L’élégie est un genre qui se fait rare dans la poésie con­tem­po­raine française et il faut une cer­taine audace à Gabriel Arnou-Lau­jeac pour aller ain­si à con­tre-courant dans ce long poème en prose qu’est son pre­mier recueil Plus loin qu’ailleurs. Le titre annonce bien l’intention de l’auteur : « Je t’emmènerai où s’exilent les peu­ples du vent, loin du trou­peau dés­espérant, loin de ses dia­bles inhu­mains et de ses dieux trop humains ».Cet ailleurs n’est pas une utopie, il a un lieu, même si c’est «  en ce lieu sans adresse », celui où demeure ce que d’aucuns ont pu appel­er « l’amour fou ».  Mais ce n’est pas du côté de Bre­ton qu’il con­vient d’aller chercher les références de Gabriel Arnou-Lau­jeac. Celui-ci nous par­le, en fait, d’une expéri­ence méta­physique,  cer­tains diraient mys­tique ; celle de l’Amour absolu, vécu à la fois char­nelle­ment et spir­ituelle­ment : « Jail­lie à vif d’une flamme vir­ginale, la pas­sion nous prend tout entiers dans son souf­fle ani­mal : les étin­celles du soleil par­courent nos corps au galop dans un fra­cas d’océans ».  Cette expéri­ence vécue ici-bas est ressen­tie comme le seul moyen d’échapper à la bassesse du monde. «  Quels amants n’abritent point, au saint-des-saints de leur corps entremêles, la mémoire d’une pléni­tude à faire renaître ? »  écrit-il, nous faisant enten­dre que nos corps sont des « Tem­ples » et que seul l’amour vrai rend libre, per­me­t­tant ce « retour » à l’unité, à la plénitude.

«  Par-delà ce quo­ti­di­en trop étroit pour nos ailes existe un lieu vers l’étoile idéale, et c’est là que je t’emmène : vers la clarté. Viens. » «  Je t’emmènerai loin, plus loin qu’ailleurs, à l’intérieur, mourir à ce monde inversé ». 

D’autres avant lui, et non des moin­dres, ont ten­té de faire com­pren­dre et ressen­tir cette expéri­ence de l’amour, de nous par­ler de ce «  lieu sans adresse » où l’amour humain se con­fond ave l’amour divin. Ils ont pour nom Hâfez, Rûmi, et plus près de nous Tagore et son «  Offrande Lyrique ».

Mais  un jour,  l’amour que l’on croy­ait unique, s’éteint et «  L’amour bor­de une dernière fois votre lit et vous donne le bais­er du grand soir. Pourquoi ? » . Au-delà de la dés­espérance et de l’exil intérieur, « il faut ten­ter de vivre » comme l’a écrit un autre poète. Reste alors pour se retrou­ver à se fon­dre dans la Créa­tion,  ce « grand-tout » dont cha­cun de nous est une par­celle. Reste alors l’invocation : « J’invoque le sceau du ciel qui est un Souf­fle, un Souf­fle indompt­able, un Souf­fle qui tra­verse, puri­fie, ressus­cite tout ce qu’il enlace au gré de sa danse insaisissable ». 

Cette quête de l’Absolu et d’éternité est servie par une écri­t­ure rare dans la poésie con­tem­po­raine occi­den­tale. Exigeante, flu­ide et pure,  son lyrisme même, para­doxe d’apparence, dénude les mots pour les porter à l’incandescence. Sa langue s’adresse avec force à l’intelligence du cœur, celle qui nous fait échap­per aux con­tin­gences de notre siècle.

« Il reste l’écho du silence qui s’élève à con­tre-nuit, pour que sonne et résonne la promesse du retour, au creux des âmes apa­trides qui savent n’être point d’ici, ni d’ailleurs, et encore moins de maintenant ». 

Mer­ci à Gabriel Arnou-Lau­jeac de ce texte lumineux, aus­si intem­porel qu’universel, qui fait de lui ce  con­tem­po­rain sans âge, sachant, par-delà le temps  et l’espace, s’adresser à ce que l’humain a de meilleur et de plus haut en lui. 

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