Over and Underground in Paris & Mumbai — Rengas ferroviaires

Par |2025-11-06T12:40:15+01:00 6 novembre 2025|Catégories : Focus, Karthika Naïr, Sampurna Chattarji|

Ren­gas ferroviaires

Over and Under­ground in Paris & Mum­bai [« Paris/Mumbai/Aérien/Souterrain »] est un pro­jet col­lec­tif poéti­co-fer­rovi­aire porté par qua­tre femmes : deux poètes, Karthi­ka Nair et Sam­pur­na Chat­tar­ji, deux illus­tra­tri­ces, Rosh­ni Vyam et Joëlle Jolivet. 

Le résul­tat est un livre objet tête-bêche comme une rame auto­motrice réversible : la 4e de cou­ver­ture est aus­si une 1e de cou­ver­ture et la 1e une 4e de sorte que, tel le con­duc­teur qui change de cab­ine de com­mande au ter­mi­nus pour repar­tir en sens inverse, le lecteur, pour tout lire, doit ren­vers­er le volume.

[K.N.] And now, to end, to end or to begin –
for the two can appear well-nigh the same
dizy­got­ic twins doff­ing wilfully 
mis­matched hats or hel­mets, that’s all – here be
a can­ti­cle for those who trans­mute stray 
rocks (or maybe satel­lites, inert and 
aim­less) into swirling constellations
of lines and sta­tions that sparkle and spin
by moon­less sun­shine as by night : the near
three thou­sand engine dri­vers that magic
many mil­lions of us…

Voici en fin fin ou début
les deux peu­vent paraître qua­si pareils
jumeaux dizy­gotes coif­fés, têtus,
de cha­peaux ou casques dépareil­lés, voilà tout – voici
un hymne à qui trans­mue des rochers
errants (ou qui sait des satel­lites flottants,
inertes) en con­stel­la­tions tournantes
de lignes et de sta­tions cha­toy­antes pivotantes
sous un soleil sans lune comme la nuit : les près de
trois mille con­duc­teurs qui magient
plusieurs mil­lions d’entre nous…

Karthi­ka Nair & Sam­pur­na Chat­tar­ji, Rosh­ni Vyam & Joëlle Jolivet, Over and Under­ground in Paris & Mum­bai, Con­text West­land Books 2018.

L’idée était de rap­procher l’Inde et la France par le biais des réseaux fer­rés locaux de Paris et Mum­bai, et des ban­lieusards d’ici et de là-bas, tous pris dans le flux san­guin des trans­ports quo­ti­di­ens on every freight­ed day [S.C.], « tous les jours affrétés ».

D’une fructueuse orig­i­nal­ité, l’objet col­lab­o­ratif, inspiré du ren­ga, se présente comme un échange épis­to­laire entre les deux poètes, dont l’un, face 1, est lancé par Karthi­ka, l’autre, face 2, par Sam­pur­na – ou vice ver­sa. Sur la face 1, K., par exem­ple, avait pour tâche de com­mencer un poème en reprenant le dernier vers du poème précé­dent de S. Alors que, sur la face 2, S. devait ter­min­er un poème en reprenant le pre­mier vers du poème précé­dent de K.

Le Peleti­er, Cadet, Riquet… there’s a near-dozen sta­tions more before Porte de la Vil­lette. How­ev­er will I reach before tonight’s pre­miere ! Pan­ic and bile rise in lilac swirls till ‘No sweat, we’ll sneak you through stage door, stretch the first song or some­thin’. Yes, here is where and why I belong.

Le Peleti­er, Cadet, Riquet… encore près d’une douzaine de sta­tions avant Porte de la Vil­lette. Com­ment pour­rais-je arriv­er à temps à la pre­mière de ce soir ? Panique et maus­saderie crois­sent en tor­sades lilas jusqu’à : « Pas de soucis, on te fera pass­er par l’entrée des artistes, on fera dur­er le pre­mier air, on trou­vera un moyen. » Oui, voici où je suis et pourquoi j’y suis.

