« Il n’a pas son pareil pour décrire en quelques vers le jour, les couleurs et les mou­ve­ments, les flux et les états, la grav­ité ou la légèreté, l’opacité ou la lim­pid­ité, d’une atmo­sphère qui unit le ciel et la terre et asso­cie l’homme à l’univers » écrit Jean-Paul Sorg dans sa pré­face au recueil Par les fos­sés et les bois. Ce sont les paysages de l’Alsace vos­gi­en­ne que nous donne à voir Emile Stor­ck, et la puis­sance d’évocation des mots est telle qu’il nous vient sous les paupières ces mêmes paysages peints par Bernard Gant­ner, de neige lumi­nes­cente et de cal­ligra­phie de branch­es. Poèmes sen­soriels que ceux d’Emile Stor­ck où non seule­ment la vue, mais le goût, l’odeur et le touch­er sont con­vo­qués, sen­sa­tions pris­es au filet à papil­lons (qu’il aimait tant par ailleurs et qui volè­tent à tra­vers ces pages : Mes ailes ont les couleurs de l’aurore,/ je suis chez moi dans les car­damines. Sans soucis et sans peines je danse la vie/ en volant tôt le matin jusqu’à tard le soir…) pour être épinglées sur la page comme autant d’instants uniques :

Des flo­cons de nuages, clairs et fins,
en sus­pen­sion dans le bleu du ciel,
leurs formes sub­mergées de lumière.
En bas la forêt baigne au soleil,
l’herbe jail­lit déjà de la terre
noire. Les tail­lis rêvent, et espèrent.

Six sim­ples vers, limpi­des et sim­ples en apparence et déjà nous espérons avec lui le print­emps…. Rien de moins sim­ple pour revenir à cette poésie élé­men­taire, évi­dente. « L’évidence n’est pas sim­ple » a écrit Cocteau. Poésie des cinq sens et des qua­tre élé­ments ! C’est, juste­ment, cette écri­t­ure « élé­men­taire » qui per­met la rêver­ie poé­tique … En ouvrant ces pages, une odeur d’humus et de champignons vous saisit, un coin de ciel « juste parsemé de quelques nuages/n’en revient pas d’être si bril­lant et si gai » appa­rait . Nous n’en revenons pas non plus de cette envie subite qui nous prend en lisant ces vers de se met­tre à arpen­ter les fos­sés et les haies der­rière notre maison.

Les bois sont tout plein d’anémones et au bord
des chemins flam­bent les haies de prunelliers.
L’herbe inten­sé­ment verte luit de partout
la vie se presse et jail­lit des moin­dres recoins.

Emile Stor­ck arpen­tait la cam­pagne alsa­ci­enne qu’il a évo­quée dans son dialecte, mais son œuvre est tout sauf « région­al­iste », son Alsace ressem­ble à la Loire-Atlan­tique de Cadou, à la Provence de Giono, elle prend des dimen­sions du cos­mos et de l’universel car partout «  les yeux de tous les enfants s’écarquillent / devant le mys­tère des mon­des et de la vie ». En tous lieux nous rap­pelle Stor­ck «  La beauté est vivante, partout, même si ton regard/émoussé par l’habitude ne lui prête plus d’attention ». C’est à cette  élé­men­taire con­ver­sion du regard que nous con­vie Emile Stor­ck, à pra­ti­quer par tout temps au fil des saisons. Met­tez son livre dans votre poche, suiv­ez-le, asseyez-vous « au bord du chemin foresti­er » et ouvrez ces pages, tout simplement …

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