Dernier numéro de la revue NUNC, parue en fin d ‘année 2013, emmenée par Régi­nald Gail­lard, Frank Damour, et la par­tic­i­pa­tion active de Nico­las Idi­er, de Ludovic Chak­er et d’An­toine Roset qui ont con­coc­té un dossier sur la Chine, inti­t­ulé “Pier­res vivantes de Chine : une galerie de por­traits contemporains”.

Le lim­i­naire de cette revue qual­i­fiée d’orante pour l’oc­ca­sion — nous nous achem­i­n­ions alors vers les fêtes de décem­bre 2013 — plaçait la prière comme con­di­tion du monde, lim­i­naire signé Frank Damour. Les fêtes passées, la prière demeure tou­jours la con­di­tion du monde, aus­si, lorsque nous écrivons ces lignes, Noël étant tout juste der­rière nous, le lim­i­naire garde son actu­al­ité permanente.

Frank Damour met en rap­port le monde des médias, nous pri­vant de l’usage de nos sens, et le con­seil de Pie XII qui, cité par Mar­shall Mc Luhan dans son célèbre essai Pour com­pren­dre les médias, dis­ait : “Il n’y a pas d’ex­agéra­tion à dire que l’avenir des sociétés mod­ernes et la sta­bil­ité de leur vie intérieure dépen­dent en grande par­tie du main­tien d’un équili­bre entre la force des tech­niques de com­mu­ni­ca­tion et la capac­ité de réac­tion per­son­nelle de chaque indi­vidu”. Damour s’in­ter­roge sur ce que sig­ni­fie la for­mule : “la capac­ité de réac­tion per­son­nelle”. Après avoir inven­torié l’at­ti­rail de la tech­nolo­gie médi­a­tique et tiré la con­clu­sion que le pro­pre des médias est de couper les indi­vidus de l’usage réel de leur sens, il observe en con­séquence que “la capac­ité de réac­tion per­son­nelle” se tient dans la prière. D’un côté les médias et leur volon­té de s’ap­pro­prier le corps des indi­vidus pour sub­stituer à la Nature une appli­ca­tion tech­nologique, de l’autre la prière enten­due dans un sens absol­u­ment ouvert et non exclu­sive­ment con­fes­sion­nel. C’est Eve qui s’op­pose aux Lady Gagas. Et Damour de pro­pos­er ces phras­es inspirées sur la prière : “La prière est une dis­po­si­tion fon­da­trice de l’être, qui n’a pas de lien néces­saire avec une con­fes­sion religieuse. La prière tient en une capac­ité d’ad­mir­er, de faire mémoire, d’ac­cueil­lir et de dire mer­ci, oui, amen, c’est ain­si. Elle est un agir intérieur qui informe et autorise une expéri­ence du monde. Elle est une dis­po­si­tion qui révèle à la con­science la vie intérieure comme expéri­ence de l’autre. La prière est avant toute chose atten­tion à l’autre — vis­ages, êtres, objets — dans sa sin­gu­lar­ité.

Le dossier Péré­grin, orchestré par Nico­las Idi­er, Ludovic Chak­er et Antoine Roset, fait suite au liminaire.“Par ce dossier, nous dis­ent ses maitres d’oeu­vre, la revue NUNC souhaite don­ner à la Chine un vis­age con­tem­po­rain et intime. (…) Les pein­tures de “pier­res” (gravures choisies du Suyuan­shipu, cat­a­logue com­pilé en 1613 par Lin Youlin) qui parsè­ment ce dossier font référence à l’ar­bre tortueux du Zhuangzi, dont les branch­es sont si peu régulières qu’elles ne peu­vent être util­isées directe­ment pour en faire des rondins et des planch­es de con­struc­tion. De même, ces indi­vidus sont trop sin­guliers pour être des matéri­aux de con­struc­tion, et la “Chine en con­struc­tion” qu’ils con­tribuent à édi­fi­er est davan­tage un chem­ine­ment sincère qu’un édi­fice conquérant.”

Dossier pas­sion­nant, que nous ne pou­vons que vous inviter à lire, et qui fait tomber, sans par­ti pris, les œil­lères sur la Chine con­tem­po­raine, celle, éloignée des télévi­sion occi­den­tales. Nous retien­drons par­ti­c­ulière­ment, bien que chaque arti­cle soit une fenêtre, les poèmes dérangeants de Chun Sue, “décrivant les rêves et les décep­tions de la jeunesse per­due et le désar­roi d’une généra­tion de trente­naires, pris de court par le gigan­tisme d’une société qui les force au bon­heur.” Les six chan­sons de Zhou Yun­peng, dont l’ex­tra­or­di­naire LES CHÔMEURS.

Ludovic Chak­er nous par­le de Liang Chao­qun, maître de Kung Fu tra­di­tion­nel, appris auprès de maîtres déposi­taires de cet art mar­tial ances­tral. Après un par­cours dif­fi­cile, Liang Chao­qun enseigne en France son art, s’é­tant adap­té à l’e­sprit occi­den­tal. Puisque la Chine tra­di­tion­nelle dont il est un héri­ti­er a dis­paru, c’est en France qu’il pro­longera l’en­seigne­ment de la grande cul­ture chi­noise con­tenue dans cet art mar­tial, et inté­grant un art de vivre, un art du corps, un art des let­tres, un art de l’être.

A ce dossier suc­cède la par­tie inti­t­ulée Shekhi­na, et les beaux poèmes de Pauli­na Mikol Spiechow­icz, puis la par­tie Axis Mun­di avec la voix poé­tique de Ben­jamin Guérin, et l’es­sai de Zoé Balthus sur Rilke et Tsvétaeva.

Ce numéro se ter­mine, comme à l’ac­cou­tumée, par le cahi­er cri­tiques. Nous porterons notre atten­tion sur la note de lec­ture croisée de Pier­rick de Cher­mont sur Le silence des pier­res, de Matthieu Bau­mi­er, livre paru aux édi­tions du Nou­v­el Athanor, et de Christophe Dauphin, L’om­bre que les loups empor­tent, pub­lié aux édi­tions Les Hommes sans Epaules. Arti­cle remar­quable dans lequel Cher­mont a sen­ti le vent tourn­er au sein de la poésie française. “Je voudrais point­er deux poètes qui incar­nent un mou­ve­ment nou­veau de la poésie française actuelle. (…) Pourquoi veu­lent-ils en découdre ? Il y a chez l’un et l’autre la con­vic­tion que le “Recours au Poème” agi­rait comme une arme salv­i­fique sur le monde d’au­jour­d’hui ou que le poète est aujour­d’hui le dernier por­teur de feu néces­saire pour pro­duire un lende­main. (…) Avant de m’at­tarder un peu plus sur leur dernier recueil respec­tif, il faut sig­naler qu’ils ne sont pas les seuls. Boulanger, Gar­nier-Duguy  entre autres — peu­vent être rat­tachés au même mou­ve­ment.” Après une étude fouil­lée, Cher­mont tient ces pro­pos déter­mi­nant, aux­quels nous souscrivons absol­u­ment : “On ne peut que regret­ter le manque d’in­térêt des grands cri­tiques pour ce qui se passe en poésie. Pourquoi retir­er cette pièce maîtresse de la créa­tion ? J’avoue ne pas comprendre”.

NUNC, numéro 31 : une revue Orante ! 

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