Dans le monde spec­tac­u­laire qui est aujour­d’hui le nôtre, Michel Host, “Prix Goncourt 1986” aura déployé des straté­gies savantes pour se dégager des pièges du star sys­tème et du quant à soi qu’adoptent nom­bre d’écrivains en vue lorsque le pro­jecteur, à son corps défen­dant, s’est allumé sur lui il y a presque trente ans.

Sans se mon­tr­er, en évi­tant les cer­cles lit­téraires des grandes coter­ies parisi­ennes et des plateaux ego­v­i­suels, ce poète a con­tin­ué son chemin, écrivant romans, cri­tiques et livres de poèmes car là se situe sa néces­sité vitale, prenant soin de ne pas s’at­tach­er à l’anec­do­tique que pou­vait lui con­fér­er la sit­u­a­tion de sa célébrité d’alors. On lui reprochera bien sûr de ne pas jouer le jeu, et ce reproche survien­dra des hap­py few de ce petit milieu, mais on lui saura gré, quand le temps aura opéré son tri entre l’anec­do­tique et l’essen­tiel, de s’être tenu à une ligne de con­duite sans jamais tran­siger, car Michel Host, et c’est tout ce qui compte, écrit de très bon livres.

Que cet écrivain soit en plus un poète le place dans une autre sphère que la majorité des hommes de plume. Cela nous porte à con­sid­ér­er ses paru­tions avec une atten­tion et un intérêt majeurs.

Son dernier opus vient de voir le jour cette année, pub­lié par les édi­tions Rhubarbe : il se nomme Les Jardins d’Ata­lante.

Ce poème est con­sti­tué de 12 poèmes, comme les 12 mois de l’an­née. Host en écriv­it la pre­mière ver­sion il y a quar­ante ans, il le tra­vail­la, le retra­vail­la, jusqu’à nous livr­er sa ver­sion accom­plie en 2014.

Nous remar­querons d’abord l’im­por­tance des chiffres que nous venons de citer. 12. Comme les mois de l’an­née puisque la com­po­si­tion du poème s’in­scrit dans cette révo­lu­tion com­plète de la Terre autour du soleil. Ain­si ce livre s’in­scrit-il dans une révo­lu­tion sym­bol­ique, celle du Temps et de l’E­space, celle de la cir­cu­lar­ité imp­ri­mant son mou­ve­ment dans la vie du poète, s’éloignant et s’ap­prochant de la lumière, s’af­frontant aux tem­péra­tures des saisons, et ce mou­ve­ment cir­cu­laire, aus­si fer­mé sem­ble-t-il être, trace dans la vie intérieure du poète comme un mou­ve­ment de spire, c’est à dire un cer­cle non pas clos sur lui-même comme le lais­serait penser le mou­ve­ment de la planète autour de notre étoile majeure, mais une cir­cu­lar­ité ver­ti­cale du point de vue de la con­di­tion du poète, non pas enfer­mé dans le Temps, mais son hôte, le temps d’une vie terrestre.

L’an­née à laque­lle nous con­vie le poète est le sym­bole d’une journée entière, d’une vie entière ; elle est la métaphore d’un chemin fon­da­men­tal vécu en poésie.

Aus­si peut-on alors porter son atten­tion sur le fait qu’il aura fal­lu quar­ante années à Michel Host pour éla­bor­er cette œuvre, et ce nom­bre, quand bien même il n’au­rait pas été con­sciem­ment désiré par l’au­teur, nous révèle une dimen­sion fon­da­men­tale de sa parole. 40 ans, c’est le milieu de la vie d’un homme, l’heure où l’ex­péri­ence se con­fronte à la dimen­sion vitale du des­tin indi­vidu­el. 40, c’est le nom­bre de la pre­mière mort, la mort sym­bol­ique d’un indi­vidu lui per­me­t­tant de renaitre. C’est le stade du com­mence­ment de l’in­di­vid­u­a­tion pour le com­mun des mortels.

Ain­si ces Jardins d’Ata­lante sont-ils nés au mitan de la vie d’homme de Michel Host, et il lui aura fal­lu tout le temps de sa matu­rité pour en par­faire la réson­nance, don­nant à ce poème l’âge d’un homme adulte éman­cipé des scories inessentielles.

Le poème com­mence en Jan­vi­er et se ter­mine en Décem­bre. Le poète s’adresse à des femmes : Ama­rante, Albane et Ata­lante. Mais sans doute est-ce la même femme, l’éter­nel féminin auquel Host s’adresse, lui don­nant trois vis­ages, trois noms, mys­tère encore de la sym­bol­ique ici trine.

Comme seraient éter­nels ces jardins qui sont le lieu du poème, jardins d’hi­er et de tou­jours, que cha­cun porte en soi.

Ata­lante est une héroïne de la mytholo­gie grecque. Elle fut aban­don­née à sa nais­sance, recueil­lie par une ourse et élevée par des chas­seurs. Elle devint elle-même une chas­seuse remar­quable et à sa fig­ure est attachée la notion de vir­ginité puisqu’elle refusa le mariage.

Le poème de Michel Host fait d’Ata­lante l’équiv­a­lent de la nature, de la féminité étroite­ment asso­ciée au lan­gage, d’une part de mas­culin­ité con­tenue dans son aspect chas­ser­esse, du temps qui passe puisqu’en­tre Jan­vi­er et Décem­bre, c’est toute l’His­toire humaine qui se déroule en con­den­sé, et nous nous trou­vons en Octo­bre en ce lieu si déroutant par tant de familiarité,

 

” — C’est ain­si que le monde change -
 

Sous les cara­paces verre et cobalt des rouges cités
futures j’entends
le martèle­ment de ses talons gar­di­ens d’une nuit
texane
entre les brown­ings couchés sur les trottoirs
défi­lant à sept kilo­mètres heure les cadavres
conditionnés
vont debout vers les cen­tres cré­ma­toires High
Tech
 

J’en­tends ses talons bat­te­ments solitude
sur l’aci­er limpi­de soyeux ”
 

 

lorsqu’en Jan­vi­er nous étions, presque, au com­mence­ment :
 

 

“Infor­tune du vocab­u­laire cette année
mis­ère de la syntaxe
muets de charme  secs  défoliés  abolis
dépouil­lés  plumés  nuls
les arbres”

 

Le rap­port char­nel au Verbe, à la con­cré­tion du Temps, à la poésie fait de ces Jardins d’Ata­lante un livre majeur tant il con­stru­it une séman­tique qui sem­ble être un legs.

Il y a des tré­sors dans ce chef d’œu­vre, des ors illu­mi­nant ce clair-obscur tour­nant autour de la lumière, une voix traçant dans la pous­sière de l’époque une voie hum­ble et de sec­ours, celle digne de la con­di­tion d’être un homme dans ces temps de perdi­tion où tout cherche son sens.

Les jardins d’Ata­lante du poète Michel Host est une pierre sémantique.

 

 

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