Un vieil adage affirme qu’il n’y a que la vérité qui blesse. Pour­tant les blessures provo­quées par les pro­pos injustes et la mau­vaise foi d’êtres chers sont des plus vives et pro­fondes que je connaisse.

 

Je suis en total accord avec ces deux phras­es de Jean-Yves Mas­son, lues dans Le Chemin de ronde, beau cadeau de Pierre Maubé. J’aurais tant aimé écrire cette pépite d’une rare justesse : « Promet­tre, c’est tenir parole. Se taire, le plus sou­vent, c’est donc déjà trahir. »

 

Il arrive un moment où le silence est tel qu’il devient irréversible et ne peut plus être rompu.

 

Deux écueils à con­tourn­er : la parole de trop et le silence de trop. Les deux ont le même effet désastreux.

 

Il suf­fit par­fois d’une atten­tion bien­veil­lante, de quelques mots sincères, d’une main ten­due au bon moment, pour qu’on remise dans l’instant un immi­nent pro­jet funeste, qu’on avait pour­tant soigneuse­ment pré­paré. La vie tient par­fois à quelque infime coïn­ci­dence  essentielle.

 

Que de dégâts occa­sion­nés par le dis­cours intel­lec­tu­al­isant propagé par les uni­ver­si­taires. Même les êtres à la réflex­ion la plus sub­tile, à la pen­sée la plus pro­fonde, se lais­sent par­fois séduire et entrain­er par la spi­rale de la digres­sion clin­quante et super­fi­cielle et  par la mécanique de la joute ora­toire  sans enjeu. Nul n’est à l’abri.

 

On a trop sou­vent con­fon­du avant-garde et élite. Aux avant-gardes je préfère les éclaireurs, et surtout, de loin,  les indis­pens­ables sourciers.

 

Peu de chances aujourd’hui d’entrer dans le débat intel­lectuel si on n’est pas uni­ver­si­taire. A la rigueur, être jour­nal­iste per­met d’être admis aux séances de  rattrapage.

 

Faire vivre une revue donne à con­naître quelques belles ren­con­tres, une foule d’opportunistes et beau­coup d’ennemis anonymes ou déclarés. Mais cer­taines ren­con­tres lumineuses com­pensent à elles seules  large­ment ces désagréments.

 

Con­cevoir une revue est une dis­ci­pline haute­ment col­lec­tive exer­cée dans une grande solitude.

 

Que de lieux com­muns savam­ment rehaussés par le jar­gon ampoulé et pré­ten­tieux des uni­ver­si­taires et des pro­fes­sion­nels de cer­tains domaines comme la péd­a­gogie, l’économie ou la communication !

 

C’est typ­ique­ment français de pren­dre la pédan­terie pour de l’érudition.

 

Depuis l’apparition de face­book, existe- t‑il aujourd’hui un mot plus gal­vaudé et plus vidé de sa noble sub­stance que le mot ami ? Rien d’étonnant que de plus en plus sou­vent dans la vie quo­ti­di­enne les gens  désig­nent comme amis de sim­ples con­nais­sances avec qui ils sont en contact.

 

Mot d’ordre : quelle expres­sion terrifiante !

 

Feuille de route : com­ment cette expres­sion issue du vocab­u­laire mil­i­taire est-elle venue gan­grén­er la langue des médias via le monde politique ?

 

Les expres­sions pop­u­laires sont sou­vent d’une justesse clair­voy­ante. Je me suis tou­jours fait du mau­vais sang. Rien d’étonnant donc qu’une mal­adie du sang vienne aujourd’hui s’installer à demeure chez moi.

 

Plus que jamais, dans le con­texte de pen­sée desséchée et sclérosante qui car­ac­térise nos dernières décen­nies,  j’apprécie sans réserve ceux qui ont une intel­li­gence sen­si­ble et  jaillissante.

 

Je n’ai aucun intérêt, aucune curiosité, pour les gens liss­es et par­faits, à la vie sans histoire.

 

La per­fec­tion me fait peur. Quelques petits défauts me ren­dent leurs déten­teurs telle­ment plus proches, plus semblables.

 

Dans les années 80, nous n’avions plus de futur. Aujourd’hui, nous n’avons plus de présent. Bien­tôt on nous vol­era même ce qu’il nous reste de passé.

 

Un jour peut-être, la con­tem­pla­tion dis­paraî­tra du fais­ceau des fac­ultés humaines.

 

Nous nous obsti­nons à mesur­er l’avancée de notre civil­i­sa­tion au degré des biens matériels qu’elle pro­cure. Mais nous oublions que nous pas­sons une bonne par­tie de notre vie à tra­vailler pour les acquérir… et bien sou­vent pour ne pas les acquérir.

 

Pourquoi présente-t-on l’Histoire comme une tra­jec­toire con­tin­ue, ponc­tuée de crises et de rup­tures ?  Il me sem­ble qu’elle est plutôt con­sti­tuée d’histoires mul­ti­ples qui se super­posent et s’enchevêtrent dans la continuité.

 

Suite extraite de Petites notes d’amertume
(à paraître en 2014, Les Edi­tions Sauvages)

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