Né au Québec, Jacques Ran­court vit à cheval sur l’océan. Par­fois à Mon­tréal, sinon du côté de Paris. Poète, auteur d’essais et d’anthologies (très remar­quées, sur les poésies des Antilles par exem­ple), tra­duc­teur, l’homme a le cœur et la poésie ouverts sur l’autre du monde. Et cela force le respect. Ran­court dirige d’ailleurs le Fes­ti­val fran­co-anglais de poésie et l’excellente revue inter­na­tionale de poésie La Tra­duc­tière. Sa poésie s’affirme très claire­ment comme volon­té d’interface entre les pointes d’une équerre et celles d’un com­pas. Une poésie qui réu­nit l’homme et le monde avec l’absolu. Et cela ne va pas sans humour car le poète n’ignore rien du jeu présent en tous les « enjeux ».
Ses Paysages et per­son­nages se com­posent de huit ensem­bles se ter­mi­nant par une tab­u­la rasa. On pense aux paysages musi­caux d’Arvo Pärt. D’autant que cela com­mence par Les étoiles du fir­ma­ment, instances de l’aube, et s’élance dans l’exil d’une larme. Ce recueil est un très bel édi­fice dont l’ouverture est pleine d’un humour assez rare en poésie. Du moins, d’un humour réus­si. Car il existe de nom­breuses niais­eries aux pré­ten­tions poéti­co humoris­tiques qui n’amusent per­son­ne. Comme Bre­ton autre­fois, Ran­court n’ignore pas que l’humour n’est pas seule­ment drôle. Qu’il est fort sérieux. Où saine grav­ité. Ran­court par­le de la pro­fondeur de ce qui est :

Il ne faut pas bouger
le temps en silence
ramène l’éternité
au plus cœur de l’instant

Une poésie qui se lit comme les sec­ouss­es ryth­mées d’un chant de l’origine, ou des origines :

De longs espaces
Sépareront
A grands fracas

A grande douleur

A con­tre-courbe dans l’épaisseur du temps

On pense alors aux visions en spi­rale de Gilbert-Lecomte et à l’aventure du Grand Jeu, pour l’heure occultée. Inter­ro­ga­tions sur ce que nous sommes. Et d’où nous venons.

Avant la connaissance

C’était avant la connaissance
il n’y avait que la genèse pour avoir eu lieu

encore était-elle juchée à bout de ciel
avec ses coqs à cuire et ses soleils de course

c’était à fleur de terre
à ras de marais

il était encore temps de rep­longer la tête
de renon­cer à comprendre

qui sait la vie elle-même
serait peut-être passée inaperçue

Tout au long de la lec­ture de ce beau recueil s’impose une ligne de force poé­tique : l’intensité de l’instant est une néces­sité orig­inelle de l’homme. Et c’est dans cette inten­sité qu’il y a de l’humain.
 

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