[S.C.] Where and why I belong was nev­er clear to me 
Until
I found myself land­ing feet first in Mumbapuree

je suis et pourquoi j’y suis ne m’est jamais apparu Net­te­ment jusqu’à ce que
J’atterrisse les pieds les pre­miers à Mumbapuree

 

Sam­pur­na avoue qu’un vers lancé par Karthi­ka l’« a aigu­il­lée vers une voie par­al­lèle où, arrê­tant d’observer atten­tive­ment les pas­sagers, j’ai fer­mé les yeux et me suis mise à m’observer moi-même et à con­fron­ter mes peurs inavouées », ce qui ne serait sans doute pas arrivé si elle n’avait « pas été con­trainte de par­venir à un vers par­ti­c­uli­er à la fin de mon poème ».

 

Écrit par Karthi­ka Nair et Sam­pur­na Chat­tar­ji et illus­tré par Roshi­ni Vyam et Joëlle Jolivet, « Over and Under­ground in Paris and Mum­bai » est un réc­it de voy­age sous forme de poésie, d’il­lus­tra­tions et de con­ver­sa­tions à tra­vers les con­ti­nents entre Sam­pur­na Chat­ter­ji, de Mum­bai, et Karthi­ka Nair, de Paris. Entre­tien avec Karthi­ka Nair.

Ain­si les poèmes de S. et de K. se croisent comme des rames, invi­tant les lec­tri­ces à vadrouiller entre les mots, entre les lignes et entre les usagers tour à tour du métro parisien…

[K.N.] By Châtelet, the rip­ple swells into torrent.
Legions and legions of heels pound steel-tipped concrete
stairs to the plat­form, some side­step­ping, some near trip­ping on, an islet of qui­et […/…], mid­dle-aged, unshaven […/…] plas­tic tum­bler in hand for handouts.

Vers Châtelet, l’onde gon­fle en torrent.
Des légions de talons pilon­nent les escaliers en béton à nez de march­es en aci­er, jusqu’au quai, cer­tains évi­tant, d’autres man­quant de trébuch­er sur un îlot de paix […/…] d’âge mur, pas rasé […/…] gob­elet en plas­tique à la main des­tiné aux aumônes.

… et le réseau de chemin de fer (sub)urbain de Mum­bai, avec ses pro­pres voca­bles et pressions.

[S.C.] Mean­while at six thir­ty, between Matun­ga Road-Mahim Junc­tion you would nev­er live to rue the day you caught the five-thir­ty-sev­en fast from Chur­gate to Vihar, if only you’d wait­ed for the next one, you might even have got a seat…

En atten­dant, à six heures trente, entre Matun­ga Road et Mahim Junc­tion, tu n’eus pas l’heur de sur­vivre pour regret­ter le jour où tu as pris le direct de 17h37 Church­gate-Vihar, si seule­ment tu avais atten­du le suiv­ant, tu aurais même pu qui sait trou­ver une place assise…

« Paris/Mumbai/Aérien/Souterrain » rap­proche des réseaux fer­rovi­aires ten­tac­u­laires qui cimentent, agrè­gent, font un tout de cha­cune de deux métrop­o­les qui vivent, bougent, pulsent grâce à eux et à leurs inces­sants mou­ve­ments. Le recueil noue – de « nouer », comme dans : « nœud fer­rovi­aire » et comme dans : entrelace­ment des regards, des visions, des points de vue. Sans oubli­er « resser­rage » comme dans : resser­rage des boulons et resser­rage des liens.

On board, the sari-clad
gazelle-eyed beau­ty stares
thought­ful­ly at me from an
ARE YOU BEING HARASSED
poster, win­some­ly win­ning me 
over to her gen­tle way of resisting
every moles­ter with a simple
phone-call.


A bord, la beauté en sari
yeux de gazelle me fixant
l’air pen­sif depuis une affiche
VICTIME DE HARCELEMENT ?  
me ral­lie aguicheuse
à sa manière douce de résister
à tout agresseur par un simple
appel téléphonique.

