Je me sou­viens de Garous Abdol­malekian, à Sète, en juil­let 2011, lisant ses poèmes sur la place du Pouf­fre, accom­pa­g­né de son excel­lente tra­duc­trice Farideh Rava.

Je me sou­viens de ce poème : Il fait quelques pas / Il s’assied / Il se met debout…Il fait quelques pas…qui sem­blait incroy­able­ment long et qui évo­quait si par­faite­ment le pris­on­nier entre qua­tre murs.

Je me sou­viens de cette ques­tion, au cœur même du texte :  même toi tu es fatigué de ce poème ? 

Garous Abdol­malekian avait immé­di­ate­ment soulevé une grande émo­tion, attisé la curiosité de ceux qui le décou­vraient, et je souhaitais le ren­con­tr­er à nou­veau une autre fois. Je voulais le lire, mais cet été-là, aucun de ses livres n’était publié.

Voilà que grâce au tra­vail de Farideh Rava, paraît aux édi­tions Bruno Doucey  Nos poings sous la table.

Et je retrou­ve intacte l’émotion de la pre­mière fois.

Les poèmes de Garous sont à la fois limpi­des et pénétrants.

Ils ont la fraîcheur de la jeunesse (Garous est né en 1980) et la grav­ité de celui qui sait qu’Il y aura un point / Qui sera la fin de toute parole.

Ces poèmes sont des fenêtres à tra­vers lesquelles se jouent de petites scènes, avec le plus sou­vent une fin éton­nante, lumineuse, trag­ique, inat­ten­due : Cette fois-ci / Envoie-nous un prophète / Pour nous écouter seulement.

Mais il y a égale­ment, et comme mis­es en abîme, beau­coup de fenêtres à l’intérieur des textes et l’on com­prend que de l’autre côté de la vit­re, quelque chose d’autre existe, d’inconnu, de mieux.

Nous écrivons seule­ment sur les vit­re embuées / Pour faire appa­raître / La forêt par-delà la fenêtre.

Les vit­res ne pro­tè­gent pas des balles. Les poèmes de Garous en sont tra­ver­sés de part en part.

Des balles qui trouent la peau, le som­meil et les rêves, des balles qui trouent les val­lées, la forêt, le poème (lui même) a reçu une balle dès ses pre­mières lignes.

Et l’on sent partout une men­ace qui par­fois peut don­ner l’envie d’anticiper sur la mort. Si au bout des cordes il y a des bal­ançoires, il y a par­fois aus­si Un homme sus­pendu à la corde / dos à moi / Cela moi seul le sais / J’ai peur de le retourner.

Oscil­lant sans cesse entre un monde intime qui sent encore l’enfance, et un monde red­outable où l’on doit cacher ses poings sous la table, Garous nous fait signe de l’autre côté de la vit­re pour attir­er notre regard sur cette jeunesse de Téhéran, pareille à quelques Chevaux / Sans ailes / Ni crinière / Ni prairie…

Si quelqu’un a posé des mines autour de ses lèvres, ses poèmes ont la déto­na­tion des ren­con­tres qui secouent.

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