Le poète Michel Host répond à mon­sieur Assouline
Au sujet de son almanach mondain[1]

 

Qu’on me par­donne de me met­tre en avant à pro­pos d’une pub­li­ca­tion, mais je suis dans le texte : laiss­er sans réplique la sot­tise, le men­songe et la calom­nie n’étant pas mon genre, une fois encore je dois par­ler du Prix Goncourt après avoir publique­ment juré de ne plus jamais le faire (Sud-Ouest dimanche, le 27/X/2000).  Mon­sieur Assouline m’en four­nit le pré­texte qui, dans son récent non-livre « Du côté de chez Drouant », se fait ses dents gâtées sur ma per­son­ne (et sur quelques autres) — cinquante l’avaient déjà fait avant lui – dans les ter­mes suivants :

«1986.  Un débu­tant incon­nu, très dis­cret pro­fesseur d’espagnol du nom de Michel Host, rem­porte le prix pour Valet de nuit. Son édi­teur, Gras­set, qui exerce alors une cer­taine dom­i­na­tion sur le jury, a fait large­ment savoir que l’auteur est grave­ment malade et qu’il y a urgence à le dis­tinguer… Les ventes aus­si seront dis­crètes : 70 000 exem­plaires. Après, il se fera de plus en plus dis­cret, pas­sant d’un petit édi­teur à un autre, devenant si con­fi­den­tiel qu’il en sera oublié. Ce qui est par­fois ter­ri­ble dans cette comédie lit­téraire, c’est de saisir dans l’instant que non seule­ment un prix peut être décerné par erreur, mais que l’auteur n’aura même pas la chance d’un « Guy Vase­line » (enten­dez Maze­line) pour pass­er à la postérité par con­tre­coup avec « son bouquin pom­madé » (lisez : Les Loups), dix­it Lucien Descav­es, grâce à Céline le recalé glo­rieux. Michel Host n’en a cure et offre une clé pour décoder : selon lui, la fable Le renard et les raisins est sans doute celle qui rend le mieux compte des enjeux d’un prix tel que le Goncourt ! On com­prend que celui-ci l’aura autant encour­agé que per­tur­bé. À pro­pos, que dis­ait La Fontaine ? – Cita­tion : « Cer­tain renard Gas­con, d’autres dis­ent Nor­mand […] Fit-il pas mieux que de se plaindre ? »

Nous avons ici une lourde cui­sine du vrai et du faux, relevée à la sauce infamie, et un clair exem­ple de cette médiocre suff­i­sance mêlée de mépris qui fait l’originalité de mon­sieur Assouline et imprègne les quelque 200 pages de son vain ouvrage. À mon pro­pos (comme à celui d’autres qui, décédés, n’ont aucun droit de réponse):

Le vrai :

Ma mal­adie était réelle. Dès mes pre­mières pub­li­ca­tions j’avais demandé à ce qu’elle ne soit pas men­tion­née : c’est pour moi ter­rain privé. Qu’Yves Berg­er l’ait util­isée auprès du jury, je l’ig­no­rais mais suis enclin à le croire. Infor­mé de ma mise en dial­yse le 9 novem­bre 1986, il avait pour­tant demandé expressé­ment à ma com­pagne,  de “ne surtout pas en par­ler à la presse ». Qu’il en ait lui-même par­lé aux jurés, ce serait bien dans la tac­tique édi­to­ri­ale du temps, et de tous les temps. Ces jurés étant pour la plu­part décédés aujourd’hui : que penser ?

Ma dis­cré­tion : elle fut et reste volon­taire, assumée. L’oubli ? Il n’est que relatif, et c’est celui d’une presse lit­téraire encopinée, ignare, incurieuse et inces­tueuse. L’oubli où gît mon­sieur Assouline, quant à lui, a com­mencé avant qu’il n’écrive sa pre­mière ligne.

Mon état d’inconnu ? Aurais-je dû avoir assas­s­iné ? Gag­né le Tour de France ? Et que souhaitaient donc les Frères Goncourt ?

La fable “Le renard et les raisins” : je l’ai citée, à bon droit je pense, au sujet des cha­cals qui se jetèrent sur moi immé­di­ate­ment après l’ob­ten­tion du prix, faisant mine de le mépris­er, mais en vérité affreuse­ment con­trar­iés, affamés, jaloux et envieux. J’ai excep­té de cette chi­en­ner­ie parisi­enne les seuls Yann Quef­félec (qui l’avait obtenu déjà) et Pas­cal Quig­nard, très “sport” et cour­tois, qui l’ob­tien­dra peu après. Un brin d’élégance ne nuirait pas à mon­sieur Assouline.