L’échange épis­to­laire des poètes est redou­blé par l’entrecroisement des illus­tra­tions de Rosh­ni Vyam et Joëlle Jolivet. Elar­gis­sant l’échange de per­spec­tives, les poètes ont pro­posé à cette dernière, la vis­i­teuse française, de se con­cen­tr­er sur les rames de Mum­bai : elle nous livre des por­traits au trait énergique, d’une rare justesse, tout en pos­tures et expres­sions indi­vid­u­al­isées saisies au vol ; de son côté, Vyam, vis­i­teuse (pard­han) gond à Paris, s’inspirant des motifs (digh­na, chowka) géométriques, pig­men­tés, vibrants dont les Pardhan(e)s cou­vrent tra­di­tion­nelle­ment murs et sols, trans­fig­ure les tra­jets R.A.T.P. en imposant un con­tre­point antique, végé­tal et ani­malier au pro­pos con­tem­po­rain, (sub)urbain de l’ouvrage.  

Le quatuor réu­nit en un ouvrage deux foules que tout sépare sauf leurs sché­mas de déplace­ments con­fiés aux trans­ports en com­mun – et désor­mais ces deux textes illus­trés qui s’entremêlent, « faits de mil­lions d’individus …

They are the freight
Ils sont le fret

The human cargo
La car­gai­son humaine

… et de moments où, quand la foule s’écarte, sont révélées des bribes d’histoires qu’on ne peut que devin­er, inven­ter. 

From Sam­pur­na to Karthika
De Sam­pur­na à Karthik
(extrait)

It can­not be 
That endurance knows 
No lim­it
Impos­si­ble
Que l’endurance ne connaisse

No lim­ite
No lim­it

To the num­ber of men who will
Attach them­selves
No lim­ite
Au nom­bre d’hommes qui
S’agrippent

To the out­er edges of each
Com­part­ment
No lim­it
A l’extérieur de chaque
Compartiment
No limite

To their disregard
For death
It can­not be
A leur mépris
De la mort
Impossible

That two faces 
Emerge
From this
Que deux visages
Emergent
De ce

Dai­ly
Car­nage
Wreathed in smiles
Car­nage
Quotidien
Enguir­landés de sourires

There are twen­ty three names I must list
Not the thou­sand and eight names of Durga
The thou­sand names for reindeer
The nine­ty-six names for love
The fifty names for snow
Just the twen­ty-three names I hadn’t foreseen
Je dois lis­ter vingt-trois noms
Pas les mille et huit noms de Durga
Ou les mille noms du renne
Les qua­tre-vingt-seize de l’amour
Ou les cinquante de la neige
Non : les vingt-trois que je n’avais pas prévus

How could I 
As I sat wait­ing for my train to Pune to arrive
On a plat­form besieged by locals
Where the long-dis­tance train is just another
Inter­lop­er
Anoth­er rude
Inter­rup­tion ?
Comme aurais-je pu
Atten­dant mon train pour Pune
Sur un quai bondé de banlieusards
Où l’express interur­bain n’est qu’un
Intrus supplémentaire
Un énième et grossier
Hiatus ?

Mukesh Mishra  Shub­ha­la­ta Shet­ty  Suja­ta Shet­ty Sachin Kadam  Mayuresh Hal­dankar  Ankush Jaisw­al  Jyoti­ba Cha­van Suresh Jaisw­al  Chan­drab­ha­ga Ingle  Tere­sa Fer­nan­dis  Rohit Parab  Alex Curia  Hilloni Ded­hia  Chan­dan Ganesh  Singh Mush­taq  Rais Teli  Priyan­ka Pasarkar  Moham­mad Shak­il Shrad­dha Warpe  Meena Varunk­ar  Vijay Bahadur  Masood Aslam et Satyen­dra Kano­jia who died, not with the oth­ers in the stam­pede on the foot­bridge con­nect­ing Elphin­stone Road and Par­el sta­tions, not on Sep­tem­ber twen­ty-ninth, two thou­sand sev­en­teen, but a whole day lat­er, in hos­pi­tal, suc­comb­ing to inter­nal injuries, tak­ing the death toll to twenty-three.

Mukesh Mishra  Shub­ha­la­ta Shet­ty  Suja­ta Shet­ty Sachin Kadam  Mayuresh Hal­dankar  Ankush Jaisw­al  Jyoti­ba Cha­van Suresh Jaisw­al  Chan­drab­ha­ga Ingle Tere­sa Fer­nan­dis  Rohit Parab  Alex Curia  Hilloni Ded­hia  Chan­dan Ganesh  Singh Mush­taq  Rais Teli  Priyan­ka Pasarkar  Moham­mad Shak­il Shrad­dha Warpe  Meena Varunk­ar  Vijay Bahadur  Masood Aslam et Satyen­dra Kano­jia tous décédés non pas au moment de la cohue sur la passerelle reliant les sta­tions de Elphin­stone Road et de Par­el, pas le vingt-neuf sep­tem­bre deux mille dix-sept mais bien vingt-qua­tre heures plus tard, à l’hôpital, de leurs blessures internes, vingt-trois morts en tout.

