tra­duc­tion Marie-Chris­tine Masset

 

 

Conduite difficile

 

 

Same­di les ours en peluche

longeant le garde-fou

étaient encore au-dessus

de la voie express Major Deegan

danse en plas­tique sous un ciel

moitié brumeux, moitié bleu

et il y avait des nuages blancs

souf­flant de l’ouest

 

ce qui aurait été suffisant

pour quelqu’un habitué

au plaisir à petites doses

 

à vrai dire plus tard, au couch­er du soleil,

en con­duisant vers le nord

en suiv­ant la riv­ière Saw Mill

sous un vent vio­lent, avec des nuages énormes

déri­vant au-dessus de la route comme des animaux

fiers de leur bas-ventre,

dans un instant d’intense clarté

j’ai vu une Mai­son d’Edward Hopper,

à la fois si extrême­ment lumineuse et noire

que j’ai pleuré, tout le long de la route 22

ces larmes incontrôlables

« comme si c’était toutes les larmes du corps »

 

et de si jeunes femmes

voici le dilemme

 

il est la solution

 

j’ai tou­jours été à la fois

assez femme pour être changée en larmes

et assez homme

pour con­duire ma voiture n’importe où

 

 

*

 

Janvier, Lune des Temps Difficiles

 

Sous cette lune quand tous les Lakotas

l’avaient dur, nous qui avons

pris leur place quand on l’avait dur

avons à la place des on a

et des on n’a pas

 

Lune de peu de nour­ri­t­ure, temps

féroce, hivers profonds

tu aurais dû avoir du cœur

les ont eu pour les n’ont pas eu

pour qu’on tienne tous le coup

à tenir éloigné le temps difficile

 

Brille, lune des temps difficiles

Regarde-nous à tra­vers celui-là

 

 

Vivre d’air

 

Comme un chant est un air, un poème est

 

une chas­se inespérée

à la vie

coupant le souffle

 

Et il y a une nou­velle preuve – nos sen­ti­ments nous guident !

Quelle élé­gance de la part de la science

de laiss­er ceux d’entre nous avec des sentiments

s’en tir­er

 

aus­si regarde — de l’autre côté de la rue

une fenêtre étroite vient juste

de s’emplir d’une lumière bleu-vert

 

- Une mer du sud !

 

dans une nuit dure­ment con­quise de New-York

 

 

*

 

Lapins Lapins Lapins

 

 

+ Pour être sûr d’avoir de la chance n’importe quel mois à venir, immédiatement

après vous être réveil­lé le pre­mier jour dites ces mots.

 

3/1/87

 

Julio, notre lapin

noir avec une poitrine blanche

cou­rut libre comme les autres

 

mangea le sol du couloir

et la parure du lit

 

il se traîna

vers la litière du chat

 

cala sa tête sous ma main

pour être caressé, et attendit

 

un doux, latent, rapide

cœur du silence

 

Et si Julio — qu’il soit en paix -

 

 

alors tout devint poils et plumes

et écailles, même la nana brutale

ne fut que feuilles

et épines

 

*

 

« Ça commence ici, qu’est-ce que tu veux te rappeler ? »*

 

 

Bon, il y ce dont on veut se rappeler

et ce que l’on veut oubli­er et ce qu’on

a déjà oublié

 

Je veux me rap­pel­er les nuits

que j’ai oubliées, et les lumières

sur la place,

 

la vitesse du traf­ic, étouffée

par les fenêtres fer­mées de l’hiver,

où le reflet de ma cham­bre vit

de façon dés­in­volte et ridicule

 

Je veux me rap­pel­er la

voix aiguë et la plainte rauque

d’une jeune femme riant ou pleurant,

non, elle accuse

 

Je veux me rap­pel­er que je suis

ici en train de l’écouter tan­dis que le traf­ic incessant

répète et répète et que je peux distinguer

un bus d’un camion quand elle reste

de mar­bre

 

En écoutant, on peut gîter à tribord

ou à bâbord. Moi sur cette chaise je peux

pour­rais faire les deux. Quelle journée.

J’écoute. Je veux me rap­pel­er que

j’ai écouté.

 

 

*

 

 

Mon amie Hélène me manque. On était là, toutes les deux des femmes rejetées, et c’est elle qui a trou­vé que c’est Char­lotte Mew qui avait écrit cette phrase. On en a eu marre l’une de l’autre. On a écouté.

