Il s’ag­it d’un livre iné­gal dont Jacques Ancet s’est effor­cé de don­ner une tra­duc­tion aus­si poé­tique que pos­si­ble : quelques beaux poèmes d’amour, d’autres dans la veine du Can­to Gen­er­al, et quelques textes de moin­dre impor­tance. On ne peut évidem­ment pas s’at­ten­dre, avec des reliques, à autre chose qu’un recueil com­pos­ite, mais ces poèmes, en dépit du côté « retrou­vé » qui évidem­ment sig­ni­fie qu’ils n’avaient pas pu entr­er (encore?) dans la com­po­si­tion d’un grand recueil, ont le mérite de nous restituer la grande voix de Neru­da, dans sa ver­sion « spon­tanée » ou presque.

C’est ce dont témoigne, out­re le fait qui mérite d’être souligné que le livre est bilingue, l’ad­jonc­tion d’un épais dossier qui présente quelques uns des poèmes en fac-sim­ilé, et des notes et com­men­taires utiles, comme l’édi­teur Seghers s’est sou­vent astreint à le faire dans la fameuse col­lec­tion des Poètes d’au­jour­d’hui. On y décou­vre cette chose pas­sion­nante : des textes écrits tels que l’au­teur les avait lais­sés, par­fois raturés, dans la course et le rapt de son écri­t­ure rapi­de, de son geste naturel, avec le papi­er jau­ni attes­tant de l’âge du doc­u­ment. Il me sou­vient, lorsque Pierre Seghers était encore, me sem­ble-t-il, en pleine activ­ité, vers 1967, en avoir une fois dis­cuté avec lui en marchant, à pro­pos du fac-sim­ilé de St John Perse « Midi, ses fauves, ses famines …», dans le livre présen­tant ce poète. Il avait dit – et la déc­la­ra­tion m’avait sur­pris -, sur un ton un peu bour­ru, ces mots qui me sont restés : « Il paraît que le style c’est l’homme. Pour moi, l’écri­t­ure matérielle du poète aus­si ! » (Il est vrai qu’à l’époque, c’é­tait la grande mode de la grapholo­gie, graphométrie, etc.) Nous avions égale­ment évo­qué le fac-Sim­ilé du poème qu’Elu­ard avait écrit pour Nusch, sa femme, dont le nom sur le man­u­scrit, à la fin, avait été bar­ré et rem­placé par le mot Lib­erté.

Oui, incon­testable­ment la vision des man­u­scrits est instruc­tive quand aux mys­tères de la créa­tion et de la per­son­nal­ité d’un poète. Le livre que Jacques Ancet nous présente con­cer­nant l’au­teur des Alturas de Mac­chu-Pic­chu (un som­met aus­si de sa poésie), est un mer­veilleux vecteur de curiosité, et réveille en nous l’en­vie de relire les autres puis­sants recueils du poète chilien, à tra­vers cer­tains inédits tels que «Qu’of­fre-t-elle à ta main d’or… », immense poème d’amour auquel il sem­ble que le tra­duc­teur se soit par­ti­c­ulière­ment attaché, et qui nous fait enten­dre une dernière fois la voix, resti­tuée en français, de Neru­da en sa pléni­tude d’in­spi­ra­tion, intense comme dans ses meilleurs moments de passion.

 

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