3202 pas­sen­gers died
and 3363 were injured
on the sub­ur­ban rail
net­work in 2016
3202 voyageurs sont morts
et 3363 ont été blessés
sur le réseau
sub­ur­bain en 2016

                                              

                                                         While 8 peo­ple die
                                                     on the local train tracks
                                                                 every day. 31 %
                                                       per cent stay untraced
                                                             Tous les jours
  8 per­son­nes meurent
                                                        écrasées sur les voies

                                                        
dont 31% non identifiées
…/…

                                                    As many as 1798 people
                                                                  (more than 50% 
                                                                   of total fatalities)
                                                died while cross­ing the tracks
    1798 morts, pas moins
                                                                          (plus de 50%
                                                          de la total­ité des décès)
                                                            en tra­ver­sant les voies

Death from oth­er reasons :
Falling from trains (657)
Hit­ting the pole (8)
Slip­ping through
Autres caus­es de décès :
Tombé du train (657)
Heurté un poteau (8)
En glissant

                                                    The plat­form gap (13)
                                                               Elec­tric shock (34)
                                                           Sui­cides (33) Natural
                                                     Death (524) Oth­ers (133)
              entre le quai et le marchep­ied (13)
                                                                    Elec­tro­cuté (34)
                                                               Sui­cidé (33) Cause
                                                Naturelle (524) Autres (133)

                              I think about the Others. 
                      What oth­er rea­sons could there be, 
                       too indi­vid­ual to be listed ? 
               What were the caus­es of nat­ur­al death ? 
               Heart attacks ? Haem­or­rhages ? Strokes ? 
Je pense aux Autres.
Quelles autres raisons pour­rait-il bien y avoir,
trop indi­vidu­elles pour être listées ? 
Quelles étaient ces caus­es de mort naturelle ?
Hémor­ragie ? Infarc­tus ? AVC ?
…/…
I am not sur­prised. How many of those I saw this morning 
would have got home safe ?
Would not have lost their ten­u­ous grip on doors or someone’s
 poly­ester shoul­der, and fall­en to their deaths ? 
How many slipped right through the plat­form gaps ? 
Je ne suis pas sur­prise. Com­bi­en de ceux que j’ai vus ce matin 
sont-ils ren­trés chez eux ce soir sains et saufs ? Auront, 
lâchant la por­tière ou l’épaule poly­ester de leur voisin, glis­sé e
t trou­vé la mort en s’écrasant sur le ballast ?
Com­bi­en auront chuté en gare même, sautant du train
en marche, dans l’interstice entre la rame et le quai ?
*
What stays when you switch off the sound ? 
                  Que reste-t-il quand on coupe le son ?

 

unfore­seen grace
a preg­nant woman
stom­ach wrapped safe
beneath her pallu
walk­ing past
la grâce inattendue
d’une femme enceinte
pas­sant là
ven­tre emmail­loté protégé
par son pallu

                                                                              gleem
               of steel
                                                                              bench
                                                                                      rid­dled
            with light
               l’éclat
d’une banquette
   en alu­mini­um
                                                                                     criblée
        de lumière     

dude in flip-flops
and dis­tressed jeans
impa­tient to be off
peer­ing engine-ward
as if to make it move
by sheer will alone
and yet when it does
he switch­es mood
and arch­es languid
at the door reluctant
to let his flip­pered foot
lose con­tact
with the ground
lift­ing in and off
at the very last moment
his arms wide yawns
his fin­ger­tips barely
brush­ing the sil­ver ribbing
above the door
un type en tongs
et jeans délavé
à hâte que le con­voi s’ébranle
regard rivé à la tête du train
comme pour stim­uler la loco
par sa seule force de volonté
or quand elle avance
son humeur vire
lan­guide il se cambre
bâille à la porte rechignant
à laiss­er son pied palmé
per­dre le contact
avec le sol
il le soulève le rentre
au tout dernier moment
bras en croix
pha­langettes touchant
à peine le rebord nervuré
au-dessus de la porte

