Le numéro d’hiver 2014 de TLR (The Lit­er­ary Review) s’intéresse à The Tides, c’est-à-dire aux « marées », indi­quant ceci sur sa cou­ver­ture : « Because lit­er­a­ture mim­ics the sym­me­try of nature, and because nature couldn’t care less ». On ne saurait mieux dire. Cela ne va évidem­ment pas sans humour, la pho­togra­phie de cou­ver­ture présen­tant un drôle de baigneur s’apprêtant à pénétr­er dans un océan froid, palmes bleues aux pieds, caleçon de bain peu éro­tisé et bon­net jaune sur le crâne. Les gants noirs sont aus­si du meilleur effet. C’est cepen­dant à une fort belle plongée dans la lit­téra­ture con­tem­po­raine à laque­lle TLR nous invite, comme à cha­cune de ses paru­tions d’ailleurs. On gag­n­era, dans l’espace fran­coph­o­ne, à lire cette impor­tante revue, par­mi les plus intéres­santes des espaces anglo­phones. TLR en est a sa 57e année. Cela compte. La revue pro­pose tou­jours un som­maire com­por­tant des fic­tions, de la poésie et des essais. La poésie est ce qui nous intéresse par­ti­c­ulière­ment ici. On lira donc dans ce vol­ume des poèmes de Clay Matthews, Eric Paul, Bethany Goch, Amy Meng, Diane Mehta, dont j’avais déjà appré­cié les textes parus dans The Believ­er et dans AGNI, Jesse Nathan, présent aus­si dans The Nation, Adam Schef­fler, Stephen Mas­simil­la, Matt Ras­mussen, Scott With­i­am, Daniel Wolff et Ter­rance Owens. La revue est aus­si ouverte aux voix extérieures, inter­na­tionales, et pro­pose en ce numéro des textes poé­tiques de la roumaine Ana Blandi­ana, du coréen Kim Kyung Ju et du français Matthieu Bau­mi­er. Out­re le bel ensem­ble de ce dernier, que nos lecteurs con­nais­sent bien, mon regard a été par­ti­c­ulière­ment attiré par les textes d’Ana Blandi­ana, laque­lle fig­ure au rang des prin­ci­paux écrivains roumains con­tem­po­rains, Amy Meng, Jesse Nathan ou Scott With­i­am, liste non exhaus­tive. Tout cela est vrai­ment passionnant.

 

TLR The Lit­er­ary Review. Edi­tor : Mina Proc­tor Fair­legh Dick­in­son Uni­ver­si­ty. 285 Madi­son Avenue Madi­son, NJ 07940 Unit­ed States Site inter­net : http://www.theliteraryreview.org/ info@theliteraryreview.org Abon­nement inter­na­tion­al : 36 dollars

 

On s’habitue assez bien à cette NRF mod­ernisée, avec sa cou­ver­ture élancée, oserais-je dire fémi­nine ?, raje­u­nie. De la tête aux pieds, d’une cer­taine manière. Il y a tou­jours beau­coup à « glan­er » dans un numéro de la NRF, même si l’on est pas oblig­ée d’être en accord avec cer­taines visions du monde aux pré­ten­tions poé­tiques. Ain­si, Nathalie Quin­tane qui – pen­sant cer­taine­ment au best sell­er de Cather­ine Mil­let – donne un long texte. L’histoire d’O, ici, fait plouf.

Le numéro, c’est heureux, com­porte aus­si de belles choses. La thé­ma­tique est ain­si jus­ti­fiée par Stéphane Audeguy : « Il nous a sem­blé intéres­sant, en ce temps qui nous promet et nous prodigue toutes sortes de dématéri­al­i­sa­tions, par­mi lesquelles celle du livre, d’examiner com­ment, aujourd’hui, le corps se dit et se vit, se pense et se sent, en lit­téra­ture » (…) Plus avant, Audeguy indique qu’il ne croit guère à la « parousie » du virtuel, « qu’on nous promet depuis quelques dizaines d’années main­tenant », dit-il ; bien… Notons sim­ple­ment qu’internet s’est instal­lé en France réelle­ment… vers l’an 2000 et que la plu­part d’entre nous n’avions pas d’ordinateur il y a une douzaine d’années… Et main­tenant ? Aus­si, que le livre numérique se vend autant que le livre papi­er dans l’espace anglo-sax­on. Et puis, pourquoi cette crainte des évo­lu­tions de la moder­nité ? Cette réac­tion devant ce qui bouge ? Nous n’avons pas peur du virtuel mécanique, lequel n’est rien com­par­a­tive­ment à ce virtuel en forme de sim­u­lacre spec­tac­u­laire dans lequel l’homme sem­ble plonger pro­gres­sive­ment. Il est pos­si­ble que, vu de cœur de Paris, et des bureaux d’éditeurs his­toriques, on ne s’aperçoive pas encore claire­ment de ce qui est en train de se pro­duire. Nos vies se numérisent. Bien… Et alors ? Autre­fois, elles ont ren­con­tré le feu, puis le papi­er, puis… la vapeur et l’acier ? Et alors… Cela a trans­for­mé les corps. C’est exact. Nous sommes encore là pour en dis­cuter, et cer­tains romans com­por­tent un @ jusque dans leur titre. Et la NRF paraît encore. Et sans doute est-elle tou­jours un peu lue. D’ailleurs, dans ce numéro, on lira, si l’on veut, Philippe Claudel (deux beaux textes), Brigitte Giraud ou Arno Berti­na. Mais aus­si la pré­face d’Antoine Com­pagnon à l’anthologie La Grande Guerre des écrivains et la poésie de Vel­ter, ce qui don­nera l’envie d’aller lire ses deux derniers opus parus chez le même éditeur.

