1.
 
Mou­ettes blêmes debout comme des délégués dans les champs som­bres labourés.
 
La sen­teur de la terre retournée sat­ure l’air.
 
Debout par­mi les mou­ettes, deux petits pardessus noirs, croassent.
 
En une longue ligne, ser­rés les uns con­tre les autres, des cèdres sem­blent être arrivés avec l’intention d’attendre quelque divulgation.
 
À côté d’eux sur la route pous­siéreuse l’errant bar­bu, défait, marche vers quelque civil­i­sa­tion ou autre, le regard bais­sé, en fumant une cig­a­rette, alors que dans son esprit les innom­brables mots ont afflué et sont sur le point de s’envoler vers le sud par-dessus la fumée des feux de forêts et des villes.
 
 
2.
 
Le directeur de la col­lec­tion de spéci­mens d’oiseaux au musée d’histoire naturelle a par­lé de s’être sou­vent arrêté, sur le chemin du tra­vail au print­emps et à l’automne, devant l’immeuble des congrès—haut, long et large—au bord du Lac Michi­gan, où du côté nord il rassem­blait les corps des oiseaux migra­teurs tués par leur col­li­sion con­tre l’étendue de verre avant les pre­mières lueurs du jour.
 
Le côté nord, que ce soit en automne ou au printemps—un énigme.
 
Ces oiseaux en par­ti­c­uli­er ont-ils été chas­sés de leur chemin par les vents, et retour­nent-ils à la lumière des étoiles ou dans l’assombrissement d’avant l’aube ou sous des nuages som­bres près du lit­toral, don­nant la grande masse qu’ils risquent de percevoir comme une forêt?
 
Ils volent le long de cette même route depuis des dizaines de mil­liers d’années, et leur pen­sée tarde tou­jours à for­muler cet obsta­cle de la ville qui est apparu du coup rapi­de d’une cen­taine et demi de leurs migrations.
 
 
3.
 
Près de la cap­i­tale de l’état, des bonnes sœurs âgées arrivent pour être emprisonnées.
 
Devant la grille du péni­ten­ti­aire leurs amis chantent des chan­sons avec elles et prient, un homme bran­dit une affiche qu’il a fait qui dit “Bien­v­enue au palais de César”, et depuis les fenêtres étroites de bureaux, bien au-dessus du sol, le per­son­nel du directeur de prison surveille.
 
Ils souhait­ent que les lois et juges n’obligeaient pas les bonnes sœurs à arriv­er comme de grands gibiers d’eau pour être enfer­mées dans des cages pour une demie année pour avoir choisi de met­tre les pieds une fois de plus dans les lieux inter­dits des mis­siles nucléaires.
 
 
4.
 
Des cris, à chaque sai­son, quit­taient une pièce du sous-sol qui gisait sous le poids de tout l’édifice empris­on­nant, et à tra­vers un con­duit de chauffage ils atteignaient presque instan­ta­né­ment le corridor—mais déjà fort affaiblis—et s’envolaient jusqu’au bout du cor­ri­dor, où afin de pass­er à tra­vers une porte ils aban­don­naient une grande part de ce qui sub­sis­tait d’eux-mêmes, et ils gag­naient un autre cor­ri­dor et une fenêtre qui don­nait sur l’extérieur, mais la fenêtre était fer­mée, et après être passés par le verre cas­sant, impi­toy­able, ils atteignaient le plein air et se mur­mu­raient à une feuille d’herbe et la plume déchue de l’aile d’un moineau, et enfin avec le poids infime de leur pro­pre épuise­ment ils s’enfonçaient dans la terre, inen­ten­dus par quiconque aurait voulu ten­ter de répondre.
 
 
5.
 
Il y avait un inter­ro­ga­teur pour le préfet de la ville, un tor­tion­naire avec un sens presque infail­li­ble du deçà des lim­ites de l’agonie physique, l’humiliation, et la ter­reur impo­tente, chez les êtres humains—un homme qui était con­nu de ses supérieurs et col­lègues pour son silence impec­ca­ble à la fois au tra­vail (d’autres posaient des ques­tions insen­sées) et après, et qui, sous un autre nom écrivait des poèmes.
 
Ceux-ci ont survécu à leur pro­pre époque, vole­tant fer­me­ment à tra­vers le temps comme un petit vol, mais jamais ne devait retrou­ver leur pro­pre temps. Six ou seize siè­cles plus tard, lorsque des écueils de poésie ont été redé­cou­verts dans les décom­bres déter­rés autour d’anciens grands bâti­ments, les poèmes de l’interrogateur étaient con­sid­érés d’une beauté par­ti­c­ulière­ment déli­cate, mémorable, mais au sujet de leur auteur rien, même pas son faux nom, ne se savait. 
 
 
 
 
extrait de
It’s Time (Il est temps)
—Baton Rouge, Louisiana State Uni­ver­si­ty Press, 2002
 
 
Tra­duc­tion : Nathanaël
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