the chore­og­ra­phy
of bags
some men keep
their knap­sacks
safe and snug
before them
preg­nant men
with bul­gy tums
in baby-pink shirts
oth­ers slipshod
with plas­tic bags
swing jew­ellers
and sweet-sell­ers
cloth­iers and tailors
bums and bats
into faces
as they board                                                                  
choré­gra­phie
de sacs
besaces gardées
bien à l’abri
ser­rées sur le ventre,
hommes enceints
bidon bom­bé sous la
chemisette rose tan­dis que
d’autres nég­li­gents brandissent
des poches en plastique
camelots de bijoux toc
marchands de bonbons
cou­turi­ers tailleurs
clo­dos et dingos –
con­tre les visages
en se ruant à bord

A Mum­bai, le cycle métro — boulot — (bref) dodo n’est pas une activ­ité exempte de risques mor­tels. A Paris, l’atmosphère est sinon apaisée, du moins, quoiqu’on en pense ou en dise, sen­si­ble­ment plus confortable.

From Karthi­ka to Sampurna
De Karthi­ka à Sampurna
(extraits)

 [K.N.] Ram­buteau
You stroll east­wards. I head north via Line 11, div­ing into a seat beside three blue-and-grey stripe-tied con­nois­seurs of game con­soles, rapt notch­ing the virtues of Wii U, Xbox One & PlaySta­tion 4 on a win­dow mist­ed by earnest breaths.
Ram­buteau
Tu pars à l’est au pas de prom­e­nade. Je vise le nord via la Ligne 11, plonge sur une place libre à côté de trois con­nais­seurs, cra­vatés bleu et gris, de con­soles de jeu, encochant cap­tivés les ver­tus de Wii U, Xbox One & PlaySta­tion 4 sur la vit­re embuée par leurs haleines appliquées.

 Arts & Métiers
A springy-haired young man in carmine cir­cum­au­r­al head­phones cov­ers his eyes with a qui­et hand and weeps.
Arts & Métiers 
Un jeune homme à la tig­nasse élas­tique auréolée d’un casque audio stéréo carmin se cou­vre les yeux d’une main placide et pleure.

République : Change here for 3, 5, 8 & 9. Tangerine, 
tan­ger­ine will sign the course of my lifeline.


       On knees abut­ting mine dance a woollen flat 
cap and grey leather gloves ; the own­er spells
aloud touch-typ­ing dis­patch­es on a new, silver
tele­phone, a sin­gle quiv­er­ing let­ter at a time :
his eyes hold the sparkle his fin­gers have no more.


République : Change­ment pour les lignes 3, 5, 8 & 9. 
La ligne orange, l’orange sign­era le tracé de ma corde de sécurité.

       Sur des genoux accolés aux miens dansent un béret en 
laine et des gants en cuir gris ; leur pro­prié­taire tapote des 
mes­sages sans regarder les touch­es d’un portable neuf chromé, 
épelant chaque let­tre trem­blante cliquée une à la fois :
ses yeux con­ser­vent le pétille­ment que ses doigts n’ont plus.

Jacques Bon­ser­gent

And just across the aisle, a bare­ly teenage cou­ple sample
kiss­es, dis­cov­er the cal­lig­ra­phy of courtship : an inky index
fin­ger draw­ing whorls in fuch­sia from the well
of a neck, while unlearned, eager lips gild the down
stroke from cheek­bone to cleft on chin, and his hand cursives 
desire in two scripts along her stock­ing-clad shin.


Jacques Bon­ser­gent

 Et juste de l’autre côté du couloir, un cou­ple à peine nubile
s’essaie aux bais­ers, décou­vre la cal­ligra­phie de la drague :
un index noir d’encre tire des volutes fuch­sia du puits du cou, 
tan­dis que d’ardentes lèvres inex­pertes dorent
  une caresse plongeante de la pom­mette à la fos­sette du
men­ton et que la main du garçon écrit le désir en attaché et
 en deux gra­phies sur le bas luisant du tib­ia de la fille.

