” J’use mes regards, je polis ma langue / Sur des corps féminins sat­urés jusqu’à l’os “, écrit Murièle Mod­é­ly dans Penser mail­lée paru aux édi­tions du Cygne. Voilà un recueil où le blanc de la page épouse en étreintes vio­lentes le suint des corps mor­dus, rav­inés, déchirés. Ici, ” l’amour n’est pas un mot” mais un instinct bru­tal ” écrasé de soleil “. Un soleil dur et coupant comme la lave de l’île de la Réu­nion où est né l’au­teur. Mais com­ment le dire avec [une encre indi­ci­ble] ? L’al­pha­bet aus­si est démem­bré et les sou­venirs d’en­fance ne sont que de ” vieux restes “. Murièle Mod­é­ly, comme Bernard Noël dans Extraits du corps, est un poète de la décom­po­si­tion. La langue qui écrit n’y résiste pas davan­tage que la langue qui fouaille. ” Vais-je totale­ment fon­dre dans les ter­res qui m’ont un jour portée ? “, écrit-elle. L’u­nivers de Murièle Mod­é­ly, si mar­qué soit-il par la soli­tude des âmes mortes, ne s’en ouvre pas moins aux promess­es de l’hori­zon. ” L’azur ouvre les bras / Il t’of­fre des abeilles / Est-ce que cela fait mal / D’ar­racher tous les dards / De la tête du ciel ? ” La douleur n’est jamais absente mais la volon­té de la cir­con­venir con­stitue un rem­part con­tre la peur. ” Ecrire des demains ” devient pos­si­ble. Sous le signe des althéas et du cur­cuma, des com­bavas et des badamiers, ” des oiseaux jaunes et fous “. Il y a, on le voit, une cer­taine forme de lyrisme dans la poésie de Murièle Mod­é­ly. Quand elle ne coupe pas comme un rasoir, elle s’étire en longues laiss­es dont seuls les auteurs ultra­marins ont le secret. Scan­dées, tam­bour­inées par un ka invis­i­ble. Par­fois même, elle s’of­fre le souf­fle réguli­er mais tou­jours obsé­dant de l’alexan­drin. ” Si je saute en trem­blant du haut de la falaise / Si je m’ar­rache nue au pin sous mes orteils / Si je brave sans peur la piscine asti­cot / Si je lâche l’oiseau encagé sous ma peau / Deviendrai- je un trille / D’im­mé­di­at ruis­se­lant ? ” Enfin, mal­gré la fuite de l’île et la néces­sité de vivre ailleurs, la créolité ” emmielle” autant la peau du corps que la peau des mots, dans une sim­plic­ité nue, pour mieux recom­pos­er le mail­lage de la vie. ” Mangé pour le coeur koz­man mail­lé / Dig dig ton zen­fant maille maille mail­lée / Koz­man zoréole penser maillée “.

Murièle Mod­é­ly a pub­lié dans les revues Trac­tion-Bra­bant, Nou­veaux dél­its, L’au­to­bus… Elle tient le blog L’oeil bande qui est son ate­lier d’écri­t­ure. Elle y mitonne ses futurs livres pour notre futur enchante­ment car sa voix est à nulle autre pareille.

 Mailler : mêler, mélanger, emmêler

Mangé pou le coeur : nour­ri­t­ure de l’âme

Dig dig : chatouiller

Koz­man : par­ler, langue, langage

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