Jour ordi­naire comme tous les autres où « je » vaque à ses occu­pa­tions quo­ti­di­ennes, néces­saires ou futiles : cepen­dant : ce fut un jour mémorable// et per­son­ne ne s’en avis­era. Para­doxe.  « Je » s’interroge  sur le moment pré­cis du pas­sage d’un état dans un autre. Est-ce signe d’inquiétude, lui qui vient de tuer son père de façon préméditée, sans rai­son appar­ente, lui qui ressent, à dis­tance, le moment pré­cis de cette mort, est-ce un signe d’amour ? Est-ce une référence à ce mythe répan­du du meurtre du père, de tout ce qui précède, une libéra­tion ? Voilà bien des ques­tions que « je » ne se pose pas.

Dans 32 canettes, on fait le tour du pro­prié­taire : les activ­ités ordi­naires, on vit, on existe comme les autres, on boit, on mange,  on se mas­turbe, on rêve à par­tir d’une fille, d’une chanteuse, on déballe ses gour­man­dis­es.  Le lecteur a l’impression que nous ne sommes plus vivants que par des ordres inter­posés venant du monde extérieur. Nous n’écoutons plus qu’un dis­cours tout fait, enreg­istré par la mémoire. Con­di­tion­nés, nous choi­sis­sons la facil­ité, l’obéissance.

Mélange de réflex­ions et d’attitudes matérielles, M. Bal­di essaye à tra­vers la banal­ité du quo­ti­di­en d’extraire quelque chose de durable qui puisse faire face au monde si même le point de départ est un meurtre, un obsta­cle peut-être. Il faut détru­ire quelque chose pour renaître ou naître. N’est-ce pas l’acte du poète face à la page blanche. On tue la blancheur, on mac­ule la page (mas­tur­ba­tion men­tale), on laisse des traces de sang, d’odeur, de ses petits méfaits même à l’égard de soi. On se relâche. Nous par­tons à la con­quête du monde, Bal­di nous par­le du drame intérieur qu’il généralise (c’est le drame de cha­cun) ain­si n’est-il plus seul et peut-il se par­don­ner à lui-même ses petits gestes ressen­tis par moments comme hon­teux, inutiles instants que l’on accom­plit for­cés par ses envies, tou­jours à la recherche du moin­dre plaisir.

Les textes tirent leur orig­ine d’événements per­son­nels et répéti­tifs ou d’événements col­lec­tifs et publics. Tout sujet est util­isé sans exclu­sive, il suf­fit de regarder, d’écouter.

Rien de nou­veau en somme :
le creux dans le lit n’est pas comblé et les mots
sont dans leur éter­nel sang moisi.

Bal­di assume une cer­taine humil­ité en affir­mant la recon­nais­sance qu’il doit à cer­tains. Il y a une volon­té de s’intégrer, de s’inscrire dans une cul­ture et de la nom­mer face à ses lecteurs. Des per­son­nages appa­rais­sent comme si l’auteur recher­chait une unité évi­tant la soli­tude pour débouch­er sur un partage. La vie est là, diverse avec ses joies, ses peines. Bal­di y mord avec retenue et sou­p­lesse, sans trahi­son, sans fior­i­t­ure, au plus près du réel ressen­ti.  Il élève la vie. Il n’en fait pas une lumière, un mod­èle à suiv­re, mais juste, il la souligne. L’auteur mon­tre et par là fait naître un monde de sim­plic­ité qui sert, en fait, de par­avent à la com­plex­ité de la vie, à son inquié­tude. Pour ce faire, il utilise un lan­gage clair, net, pré­cis, débar­rassé de métaphores grandil­o­quentes. Nous écou­tons Bal­di plus que nous ne le lisons.  N’est-ce pas une moquerie du monde et de lui-même, une façon aus­si d’être plus crédi­ble dans ce qu’il affirme ren­voy­ant la chose à chaque lecteur ?

Chapitres de la comédie : celle de tous les jours, notre éter­nel rôle trans­mis de généra­tion en génération.

Nous avons retrou­vé les miettes d’un san­glot et, sur l’agenda,
entre les tick­ets de caisse des cours­es et les notes de téléphone,
recopiés d’une écri­t­ure d’enfant
deux vers d’un poète resté un fils à vie.

Un ami tout jeune père m’écrit son étonnement
à la vue de la merde jaune de son fils
et je pense alors à com­bi­en de choses
utiles pour la com­préhen­sion et l’organisation du monde
on peut tir­er de la merde des autres.

  Deux pas­sages qui font mieux com­pren­dre, plus qu’un dis­cours, l’univers décrit. Tout Bal­di est là avec sa ten­dresse, sa vision d’homme ordi­naire, son accep­ta­tion et son éton­nement d’exister dans les faits les plus con­crets de la vie mais aus­si sa volon­té d’y échap­per par une général­i­sa­tion lancée avec fran­chise à la face de chacun.

Phoenix. Cahiers lit­téraires internationaux.
Direc­tion : Yves Brous­sard et André Ughetto
www.revuephoenix.com
revuephoenix1@yahoo.fr
Revue Phoenix, 9 rue Sylv­abelle, 13006 Marseille
Le numéro : 12 euros

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