Et ain­si de suite à la faveur de déplace­ments et de change­ments à telle ou telle sta­tion. « Paris/ Mumbai/Aérien/Souterrain » peut se lire comme un roman, en prenant le vol­ume dans un sens puis dans l’autre comme on tente de com­pren­dre un plan du Métro de Paris ou de la Cen­tral Line ou de la West­ern Line à Mum­bai, d’un trait ou pas, en aller sim­ple ou en aller-retour, en droite ligne ou en faisant des détours, en sautant d’une ligne à l’autre, de nuit comme de jour comme on entre dans un tun­nel et en ressort.

Le thème est riche.

 

Karthi­ka Naïr et Joëlle Jolivet sur les lieux du métro : au-dessus et sous terre à Mum­bai et Paris. Karthi­ka Naïr et Joëlle Jolivet évo­quent leur nou­velle col­lab­o­ra­tion Over & Under­ground à Mum­bai et Paris, un regard sur le fonc­tion­nement artériel de deux villes — Paris et Mum­bai — qui asso­cie mag­nifique­ment la poésie de Naïr et les illus­tra­tions de Jolivet à celles de leurs homo­logues à Mumbai.

Les tra­jets sont prop­ices à la médi­ta­tion, notam­ment hors des heures de pointe, quand l’atmosphère est plus sere­ine, moins alour­die par la foule. Il est ten­tant alors pour la poète de retourn­er à ses marottes per­son­nelles. Ain­si, l’observation des noms des sta­tions peut men­er à un détour pure­ment lit­téraire : Chat­tar­ji, qui avait déjà écrit sur Bombay/Mumbai, s’attarde alors sur un palimpses­te linguistique.

Mais la cohab­i­ta­tion for­cée par le pro­jet col­lab­o­ratif – avec les voyageurs mais aus­si entre elles – les font sor­tir de leur intro­spec­tion pour les entraîn­er sur un chemin plus col­lec­tif qu’un poète a ten­dance à l’être.

Sam­pur­na Chat­tar­ji se laisse aller à des réflex­ions qui, par­ties de la ques­tion fer­rovi­aire, la tran­scen­dent. Sa colère face au délabre­ment du réseau ou sa com­pas­sion face au sort des com­muters, aux­quels le recueil est dédié, devi­en­nent des sen­ti­ments qui se répan­dent loin des rails.

La con­tem­pla­tion des paysages fam­i­liers mais changeants, l’observation des autres pas­sagers entraîne l’une et l’autre vers le passé, voire l’avenir.

Les tra­jets sont prop­ices à des sou­venirs, qui à leur tour, les entraî­nent vers d’autres sou­venirs. Ce « car­net de voy­age » écrit sur une longue péri­ode trahit par­fois le temps écoulé entre la com­po­si­tion du pre­mier poème et l’écriture du dernier, tout comme le wag­on d’aujourd’hui et ses usagers ne sont plus les mêmes qu’il y a ne serait-ce que trois ans. Un pan d’histoire chao­tique et dra­ma­tique s’est écrit entretemps et les poèmes traduisent cela, de même que les deux poètes ont mené leur vie pro­pre cha­cune de son côté durant le temps d’élaboration du recueil. Karthi­ka Nair précède ou pro­longe volon­tiers les tra­jets en métro par des excrois­sances qui rejoignent celles des motifs de son illus­tra­trice, Rosh­ni Vyam… des par­cours à pied dans la cap­i­tale, dans des rues où l’on entend par­fois les bruits mon­tant des entrailles.

Ta-dam ta-dam ta-dam…

 

 

 

Présentation de l’auteur

Karthika Naïr

Karthi­ka Naïr est poète, dra­maturge, fab­u­liste et libret­tiste. Le can­tique des lionnes (Until the Lions : Echoes from the Mahab­hara­ta),  réécri­t­ure à plusieurs voix du Mahab­hara­ta, épopée fon­da­trice en Asie du Sud, a été récom­pen­sé en 2015 par le « Tata Lit­er­a­ture Live Award for Book of the Year » en fic­tion.  Le livre a été très remar­qué lors des “For­ward Prizes” en 2016. Il a été adap­té à plusieurs repris­es pour la danse, le théâtre et l’opéra. Les Oiseaux élec­triques de Pothaku­diElec­tric Birds of Pothaku­di – illus­tré par Joëlle Jolivet – a rem­porté le Prix Felipe de lit­téra­ture écologique pour enfants, et a fig­uré dans les dernières sélec­tions du Jugendlit­er­atur­preis 2023.

