Ecrits pen­dant une rési­dence à la Char­treuse Notre-Dame-des-Prés dans le Pas de calais, ces textes d’emblée adoptent l’attitude con­tem­pla­tive, repro­duisent l’ambiance monacale.  Chaque som­met du tri­an­gle-poème com­mence par « on ». L’effacement du sujet est donc de mise.  Il sem­ble bien prob­a­ble que le lecteur ait dans un coin de con­science que la lec­ture procède d’un par­cours à étapes, d’où l’évocation alors facile des sta­tions du chemin de croix, (ici 13 au lieu des 14 ou 15 tra­di­tion­nelles), d’autant plus facile que la dernière ligne se ter­mine par « pre­mier jour sans lende­main », ce qui pour­rait être un rac­cour­ci pour ouvrir sur une forme de résur­rec­tion et de pas­sage à l’éternité.

      « On » pour­rait com­pren­dre le livre comme un petit traité philosophique sur le rien, la mort,  le temps, l’existence. On pour­rait devin­er l’entendre dit à l’aune des per­for­mances sonores que l’auteur nous a habitués à voir ponc­tuées de mou­ve­ments de mains.

       Treize poèmes tail­lés dans la pierre, gravés par la force du silence, de la médi­ta­tion, de la con­cen­tra­tion. Il y a dans ce recueil une dimen­sion apopha­tique de l’être : « on existe bien sûr encore un peu… mais … très très peu » dans le poème numéro un,  jusqu’au « on est ce rien » du poème 9, tout se joue dans le retrait (de la retraite « au cœur de l’immobile»). Poèmes mais aus­si musique comme expres­sion déper­son­nal­isée du poète qui ne dit plus « je » et qui cesse de vouloir dire, qui donne plutôt à enten­dre en même temps qu’il nous mon­tre un décor fait d’angles et de parois, mais aus­si au sol, de pelouse, de traces de mulots, d’insectes.  Et les insectes savent qu’ « on existe un peu moins quand on existe un peu trop », qu’il faut pass­er par l’oubli de soi pour com­pren­dre et vivre pleine­ment « le sujet élar­gi » qui « ne con­naît plus ses bor­ds » (poème 10), en d’autres mots attein­dre l’unité,  faire un avec ce qu’on appelle « le grand tout », c’est-à-dire accéder à une dimen­sion d’amour. Pré­cis­er que l’auteur est athée mais qu’il respecte les fois et les croyances.

        « On » pour­rait presque enten­dre dans les poèmes des échos, des accents de poètes con­tem­po­rains tels Jacques Ancet ou Antoine Emaz, eux qui écoutent et se recueil­lent, se fondent et se dilu­ent dans le silence et la con­science du presque rien . Ou bien encore James Sacré dans l’interrogation de ce qui fait poème: « on sait que peu de mots tombés dans un lieu silen­cieux forte­ment struc­turé font peut-être un poème » écrit P.Dubost au début du poème numéro 7.

       Mais au-delà du con­texte envi­ron­nemen­tal (espace du spir­ituel),  au-delà des exi­gences graphiques qui se sont imposées comme des con­traintes pour soutenir, telles con­tre­forts pré­cise la qua­trième de cou­ver­ture,  l’édifice lan­gagi­er, on peut aus­si relever la ressem­blance de chaque tri­an­gle rec­tan­gle avec un A majus­cule en italique « inver­sée », il penche sur la gauche. Donc treize poèmes « A » comme treize com­mence­ments. Cepen­dant d’autres thé­ma­tiques et peut-être involon­taires, affleurent, dessi­nant une prob­lé­ma­tique soulevée au-delà du sens véhiculé, que ni Hegel, ni Jean-Luc Nan­cy, ni encore Bachelard n’ont évitées.

      Ain­si pour Bachelard, la poésie représente, con­stitue, est l’union des moments méta­physiques, elle est acte de pas­sage vers la tran­scen­dance et son expres­sion artis­tique en est la preuve.  L’instant poé­tique cap­turé par Patrick Dubost est bien une forme de dépasse­ment du quo­ti­di­en qui pénètre dans le méta­physique par la pro­fondeur, la finesse des per­cep­tions, de la médi­ta­tion  et de la disponi­bil­ité des sentiments. 

        Quant à Hegel, dans Esthé­tique : « ain­si  la poésie détru­it l’union de l’intériorité spir­ituelle et de l’extériorité réelle à un point tel qu’elle cesse d’être con­forme au con­cept prim­i­tif de l’art et court le dan­ger de se sépar­er totale­ment de la région du sen­si­ble pour se per­dre défini­tive­ment dans le spir­ituel. » Jean-Luc Nan­cy (dans les mus­es et com­men­tant Hegel) con­clue ceci : « La poésie est donc la fin de l’art en tant que sa mise en dan­ger. Et sa mise en dan­ger met en dan­ger une néces­sité absolue de l’Idée, ou de la vérité, en tant que l’une et l’autre, l’une ou l’autre, doivent essen­tielle­ment appa­raitre ou se faire sen­tir. »  Poésie ten­sion, poésie point de con­tact, poésie inter­face, poésie piste de lance­ment, Patrick Dubost est exacte­ment à ce point de « dan­ger », il prend ce risque de reli­er et de tenir ensem­ble ce qui doit essen­tielle­ment appa­raitre ou se faire sen­tir. A savoir le monde idéal, une forme de liturgie, le réel du monde et ses créa­tures, l’absence et la présence, l’éveil mys­tique et le prosaïque pareille­ment baignés de lumière, lumière posée « au cen­tre de toute chose » comme un par­ti pris de vivre un tou­jours pre­mier jour. 

 

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cet arti­cle a fait l’ob­jet d’une pre­mière pub­li­ca­tion sur Poez­ibao de sep­tem­bre 2016 — la rédaction.

 

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