SAINT LOUIS

 

Veux-tu que nous allions dans la forêt prochaine
Retrou­ver l’ombre du grand Roi
Qui rendait la jus­tice à l’ombre de son chêne
Et dont le nom est saint trois fois.
Suivi de son Joinville et sans garde il s’avance,
Man­teau de san­dal noir et cha­peau de paon blanc,
Sur­cot sans manch­es, simplement,
C’est Saint Louis le roi de France.
Du pont de Taille­bourg aux murailles de Saintes,
Qui bat l’Anglais ? Presque un enfant,
Aux cheveux courts et blonds, à l’air doux mais sans crainte,
Au corps frêle : il n’a pas trente ans.
Mais le voilà qui joint à la gloire guerrière
Celle d’arbitre de son temps,
Dans ses pro­pres Etats son vain­cu d’Angleterre
Lui fait juger ses différends.
Suivi de son Joinville et sans garde il s’avance,
Man­teau de san­dal noir et cha­peau de paon blanc,
Sur­cot sans manch­es, simplement,
C’est Saint Louis le roi de France.
Veux-tu que nous allions à la Sainte-Chapelle
Retrou­ver l’ombre du grand Roi,
Pri­ant, la bâtis­sant, pour la France éternelle
Qu’il lais­sa plus grande trois fois.
A la Sainte-Chapelle, où flam­boye, endivine,
Même ceux qui n’ont pas la foi,
Et d’un Roi, pour­pre et croix, sa couronne d’épines
Et dont le nom est Dieu trois fois.
Sa flèche, Mon­tereau en fit l’élan d’une âme
Pure qui monte au ciel tout droit
Et sa pointe a le bleu de celle d’une flamme,
Son pied le bois de la vraie Croix.
Il la prit cette croix pour men­er deux croisades
Dont nulle hélas ne bétourna,
Pris­on­nier sur le Nil, devant Tunis malade
Et ce fut la dernière fois.
Suivi de son Joinville et sans garde il s’avance,
Man­teau de tire­taine et cha­peau de paon blanc,
Sur­cot sans manch­es, simplement,
C’est Saint Louis le roi de France.
Aux Quinze-Vingts, veux-tu, et que soit la lumière,
Retrou­ver l’ombre du grand Roi,
Aux aveu­gles encore il rend prunelles claires
Qui bénis­sent son nom trois fois.
A table qui vous sert et pau­vres qui vous donne,
Qui vous soigne dans votre lit,
Lépreux, paralysés ? C’est le Roi en personne,
Le Roi de France, Saint Louis.
« — Le Jeu­di-Saint, leur laves-tu les pieds, Joinville,
Aux pau­vres ? — Non ! Ça sent mauvais !
— Eh bien ! tu dois le faire, au nom de l’Evangile,
Parce que Jésus-Christ l’a fait ! »
Suivi de son Joinville et sans garde il s’avance,
Man­teau de san­dal noir et cha­peau de paon blanc,
Sur­cot sans manch­es, simplement,
C’est Saint Louis le roi de France.
Si tu veux soutenir une thèse en Sorbonne,
L’ombre est tou­jours là du grand Roi
Qui con­sacre à l’esprit ce haut lieu et couronne
Ton plus haut con­naître, trois fois.
De notre Par­lement, de notre Cour des comptes
C’est lui l’ancêtre, tou­jours lui,
Et de notre mon­naie, hélas ! en quelle fonte,
Dont n’a tenu que son Louis.