Le faux :

Mes « petits » édi­teurs ? Selon moi, il n’est que des édi­teurs, même et surtout ceux que mon­sieur Assouline méprise (les B. Dumerchez, L’Escampette, Maren Sell, Rhubarbe, L’Atlantique étant les miens) et c’est non moins objec­tive­ment faux en ce qui me con­cerne, car ceux qu’il voit comme « grands », mais veut ignor­er à mon sujet, sont Gras­set, Fayard et Her­mann. La mise en cause est sans impor­tance réelle, mais qu’a à faire un Assouline de faits vérifiés.

Les chiffres de vente de Valet de nuit, sont pour lui le vrai critère de qual­ité d’un roman : 70.000 dit-il. Ce fut plus du triple (Cer­ti­fié par l’éditeur  et les Huissiers de Jus­tice Tapin, Salmon et Roby-Salmon, le 25/I/2000. Par mon per­cep­teur aus­si.) Certes pas un Goncourt à la Mar­guerite Duras, mais enfin… Qu’on ne voie pas ici de con­tra­dic­tion : je dois par­ler chiffres puisque l’on m’en par­le. Le recours aux huissiers est dû à ce que M. François Nourissier, sans doute dimin­ué déjà, et abusé par les rumeurs, fit état dans Madame Figaro (le 6/XI/1999)  du « plus mau­vais tirage de toutes les années [qu’il ait] con­nues… », me por­tant ain­si un tort con­sid­érable auprès des milieux de l’édition, ce qui était un comble pour un romanci­er mem­bre du jury, qui mieux que per­son­ne savait comme il est dif­fi­cile d’écrire, de pub­li­er, etc. Il me fal­lut procéder par voie d’huissier pour obtenir un droit de réponse dans Madame Figaro, le 29/I /2000. Mon­sieur Assouline me con­traint donc à descen­dre à son alti­tude, au ras du sol, car de ces chiffres faussés il tire la con­séquence que le prix m’a été « décerné par erreur ». J’en con­clus que son mépris est sans faille pour un jury qui, si l’on suit son raison­nement, ne couron­nerait un romanci­er qu’en fonc­tion de ses « ventes » escomp­tées. Venant d’y faire son entrée, il n’ignore pas qu’il est mem­bre désor­mais d’un club de maquignons de la lit­téra­ture. Mais avec lui, on ne descend jamais assez bas.

L’infâme, main­tenant :

Son insin­u­a­tion au sujet de “Guy Vase­line”, passe par Lucien Descaves. 

Mon­sieur Assouline procède ain­si, par références qui ne lui appar­ti­en­nent pas. C’est une lâcheté. Petite, à son image. Cette vase­line, qu’il se la mette lui-même là où je pense, je n’y met­trai pas le doigt : les éloges qu’il croit mérit­er pour ses écrits médiocres n’en glis­seront que mieux. Quant au rap­proche­ment avec les années 30, il serait sans doute à méditer plus longuement. 

Mon avis est que l’almanach mondain Du côté de chez Drouant n’est qu’un tis­su de ragots, hors de la lit­téra­ture, con­sacré à ses seuls effets soci­aux, à ses à‑côtés ger­manopratins, du papi­er à met­tre à la cor­beille. L’auteur aime à tout ramen­er à sa mince dimen­sion. Il ne lit pas les livres : pourquoi le ferait-il ? M’étant un jour éton­né de ce qu’à pro­pos d’une de mes pub­li­ca­tions il ne trou­vait à cri­ti­quer que le fait de n’avoir pas men­tion­né le prix Goncourt (une véri­ta­ble obses­sion chez ce mon­sieur !), je lui avais reproché à mon tour de ne lire que les 4es de cou­ver­ture. Bien à tort, j’avais pré­sumé de ses capac­ités, on ne peut lui deman­der de pareils efforts : « C’est ma façon de lire », m’avait-il répon­du. Ce qui me réjouit, c’est que mem­bre du jury Goncourt désor­mais, notre échoti­er va devoir faire sem­blant de lire. Tout comme Giono, en somme, mais sans la classe ni le talent.

Michel Host. Févri­er 2014

 

 

[1] Pierre Assouline, Du côté de chez Drouant, Gal­li­mard / France Cul­ture, sep­tem­bre 2013,  213 pp., 16,90€.

 

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