On s’est habitué à cette NRF mod­ernisée, et vivante ; le lecteur habitué, juste­ment, attend sans doute un élar­gisse­ment des préoc­cu­pa­tions et des cercles.

 

La Nou­velle Revue Française, 608, De la tête aux pieds, sous la direc­tion de Stéphane Audeguy et Philippe For­est, Gal­li­mard, févri­er 2014, 22 euros.

 

 

Le numéro d’avril 2014 de la revue Europe est cen­tré sur la sil­hou­ette de Julio Cortàzar, sous la direc­tion d’Anne Picard. Cor­tazàr aurait eu cent ans l’été prochain, il est mort il y a une trentaine d’années. Anne Picard : « En con­sacrant un cahi­er à Cortàzar, la revue Europe a choisi de dis­tinguer l’œuvre d’un écrivain pro­téi­forme et inven­tif, à la fois Mer­lin et Phileas Fogg, qui a su regarder autrement le monde et ses rudess­es », pré­cisant plus loin que le lieu n’est pas celui de louanges mais « plutôt de fray­er un chemin vers la douce magie des livres de ce géant rieur et grave ». Et, en effet, c’est cela qui ressort du dossier : l’envie d’aller vers Cortàzar. Pari tenu, pour un cahi­er fort de plus de 230 pages, d’ors et déjà lieu référent, com­por­tant en out­re de nom­breuses pages de l’écrivain lui-même. Con­cer­nant ce qui nous intéresse directe­ment, en ces pages, j’insiste sur les poèmes de Cortàzar don­nés ici à lire, issus des œuvres com­plètes, poèmes ayant la par­tic­u­lar­ité d’avoir d’abord été écrits en français, puis traduits en espag­nol par Cortàzar lui-même. Des extraits aus­si (« Pho­toma­ton du poète) issus du livre/dialogue de Cortàzar avec Keats. Impos­si­ble évidem­ment, comme sou­vent avec la revue Europe, de tout citer tant ce cahi­er est riche : cepen­dant, le texte de l’écrivain, « L’alchimie tou­jours », qui nous par­le au plus haut point au sein de la rédac­tion de Recours au Poème,  et puis les lignes d’Alejandra Pizarnik au sujet de son « com­pa­tri­ote » (« Humour et poésie dans Cronopes et Fameux »). Sur Pizarnik, on lira par ailleurs avec bon­heur le recueil de textes de César Aira qui vient d’être traduit en français (César Aira, Ale­jan­dra Pizarnik : un pur méti­er de poète, Cor­levour, 2014) dont nous ren­drons prochaine­ment compte dans les pages cri­tiques de la revue.

Le sec­ond dossier du numéro 1020 de la revue Europe (92 ans, tout de même !) est con­sacré à Anto­nio Gamone­da, fig­ure essen­tielle de la poésie espag­nole con­tem­po­raine, voix alchim­ique elle aus­si, plongeant au plus pro­fond de la racine de ce chant qui est et qui fait l’homme. Simul­tané­ment. Un beau cadeau que ce dossier accom­pa­g­nant celui con­sacré à Cortàzar. Lau­rence Breysse-Chanet et Jean-Bap­tiste Para évo­quent, en ouver­ture, les « sons noirs, sons blancs » de l’œuvre de Gamone­da : « Lire Anto­nio Gamone­da, c’est sen­tir des forces enfouies con­fluer vers la lumière d’une inex­plic­a­ble libéra­tion, dans un silence qui nous empoigne et d’où monte une voix grave, intense et nue ». Oui, c’est exacte­ment cela la poésie de Gamone­da. Cette libéra­tion intérieure. Cette fra­ter­nité dans la poésie. Vien­nent ensuite des entre­tiens pas­sion­nants (avec Gamone­da, avec Lau­rence Breysse-Chanet),  un poème grandiose de Gamone­da placé « Entre l’acier et l’effroi », sept poèmes de « Chan­son de l’erreur », traduits par Jean-Yves Béri­ou et Mar­tine Jou­lia, un essai de Miguel Casa­do sur le mythe dans la poésie de Gamone­da, et enfin de très beaux textes de Jean-Yves Béri­ou dédi­cacés au poète espagnol.

Riche, très riche numéro de la revue Europe.

 

EUROPE, ce n° 1020 : 380 pages, 20 €. Abon­nement un an (8 n°) : 75 €. Com­mande et abon­nement : 4, rue Marie-Rose. 75014 PARIS.

 

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