Suivi de son Joinville et sans garde il s’avance,
Man­teau de san­dal noir et cha­peau de paon blanc,
Sur­cot sans manch­es, simplement,
C’est Saint Louis le roi de France.
De Mon­sieur Saint Denis voici la basilique,
Voici des Rois le dernier lit,
Ici les pre­mier pas de leur geste historique
Au cri de Mon­tjoie Saint Denis.
Ci, la source où se perd l’amertume des larmes,
Où s’agenouille Saint Louis
Où se trem­pait son coeur devant qu’il prît les armes,
Au cri de Mon­tjoie Saint-Denis.
Mais Saint-Denis soudain : « D’où vient cette cohue
Et devant elle je te vois,
Grand Saint Louis ! Dis-moi, ton heure est donc venue !
— Tu m’as pro­tégé tant de fois,
Que sous notre éten­dard, grand évêque des Gaules,
Ombre, je veux, pour mon merci,
Te remet­tre la tête enfin sur les épaules,
Vivant, déjà, j’en eus souci
Comme j’avais celui de mon­tr­er par l’exemple
Que l’on peut bien être à la fois
Sur terre avec son peu­ple, avec Dieu dans son temple
Et faire son méti­er de roi ! »
Que tu sois le pou­voir ou le contestataire,
Si tu t’inspirais de ce Roi,
La Jus­tice et la Paix, au moins sur notre terre,
Régn­eraient alors de par toi.
Suivi de son Joinville et sans garde il s’avance,
Man­teau de san­dal noir et cha­peau de paon blanc,
Sur­cot sans manch­es, simplement,
C’est Saint Louis le roi de France.
Veux-tu que nous allions en forêt de Vincennes
Retrou­ver l’ombre du grand Roi,
Qui rendait la jus­tice à l’ombre de son chêne
Et dont le nom est saint trois fois.

 

Poème couron­né par l’Académie française,
Prix Marie Havez-Planque, 1972.

 

 

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Tuileries

 

Tuiles, Tuiles — Tuileries !
Le Lou­vre était autre­fois Le Lou­vre était à deux pas, Tuiles ! d’une tuilerie.
Plutôt qu’une tuilerie,
Sug­gère la reine au roi, Un abri, oui pourquoi pas ?
Un abri con­tre les tuiles,
Tuile — tuiles, tas de tuiles,
Con­tre les soucis d’E­tat En civ­il et en chez soi,
Où vite, ouf, on se défile !
C’est au cri de : pas de tuiles,
Qu’on décide de bâtir Un palais pour le plaisir
Et surtout le “pas de bile”.
Dia­ble, dia­ble, diableries !
Quand le château fut con­stru­it On enten­dit Ruggiéri,
Dia­ble, dia­ble, diableries :
“Cathe­ri­na, Catherina,
Dit l’as­tro­logue à la reine Préférez-vous joie ou peine ?
Si c’est peine, habitez-là”.
Cather­ine, “Cathe­ri­na”
Qui jouait de l’épinette Dit, en détour­nant la tête :
Rug­giéri… baliverna !
“Tego­la, si, tégole,
Cathe­ri­na les étoiles, Pour ce château sont fatales,
Atten­ta alle tegole”.
“Tuiles, tuiles, quand ces tuiles là Vous tombent sur la tête Tiens ! se dit-on ces futiles Astrologues…pas si bêtes !”
Dia­ble, tuiles, tuileries,
On arrê­ta les travaux Devant le palais nouveau,
Tuiles, dia­ble, tuileries.
Le grand Roi dit : “Rug­giéri !
C’est un piège ! Qu’on s’en aille Et l’ont s’en fut… à Versailles,
Lais­sant tuiles… à Paris.
Le Bien Aimé tout enfant,
De cheval tombe au Manège Et répète : piège, piège !
N’y revient de son vivant.
Louis XVI, Tuiles, tuiles,
Louis XVI en eut son lot L’empereur à Waterloo,
Ziegel, ziegel, pile, pile !
Ziegel, ziegel, ziegelei,
Charles X, tuiles, tuiles, Et tous les rois filent, filent,
Les Républiques aussi.
Locataire, tuiles, tuiles,
Napoléon le neveu,
Fut lui, le dernier d’en­tre eux,
Pile pile file file !
Et cette pau­vre Eugénie
Pen­sant à Cathe­ri­na dit encore : Tejà, tejà,
Tejar, tejar Tuileries !
Dans ce beau jardin fleuri
Et tout orné de stat­ues Tel qu’on le voit aujour­d’hui L’été quand l’om­bre est venue
Dans ce beau jardin fleuri
Si tu vois sur un banc, tristes Des yeux qui vers toi insistent,
Songe, songe à Ruggiéri…
Tuiles, tuiles, quand ces tuiles
Là vous tombent… quel ennui !
Plus de tuiles…Tuileries, mon beau jardin de Paris.