 

 

*

 

« Ça commence ici, qu’est-ce que tu veux

te rappeler ? »

 

 

Wim Stafford

 

 

Je veux me rap­pel­er le bruit

des nuits que j’ai oubliées

comme cette plainte aiguë

d’une jeune femme, s’écoulant

 

je veux me rap­pel­er que je

l’ai enten­due

 

En écoutant, nous pou­vons nous pencher à tribord

ou à bâbord. Moi sur cette chaise je peux

 

faire les deux. Quelles journées.

J’ai écouté.

 

Je veux me rap­pel­er que

j’ai écouté.

 

Het­tie Jones 2006

 

***

 

Hard Dri­ve

 

 

Sat­ur­day the stuffed bears were up again

over the Major Deegan

danc­ing in plas­tic along the bridge rail

under a sky half misty, half blue

and there were white clouds

blow­ing in from the west

 

which would have been enough

for one used to pleasure

in small doses

 

but then lat­er, at sunset,

dri­ving north along the Saw Mill

in a high wind, with clouds big and drifting

above the road like animals

proud of their pink underbellies,

in a moment of intense light

I saw an Edward Hop­per House,

at once so exquis­ite­ly light and dark

that I cried, all the way up Route 22

those uncon­trol­lable tears

“as though the body were crying”

 

and so young women

here’s the dilemma

 

itself the solution

 

I have always been at the same time

woman enough to be moved to tears

and man enough

to dri­ve my car in any direction

 

*

 

January, Moon of Hard Times

 

Under this moon when all Lakota

had hard times, we who have

taken their place in our hard times

have instead haves

and have-nots

 

 

Moon of little food, fierce

weather, heartland winters

you had to have heart

the had for the hadn’t

for all to hold on

hold off the hard time

 

 

Shine, moon of hard times

See us through this one

 

*

 

 

Living on Air

 

 

As a song is an air, a poem is

 

an unex­pect­ed catching

of breath­tak­ing

life

 

And there’s new proof – our feel­ings guide us!

How gra­cious of science

to let those of us with feelings

off the hook

 

so look — across the street

a nar­row win­dow has just now

filled with aqua light

— a south­ern sea!

 

in a hard won New York night

 

*

 

Rabbits Rabbits Rabbits+

 

 

+ To ensure good luck for any com­ing month, say these words

imme­di­ate­ly upon awak­en­ing on the first day.

 

3/1/87

 

Julio, our rabbit

black with a white chest

ran free like the rest

 

ate the hall floor

and the bedclothes

 

trained him­self

to the catbox

 

stuck his head under my hand

to be pet­ted, and waited

 

a soft, expec­tant, rapid

heart of silence

 

And if Julio— may he rest—

then every­thing furred and feathered

and scaled, even the rough broad leafed

and thorned

 

 

*

 

Starting here, what do you want to remember?” *

 

 

Well, there is what we want to remember

and what we want to for­get and what

we’ve already forgotten

 

I want to remem­ber the nights

I’ve for­got­ten, and the lights

across the square,

 

the rush of traf­fic, mut­ed by winter’s

closed win­dows, where the reflection

of my room lives air­i­ly and insubstantially

 

I want to remem­ber the

high pitched voice and the rau­cous plaint

of a young woman laugh­ing or crying,

no she’s accusing

 

I want to remem­ber that I am

here lis­ten­ing to her as the ongo­ing traffic

repeats and repeats and I can tell

a bus from a truck while she’s still

at it

 

 

Lis­ten­ing, we can list to starboard

or port. Me in this chair I can

could go either way. What a day.

I’m lis­ten­ing, I want to remember

I lis­tened.

 

 

*

 

 

I miss my friend Helene. There we were, both dis­card­ed wives, and it was she who found

Char­lotte Mew, who’d writ­ten that phrase. We fed each oth­er. We listened.

 

 

*

 

Starting here, what do you want

to remember?”

Wm Stafford

 

I want to remem­ber the noise

of the nights I’ve forgotten

 

like this high pitched plaint

from a young woman, passing

 

I want to remem­ber I

heard her

 

 

Lis­ten­ing, we can lean to starboard

or port. Me in this chair I can

 

go either way. What days

I’ve heard.

 

I want to remember

I lis­tened.

 

Het­tie Jones 2006

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