La poésie de Karthi­ka Naïr a été pub­liée dans de nom­breuses antholo­gies et revues, comme Gran­ta, Los Ange­les Review of Books, Poet­ry Mag­a­zine, Poet­ry Inter­na­tion­al, Indi­an Lit­er­a­ture, The Blood­axe Book of Con­tem­po­rary Indi­an Poets, the For­ward Book of Poet­ry 2017, ain­si que Ver­sus Ver­sus: 100 Poems by Deaf, Dis­abled and Neu­ro­di­ver­gent Poets (à paraître en 2025 chez Blood­axe). Elle a été lau­réate d’une rési­dence à Sangam House (Inde) en 2012, ain­si qu’à la Fon­da­tion Toji (Corée) en 2013, puis à la Vil­la Mar­guerite Yource­nar (France) en 2015. Son dernier recueil de poésie, A Dif­fer­ent Dis­tance (Milk­weed Edi­tions, 2021), des ren­ga écrits à qua­tre mains avec la poète améri­caine Mar­i­lyn Hack­er, a fig­uré sur la liste de recom­man­da­tions de Ms. Mag­a­zine en automne 2021 puis a été sélec­tion­né dans Indie Next en décem­bre 2021.

Par­mi les per­for­mances dont Karthi­ka  Naïr a écrit les scripts :   ROOH: With­in Her (2024) de Urja Desai Thako­rePETTEE: Sto­ry­box (2024) avec le romanci­er Deep­ak Unnikr­ish­nan; la pièce Beneath the Music (2023) mise en scène par Jay Emmanuel au théâtre Encounter à Perth (Aus­tralie); Mari­posa (2022) de Car­los Pons Guer­ra,  une réécri­t­ure queer de Madame But­ter­fly, opéra de Puc­ci­ni; et plusieurs des pro­duc­tions de danse primées de Akram Khan, dont Le can­tique des lionnes (2016), adap­ta­tion d’un chapitre de son livre éponyme.

Karthi­ka Naïr est cofon­da­trice de la com­pag­nie du choré­graphe Sidi Lar­bi Cherkaoui, East­man, et pro­duc­trice exéc­u­tive de plusieurs des œuvres de Sidi Lar­bi Cherkaoui, ain­si que celles de Damien Jalet. Entre 2010 et 2015, elle été pro­gram­ma­trice asso­ciée du Fes­ti­val Equi­lib­rio à Rome avec Cherkaoui. En 2012, elle a créé les Prakri­ti Excel­lence in Con­tem­po­rary Dance Awards (PECDA) pour la Fon­da­tion Prakri­ti (Inde), une ini­tia­tive unique pour la danse dans le Sous-Con­ti­­nent indi­en, et elle en a été la direc­trice artis­tique pen­dant qua­tre édi­tions bian­nuelles. Elle est actuelle­ment chargée de rechercher de nou­veaux spec­ta­cles de danse en tant que mem­bre du Rose Inter­na­tion­al Dance Prize, une nou­velle ini­tia­tive glob­ale, organ­isée par le Sadler’s Wells The­atre, à Lon­dres : elle est aus­si mem­bre du jury qui choisira les final­istes de l’édition inaugurale.

© Crédits pho­tos Koen Broos

Bibliographie 

La poésie de Karthi­ka Naïr a été pub­liée dans de nom­breuses antholo­gies et revues, comme Gran­ta, Los Ange­les Review of Books, Poet­ry Mag­a­zine, Poet­ry Inter­na­tion­al, Indi­an Lit­er­a­ture, The Blood­axe Book of Con­tem­po­rary Indi­an Poets, the For­ward Book of Poet­ry 2017, ain­si que Ver­sus Ver­sus: 100 Poems by Deaf, Dis­abled and Neu­ro­di­ver­gent Poets (à paraître en 2025 chez Blood­axe). Elle a été lau­réate d’une rési­dence à Sangam House (Inde) en 2012, ain­si qu’à la Fon­da­tion Toji (Corée) en 2013, puis à la Vil­la Mar­guerite Yource­nar (France) en 2015. Son dernier recueil de poésie, A Dif­fer­ent Dis­tance (Milk­weed Edi­tions, 2021), des ren­ga écrits à qua­tre mains avec la poète améri­caine Mar­i­lyn Hack­er, a fig­uré sur la liste de recom­man­da­tions de Ms. Mag­a­zine en automne 2021 puis a été sélec­tion­né dans Indie Next en décem­bre 2021.

