde écoute qui doit sor­tir de l’ombre, le côté noir qui doit pren­dre forme et peut-être qui ne se résout qu’en une voix, qu’au corps de la voix. Ce qui est forte­ment recher­ché aus­si bien par le corps que par l’esprit prend les dimen­sions du monde au tra­vers d’une nuit sans racine focal­isée sur la voix.

Nous oscil­lons entre une présence-absence, entre un monde proche et loin­tain. Il s‘agit de la recherche d’un impos­si­ble, de quelque chose d’existant mais invis­i­ble, intouch­able, présent mais où. Nous sommes con­tre une lim­ite : perte du temps, perte de l’espace que nous ne pou­vons plus nous appro­prier. S’en suit une approche, pronon­cer un seul mot : Nuage et cette absence, le temps d’un éclair, devient touch­able. Tout retombe. Peut-être une chance, s’accrocher, pénétr­er les élé­ments pri­mor­diaux, l’eau particulièrement :

 

Dans cet espace originel,
il s’appropriait le temps.

 

Revenir au présent par un détour loin­tain, une re-nais­sance, des rêves aux images hor­ri­bles, décom­posées : une frac­ture dont il ne reste sus­pendu qu’un vis­age sans corps. Sur­gis­sent alors des visions d’apocalypse, de fin et de début de monde mêlés pour que le vis­age appa­raisse dans sa pureté, c’est-à-dire sa matéri­al­ité, son exis­tence de jadis. Mourir à soi, mourir au monde pour enten­dre le chant fusion­nel, pour retrou­ver l’Aimée. Et cependant :

Assis dans le vide, il regarde le temps.

Ce petit recueil est à dou­ble face un ver­so noir avec des let­tres blanch­es, indi­ca­tions repro­duites de la même manière au rec­to blanc avec des let­tres noires. Pavé blanc, pavé noir… L’écho d’un vis­age, l’écho d’un autre vis­age, l’écho d’un autre monde plus dis­cret et peut-être plus fort pour y exprimer force-sagesse-beauté dans la cohab­i­ta­tion des con­traires acceptés.

L’écho d’un vis­age : la ten­ta­tion d’exister mal­gré tout et con­tre tout. Et si ce vis­age pas­sait par un détour qui n’est pas humain pour y revenir avec plus de déter­mi­na­tion, plus d’amour aus­si. L’écho d’un vis­age comme une volon­té de rejoin­dre, de ne jamais aban­don­ner quand la lumière brille au fond des ténèbres au-delà des vagisse­ments du monde. Je ressens cette insai­siss­able présence comme un fil con­duc­teur au tra­vers du poème, remous où s’accrocher.

L’écho, le thème du retour, comme une réso­nance qui n’en finit pas, un son dou­ble dont l’origine hésite à se pren­dre, un son qui revient sur lui-même et n’arrête pas de mourir. « Ce que tu cherch­es, cela est proche et vient déjà à ta ren­con­tre » nous dit Hölder­lin. Ce qui fascine le plus est l’oubli du con­nu, les choses sou­vent sim­ples se mul­ti­plient dans la mémoire pour y établir des cor­re­spon­dances. Poème de l’obsession,  qui ne se tra­verse pas, devenu cet infi­ni impos­si­ble à saisir s’éloignant à mesure que nous le pénétrons. Poème mobile et figé à la fois comme une demeure où l’on ne peut tenir, comme un sol qui sans cesse se retire.

Le Vis­age pour­rait-il être syn­onyme de vie, de l’intenable présence et seul objet de notre quête ? Incon­fort­able sit­u­a­tion qui n’est qu’une pen­sée qui nous retient, et dans le même temps, ce qui s’offre se refuse. Belle démarche ini­ti­a­tique dans un labyrinthe : celui du monde et de soi inex­tri­ca­ble­ment unis.

C’est à l’aube de son corps qu’il naquit autrefois.

 

Jean-Marie Cor­busier a pub­lié Georges Perros/Un pas en avant de la mort chez Recours au Poème éditeurs

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