« L’odeur du lilas habite mon corps le plus beau,
celui dont tu portes la clé »

 

Il débute comme un ser­ment, ce livre ancien (dix ans) : « par la voix de ma sœur, par sa bouche et par sa langue ». Les petites voix per­dues que Marie Huot rap­pelle dans sa langue de poète et l’enfance qu’elle sauve font la saveur can­dide  de ses poèmes et char­ment le lecteur  . Ce monde sur­gi n’est pas un songe, il réu­nit les fig­ures légendaires féminines et l’innocence sou­veraine de leur décou­verte. On ne se détache pas des mon­des enchan­tés ou trag­iques qu’elle réveille, de la promesse d’amour de « l’homme très jeune sur le beau par­quet au milieu des bals ».

Et cet homme pré­cisé­ment vit à la jonc­tion de cha­cune des par­ties du livre, en bas de page, son corps italique et la répéti­tion de ce groupe nom­i­nal (aucun nom pro­pre n’est énon­cé, à la dif­férence des femmes une à une nom­mées)  qui scan­de Absen­ta, comme une attente trop longue à briser :

« racon­te moi l’homme
l’homme qui
se réveille la nuit sans sommeil ».

 

Une périphrase le décline dans tous ses gestes pos­si­bles, le place ain­si au cœur – à la coupure de deux temps : le passé, le présent comme un mode pos­si­ble (d’ailleurs les verbes sont à l’indicatif), une pro­jec­tion pour invers­er cette courbe esquis­sée par la petite voix augu­rale de Cassandre :

« cas­san­dre. Ma vie est un désastre ».

Une légèreté cepen­dant accom­pa­gne chaque mou­ve­ment, le sor­tilège sem­ble proche tou­jours en ces pages de con­te où tout débute comme promet­tre. D’ailleurs, la red­ite, principe des veil­lées, assur­ance de cap­ta­tion d’un audi­toire, est très présente. Les mots se chevauchent et se frô­lent, devenant des for­mules mag­iques qui ouvrent un futur où déjouer les som­bres présages.

« Je vois et je dis », annonce la prêtresse comme on dirait « Sésame », celle qui lit le des­tin des aïeules, la vie des sœurs, la lignée sans autre révéla­tion que celle des poèmes qui s’écrivent et se chantent.

Cet univers gra­cieux de traîtrise et de sang, la poète le tra­verse pour le faire exis­ter. Elle jux­ta­pose Cas­san­dre, Ulysse ou Minos et le labyrinthe, des­tins vio­lents, et la pos­si­bil­ité d’être sauvé car dans ce monde les fils certes peu­vent se couper (« la pelote la pelote la pelote »), se mêler, mais aus­si guider. Ou tiss­er. Le nom de Péné­lope, en bas de page, en italiques, paraît sign­er un texte ou s’être immis­cé à son tour dans le chant de Marie Huot. Chaque nom de femme sem­ble sign­er le poème qui lui est con­sacré. C’est, dans la voix de la poète, un « je » pro­téi­forme, que s’expriment les femmes réveil­lées (par un bais­er ? – où est le prince ?). À la fin de chaque texte, on lit leur nom juste avant de retrou­ver « l’homme » qui ouvre, en italiques lui aus­si, chaque poème à suiv­re, de sorte qu’une cor­re­spon­dance s’établit, cou­ple sug­géré. Remède au cha­grin, ce serait ces­tuy-là revenu panser au présent les plaies des sœurs – sœurs d’âme de celle qui écrit ?

La mytholo­gie entre dans les poèmes aux longs vers, prose poé­tique au souf­fle épique, en même temps qu’elle est désacral­isée, dev­enue lec­ture d’un quo­ti­di­en qui allie le mythe au présent dans une vie nou­velle et rafraichissante. Telle est l’impression du lecteur : lire plusieurs voix, celles des femmes mythiques évo­quées, celle de la poétesse qui, les faisant revivre, endosse leur des­tin, le lisant autant qu’elle l’éprouve en son corps ou ses mots – en son cœur. Elle rassem­ble ces morceaux dis­joints pour un chant de sirène et d’enfance qui nous lie à elle autant qu’à ces femmes. Sirènes délivrées d’une mon­strueuse apparence, à tra­vers le poème, cha­cune répare son des­tin en se faisant enten­dre enfin, fan­tôme vivant tra­ver­sant les siè­cles ou les légen­des pour devenir notre sem­blable. Blancheflor, au nom-poème, retrou­vant Perce­val : sang sur la neige, il reste dans l’écriture une trace de « ce vis­age dans la neige », le des­tin sus­pendu à nou­veau ne clôt plus ces his­toires d’amour et de mort, le temps s’ouvre enfin pour que soient enten­dues ces voix demeurées vibrantes. « Ven­tre » sym­bol­ique qui porte et fait naître en pri­vant d’oubli les héroïnes égarées, célèbres ou non :

« Ain­si ce serait tou­jours. Depuis toujours. »

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