Poèmes choi­sis

Autres lec­tures

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Over and Underground in Paris & Mumbai — Rengas ferroviaires

Ren­gas fer­rovi­aires Over and Under­ground in Paris & Mum­bai [« Paris/Mumbai/Aérien/Souterrain »] est un pro­jet col­lec­tif poéti­­co-fer­­rovi­aire porté par qua­tre femmes : deux poètes, Karthi­ka Nair et Sam­pur­na Chat­tar­ji, deux illus­tra­tri­ces, Rosh­ni Vyam et Joëlle Jolivet. […]

Présentation de l’auteur

Sampurna Chattarji

Sam­pur­na Chat­tar­ji est poète, roman­cière, tra­duc­trice et rédac­trice en chef de la rubrique poésie du mag­a­zine Indi­an Quar­ter­ly. Par­mi ses ouvrages récents, citons Over & Under Ground in Mum­bai & Paris (West­land Pub­li­ca­tions, 2018), une col­lab­o­ra­tion avec la poète Karthi­ka Naïr et les artistes Joëlle Jolivet et Rosh­ni Vyam.

© Crédits pho­tos Richard Hooton.

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Bernard Turle

Ancien élève de l’École Nor­male Supérieure de Saint-Cloud, tra­duc­teur boulim­ique, BERNARD TURLE, Prix Baude­laire, Prix Coin­dreau, traduit des auteurs anglo­phones des cinq con­ti­nents, entre autres Peter Ack­royd, Mar­tin Amis (Prix du Meilleur Livre étranger 2015 avec La Zone d’intérêt), André Brink, Alan Hollinghurst (Prix du Meilleur Livre étranger 2013 avec L’Enfant de l’étranger), T.C. Boyle et des romanciers indi­ens tels que Jeet Thay­il, Manu Joseph, Sud­hir Kakar ou Rana Das­gup­ta (Prix Guimet du Meilleur Livre asi­a­tique 2017 avec Del­hi Cap­i­tale). Directeur de fes­ti­val (1997–2011), il a mon­té des œuvres comme The Beggar’s Operade John Gay dans sa pro­pre adap­ta­tion et tra­vail­lé avec des musi­ciens bri­tan­niques et indi­ens. Pour le vingtième anniver­saire du fes­ti­val défunt, il a organ­isé une ren­con­tre inter­na­tionale de poésie en 2017. Avec, entre autres, sa com­plice de scène, la com­positrice Véronique Sou­ber­bielle, il s’est fait libret­tiste et paroli­er (ils ont pro­duit ensem­ble le cd Veroni­ka Vox, 2016). De sa longue pra­tique de la tra­duc­tion est sor­ti un fas­ci­cule bilingue sur l’intimité du tra­duc­teur, Diplo­mat, Actor, Trans­la­tor, Spy (traduit par Dan Gunn, Cahi­er Series, Sylph Editions/Université Améri­caine de Paris, 2013). D’autres livres pub­liés sous son nom (Une heure avant l’attentat, Autop­sie d’une inquié­tude) lui ont don­né l’occasion de réu­nir ses exis­tences par­al­lèles en écrivant, entre autres, sur l’Inde et sa Provence natale. Après avoir co-traduit le Can­tique des Lionnes de Karthi­ka Nair et traduit Tor­ture blanche de Narges Moham­ma­di, à l’été 2025, il a ini­tié LE FESTIVAL COFFRET D’AUZON, con­sacré au célèbre arte­fact du British Muse­um, dont il étudie les rap­ports avec la poésie anglo-sax­onne, notam­ment Beowulf. Son prochain tra­vail de tra­duc­tion est con­sacré au romanci­er, poète et musi­cien Jeet Thay­il, pour les édi­tions Banyan.

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