On se sou­vient de la fameuse phrase de Win­nie dans Oh les beaux jours de Beck­ett : “Assez les images”. Cette injonc­tion, Valère Nova­ri­na l’a tou­jours enten­du et c’est pourquoi – para­doxale­ment peut-être, mais afin de venir à bout des images — il a fait fon­dre la langue en l’entraînant non dans l’effacement mais dans une course folle, décom­plexée. Sur­git ain­si ce qui tient plus de la danse litanique et cyclique que du chant chez celui qui ne se laisse ficel­er par aucun scénario.

L’auteur du “La Qua­trième Per­son­ne du sin­guli­er” en huit textes évite tout logos, tout lan­gage didac­tique, toute anec­dote au prof­it d’une pure poésie au sens plein du terme. Il se laisse aller loin des couch­es asphyxi­antes du sens en explo­rant les langues déviantes (jusqu’au patois savo­yard). Il troue la langue, la libère en lui inoc­u­lant tous les virus pos­si­bles de l’humour par glisse­ments de sens, par série de bubons.

De chaque texte écrit/parlé quelque chose avance, se pré­cise sans qu’aucun sens ne se coag­ule vrai­ment. On est loin pour­tant du bor­bo­rygme ou du gar­gouil­lis d’évier. Pro­liféra­tions, scan­sions, attaques, excès de paroles devi­en­nent opérettes, opéras, opéra­tions – enten­dons ouver­tures. Chaque texte reste donc un abîme du sens, la sodomie des re-pères de “la chair de l’homme” (pour repren­dre un de ses titres). List­ings et nomen­cla­tures décol­lent les cer­ti­tudes par effet farcesque et un mou­ve­ment de transe. L’auteur fait de nous des der­vich­es tourneurs.

Cette “qua­trième per­son­ne du sin­guli­er”, l’œuvre nous per­met ain­si de nous per­dre et de nous retrou­ver tant elle souligne le fait que sig­nalait Gia­comet­ti dans ses “Car­nets” : “j’ai tou­jours eu l’impression d’être un per­son­nage vague, un peu flou, mal situé.”
Nova­ri­na ne cherche pas à amélior­er une telle image : il tire (à boulets mul­ti­ples et rouges) notre por­trait tel qu’il est. En sa con­fu­sion. C’est sans doute là une des expéri­ences les plus rad­i­cales du pou­voir de la lit­téra­ture en ses mou­ton­nements de matière ver­bale et syntaxique.

image_pdfimage_print