PARACELSE THEOLOGIEN.

 

On savait bien, jusqu’ici, comme Paracelse, le médecin suisse, avait influ­encé ce qu’il est con­venu d’appeler la « Philoso­phie de la Nature » qui a con­nu ses plus grands développe­ments dans les Etats alle­mands de la fin du XVIII° et durant le XIX° siè­cles. Est-ce que Goethe et l’alchimie du Sec­ond Faust, est-ce que même Novalis et Schelling, est-ce que Gör­res et Von Brentano, est-ce que von Hum­boldt et Carl Gus­tav Carus, — jusqu’à quelqu’un comme Fech­n­er, — auraient écrit comme ils l’ont fait sans l’existence de Paracelse ? On peut large­ment en douter… Et ne voit-on quelqu’un comme C. G. Jung, héri­ti­er des deux avant-derniers auteurs cités, lui con­sacr­er pas moins de trois textes… ? Je sais bien qu’Einsiedeln, le lieu de nais­sance de notre auteur, n’est pas très loin de Zürich ; mais enfin ! Et je me demande si le culte de la Vierge noire qui est célébré chaque jour dans la cathé­drale du lieu par une théorie de moines chanteurs, n’explique pas beau­coup plus de choses ?

Car, ain­si que le présen­ta­teur Lucien Braun le fait bien ressor­tir, nous étions for­cé­ment au courant de celui qui, selon les croy­ances de son époque, s’adonnait à l’alchimie ou à l’astrologie (une astrolo­gie qui s’appuyait d’abord sur une croy­ance très ferme en l’existence d’une Ame du monde), mais nous ne savions cer­taine­ment pas qu’il avait été aus­si un si grand théologien…

Qui tenait avant tout à sa lib­erté de penser, même s’il s’inscrivait par ailleurs dans un long phy­lum de réflex­ions. N’écrit-il pas par exem­ple au tout début de l’ouvrage qui est ici com­men­té : « Si je me pro­pose de par­ler de la vie bien­heureuse, ce n’est pas dans l’intention d’instruire les non croy­ants ; car je ne suis ni prophète, ni apôtre, mais un philosophe à la manière alle­mande. » (C’est moi qui mets en italiques). Qu’est-ce donc que cette « manière alle­mande » ? On peut augur­er qu’il s’agit du pre­mier Luther, du moine qui s’insurgeait con­tre la simonie et le traf­ic des indul­gences, de Nico­las de Cuse, de « l’anonyme de Franc­fort », et, en pre­mier lieu, de leur maître à tous, c’est-à-dire de maître Eck­hart. Ce qui per­me­t­tait à Paracelse, de demeur­er pro­fondé­ment chré­tien tout en se récla­mant du néo­pla­ton­isme et d’un pythagorisme comme on les avait con­nus dans l’an­tique Alexandrie…

Car Paracelse est pro­fondé­ment chré­tien. (Com­ment pou­vait-il en aller autrement à la Renais­sance ?). Mais non soci­ologique­ment chré­tien : seul l’intéresse le chris­tian­isme des âmes, ce qu’il pense être le vrai chris­tian­isme qui cor­re­spond aux Evangiles. N’écrit-il pas ain­si que « l’Esprit n’est pas dans l’eccle­sia, il n’est que dans la catholi­ca. C’est de la catholi­ca, et non de l’ église de pierre, que nous vient la grâce de par­venir à la vie bienheureuse. »

Comme l’exprime encore Braun à la toute fin de ses textes : « Il (Paracelse) con­damne les apoth­icaires, qui vendent cher leurs pro­duits aux pau­vres. Il soigne gra­tu­ite­ment les plus dému­nis ; mais exige que le chanoine von Licht­en­fels hon­ore son con­trat. A Bâle, il déclare à Opor­i­nus que tous ceux qui jusqu’ici ont écrit sur l’Evangile en ont man­qué le «vrai noy­au ». Il refuse à la fois Luther (le Luther de la con­fes­sion d’Augsbourg, pour­tant prudem­ment écrite par Melanch­ton) et le Pape.

Déjà, il est devenu l’homme du refus : refus de la tra­di­tion (il brûle les ouvrages de Galien), refus de l’institution (il cri­tique les dig­ni­taires de tous les ordres), refus du com­pro­mis. Il est à la recherche d’une nou­velle pureté — d’une impos­si­ble pureté. »

Et si ce Paracelse-là avait été trop en avance sur son temps ? Si ce n’était qu’aujourd’hui que nous pou­vions vrai­ment le com­pren­dre — en ten­ant les deux bouts de sa chaîne, et en se sou­venant de ce que, selon son com­men­ta­teur, «(chez lui), ce qui ne se voit pas est aus­si réel que ce qui se voit : qu’il n’y a pas de réal­ité cachée der­rière le vis­i­ble, mais que l’invisible est indis­so­cia­ble­ment dans le vis­i­ble même, et que le réel est tou­jours aus­si bien l’un que l’autre » ?

 

 

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