Le poète-doc­u­men­tal­iste Pierre Schroven organ­ise des ate­liers d’écriture pour pro­mou­voir le désir de lire et l’accès à la lec­ture en milieu défa­vorisé, par­fois en parte­nar­i­at avec des musées. Le petit vol­ume de poésie qu’il pro­pose ici est inspiré par l’effet de lumi­nosité puis­sam­ment physique que sus­cite la pein­ture de son com­pa­tri­ote belge Cor­nelius van Bev­er­loo, alias Corneille, co-fon­da­teur du célèbre mou­ve­ment Cobra.

Cepen­dant, dans ces quar­ante-deux poèmes brefs, le rap­port entre les textes et les tableaux (il n’y en n’a pas de repro­duits, et il n’y a pas de références explicites) reste très peu déce­lable ; ils sont en quelque sorte présents-absents et comme masqué par le dis­posi­tif de mise en page qui n’imprime que les pages rec­to : les poèmes font ain­si face à une page vide, et non numérotée, mais comptée.

Les poèmes sont en vers, mais non scan­dés, et non rimés sauf deux, les 30 et 31, qui pour­raient instituer une forme par­ti­c­ulière con­sis­tant à pren­dre un élan prosaïque pour ne rimer que les deux derniers vers, qui con­stituerait non pas une « chute » mais un « saut » dans la tran­scen­dance de la beauté formelle. Ainsi :

 

Les silen­cieux mou­ve­ments d’un moulin
Déposent à côté de tes yeux une clarté
Dont on peut voir les vols multiples
                              semer aux qua­tre vents
Toutes les douceurs de vivre éper­du­ment (p. 69)

 

et

 

Hier, j’ai trou­vé un chemin à l’œuvre
                                 dans mon corps même
J’ai aimé sa façon de se pen­dre à mon cou
Pour me dire de partir
De marcher jusqu’à trou­ver une liberté
Qui ne laisse à l’œil rien pour se pos­er (p. 71)

 

Mais cette forme éphémère se dis­sout aus­sitôt, rem­placée par aucune autre qui soit … vis­i­ble. C’est que, peut-être, comme le 39e poème le dit, (p. 87) :

 

À force de fix­er la mer
On en vient à douter de tout
À écouter la vie en soi réduire à néant
Tout ce que dit une parole humaine
Et à s’endormir les bras en croix sur une plage
En se deman­dant de quelle vague on vient

 

Cette expéri­ence de « désub­jec­ti­va­tion créa­trice », selon l’expression que le philosophe Mar­cel Paquet utilise dans sa courte pré­face, nous invit­erait donc inverse­ment à lier la rime et le mètre à un proces­sus de sub­jec­ti­va­tion, de con­struc­tion d’un sujet par la forme de son discours !

Voilà une per­spec­tive intéres­sante pour un péd­a­gogue, et un intéres­sant … « sujet » de médi­ta­tion pour la poésie comme pour la pein­ture. Ques­tion­nement intéres­sant aus­si pour le lecteur, car, si l’on suit le raison­nement, le lecteur du poème in-forme et in-sujet est-il, lui, alors invité à se con­stituer sujet lisant, ou in-sujet lisant ? Est-il sujet inter­pré­tant ou in-sujet n’interprétant pas même ? Quelle expéri­ence est-il invité à vivre et quelle respon­s­abil­ité est-il invité à assumer ?

Expéri­ence lim­ite, n’est-ce pas, que

 

« Cette perte d’équilibre qui n’a pas de nom
Et s’abreuve de la mer­veille d’un geste » (p. 83)

 

Mais l’informe mys­tique, par une néces­sité bien con­nue de toute liturgie humaine, tend à pren­dre forme, se cristallise dans un geste recon­naiss­able, une prosodie,

 

« Et rêve à genoux dans le pos­si­ble d’un chemin illis­i­ble » (p. 61).

 

Il sem­ble en aller de même dans ce recueil qui, en tout cas, invite à la réflexion.

 

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