Extrait du recueil « Jardins de Paris », 1er prix de poésie Sévi­gné, ed. Hen­ri Lefebvre.

 

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Au Lapin Agile

 

Lapin, mon vieux Lapin Agile ! Hier, Quand je me suis trou­vé devant tes volets verts, De petite mai­son pour idylle, Champêtre…au théâtre de la grand’ville, J’ai revu ton vis­age d’autre­fois Quand nous venions chez toi, Pour la pre­mière fois,
O jeunesse
Bondissante…
Frédé
Qui sem­blait nous atten­dre Dans sa barbe grise Et comme accoudé à l’heure ten­dre du cré­pus­cule Tou­jours assis sur la même des deux bornes Qui coupent à cet endroit la rue des Saules Et, avec le petit escalier en aval, Délim­i­tent la fron­tière De ce pays de rêve et de poésie Dont tu es, Lapin, mon vieux Lapin Agile, Entre la rue Paul-Féval Et la rue Saint-Vin­cent, La plus petite, la plus célèbre Et, dans le monde entier, l’u­nique capitale…
Frédé
En bon­net de four­rure, l’hiv­er Et l’été
en bon­net de velours côtelé Et chaque soir, quelque fût la sai­son, Un large foulard rouge Autour du cou
nous rece­vait déjà comme une ombre
Mys­térieuse et légendaire De Tav­ernier du Quai des Brumes Ain­si gravé, ain­si chan­té par ses pein­tres poètes O Max Jacob…O Mac Orlan… ! (…)
Lapin, mon vieux Lapin Agile Après dix ans je t’ai revu hier ! C’é­tait à l’heure fiévreuse où les théâtres de la ville Dég­lutis­sent leurs foules, four­mis de chair, Et d’âme qui regag­nent leurs nids ou mon­tent vers
Montmartre…
je t’ai revu
dans cette rue
De petit vil­lage de mon­tagne que tra­verse, Comme un ruis­seau de lune bor­dé de vignes, La rue saint Vincent
Rue saint Vin­cent que signe Eternellement
avec son immortelle chanson,
le nom
d’Aris­tide Bruant…
O Jeunesse.
Nous venions chez toi, Fils de Frédé, Héri­ti­er du grand chan­son­nier, Nous venions, Paulo, écouter ta goualante Et c’é­tait, s’il te sou­vient : “Je m’embarquerai…” Te répondait ton Yvonne ravis­sante Et tu chan­tais penché vers elle,
ta gui­tare en forme de bar­que… (…) Sal­laber­ry lançait sa tyrolienne,
A ta gui­tare, écho éolien,
Répondait la harpe de la petite nièce Du père de “Louise”…
Alors, dans la petite pièce du fond
venait se gliss­er comme un fan­tôme, Du “Temps des ceris­es” et de la “Bohème”,
Fran­cis et son coeur, Fran­cis Carco
dans sa cape et sous son grand feu­tre, Et toi Paulo,
Sous ta cas­quette à pont de Patron, à son bord,
Com­man­dant la bordée,
soupi­rait à ce moment-là : “Quelle soirée “! (…)
…Ce soir Lapin, mon vieux Lapin Agile Der­rière tes petits volets verts de mai­son de vil­lage de mon­tagne que tra­verse comme un ruis­seau de lune Bor­dée de vignes la rue saint-Vincent
Ta lampe est tou­jours là
Dont ta fenêtre, trou de lumière, brille étince­lante dans l’om­bre, Comme dans son mon­o­cle bril­lait, Lampe de pen­sée, L’oeil de Max Jacob (en habit) écoutant chanter Mar­cel Couté (en sabots) et Jehan Ric­tus (en godillots)
Tant que ta lampe brillera de tes veil­lées L’âme de Mont­martre vivra Et tu sais bien,
que sans Mont­martre, PARIS se péri­rait Sans Mont­martre, PARIS ne serait plus PARIS Tu le sais bien
Lapin, mon vieux Lapin Agile.

Extrait du recueil « Paris vivant », 1er prix de poésie Sévi­gné, ed. Hen­ri Lefebvre.

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