Passeur de mots norvégien, Olav Hauge emprunte la voie orphique afin de ren­dre hom­mage à la nature du Hardan­ger, haut-plateau sauvage auquel il dédie son exis­tence. Vivant au rythme des saisons à Ulvik, ce mage dont la poésie résonne d’é­chos pan­théistes (« tu portes le dieu de pierre
au fond de toi », écrit-il) naît et meurt sur la même terre, à l’im­age d’une « racine qui s’a­grippe fort à la mon­tagne ». Les influ­ences lit­téraires et esthé­tiques ain­si que la sen­si­bil­ité de Hauge se gor­gent de la noirceur d’un Trakl, la voy­ance d’un Rim­baud et l’er­rance des clas­siques Chi­nois comme Li Po ou encore Lu Ji, qu’il a lui-même traduits et nous enjoint à décou­vrir, pour cul­min­er dans un syn­crétisme poé­tique digne d’un Nico­las Flamel.

            Chant scaldique et incan­ta­toire de par les sonorités du dialecte natal de Hauge, le nyorsk, ses poèmes, véri­ta­bles aurores boréales, se tein­tent de sym­bol­es épars qui nous enga­gent vers une dou­ble, voire une triple lec­ture – degrés d’in­ter­pré­ta­tion qu’il nous offre grâ­cieuse­ment la lib­erté de par­courir au gré des bris­es marines, car, écrit-il encore, « qui se soucie du cap, quand on a un tel vent ? »

            Véri­ta­ble hymne aux élé­ments, sa poésie égrène les références à l’as­tre des nuits, l’or­age, la neige des fjords glacés et l’eau des riv­ières, les arbres dont on sait qu’ils abri­tent des elfes, aux saisons et océans qui le hantent, lui qui « hul­ule dans la brume » pour repren­dre son vol majestueux, tel un aigle aux « ser­res ensanglan­tées ».

            Alchimiste et thau­maturge anachronique, Olav Hauge guérit du gouf­fre qu’a creusé le cortège des soli­tudes et con­tem­ple la lente émer­gence du vrai près d’une Ondine qu’il nous plait d’ad­mir­er à ses côtés tan­dis qu’elle aspire « la mon­tagne gris de fer (…) dans un long bais­er de glace ». La mytholo­gie prend vie dans une nature hal­lu­cinée, tant de fois rêvée et par­cou­rue, dont les cycles sont autant de scansions.

            Son écri­t­ure, épurée, aéri­enne et affranchie des formes clas­siques, évoque les for­mules mys­térieuses des anci­ennes inscrip­tions runiques, entremêlée de soupirs por­teurs de sens. Ici, comme chez Tar­jei Vesaas et Einar Benedik­ts­son, les mots, sauvages, font écho au monde que le poète reçoit en offrande (« Aujour­d’hui je sais que j’ai fait un bon poème. Les oiseaux piail­laient au jardin lorsque je suis sor­ti, et le soleil était doux sur les hau­teurs de Berga ») et nous livre avec la pro­fonde grâce de celui qui n’ig­no­rait pas qu’un jour viendrait où il ne s’éveillerait « plus jamais à l’océan, aux étoiles, aux forêts, à la nuit » et « aux matins pleins d’oiseaux ». Appréhen­sion de l’inévitable, certes, mais accep­ta­tion égale­ment de ce qui est voué dès l’o­rig­ine à être et disparaître.

             Car face à la houle et aux remous de la mer qui l’agi­tent, une « mer­veille » advient : la vague ne « frappe » plus, et la « joie tam­bourine sur son boucli­er de cuiv­re ».

Lire Olav Hauge dans Recours au Poème

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