ISLANDS

1. Brack­en

There were sheep then, they pas­tured on the lit­tle islands,
We took them there by boat. But the grass has gone
And the fold my father’s father built with his bare hands
Here at high water has also gone. One by one
All his fields have gone under the ferns again
And now it is hard for you to see how it was then.

Bit­ter, unhar­vest­ed, deep­er than children,
The ferns rise from high water over the wall.
The fields drown; the swing­ing gate is fallen
And ferns break round the posts that stand as tall
As men. But from the spring you climbed this way
After the spilling water-carts on a hot day.

You would not think we had any open ground,
But we did. We called it Plains. There was space
For all the island to be sit­ting round
Watch­ing the ten­nis or the crick­et. Our playing-place
Has gone the way of the fields and I should­n’t know
Where to look for the pitch and the court now.

Sunk flour­ish­ing in depths of bit­ter green
The lit­tle islands are lost to us already.
We watch from boats the rats going hun­gry between
Waste and waste. Remem­ber for our sakes quickly
Where the sweet water places were and when
And by whom the fields were first rid of their bracken.

Some­times in sum­mer we made our­selves a bed
Under the ferns, where we should nev­er be found,
And looked up through the love­ly green at the sky and said
That we were at the bot­tom of the sea and drowned.
I believe some­times we slept, but the afternoon
When we woke again was still no fur­ther gone.

We lie on the har­bour wall and peer­ing down
Where the wrack heaves and hideous claws feel
After food, we see the clouds that do not drown
In path­less water with all of our things lost but sail
Untouched through the coral and the salt flowers
Through the places of this island that once were ours.

 

ÎLES

 

1. Fougères

Alors pais­saient des mou­tons sur les petites îles.
Nous les trans­portions en bateau. Mais l’herbe est partie
Et l’enclos que le père de mon père avait con­stru­it de ses mains nues
A marée haute est par­ti aus­si.  L’un après l’autre
Tous ses champs sont par­tis de nou­veau sous les fougères
Et main­tenant il est dif­fi­cile de voir com­ment c’était.

Amères, jamais coupées, plus hautes que des enfants,
Les fougères s’élèvent depuis la ligne des marées jusqu’au-dessus du mur.
Les champs se noient ; le por­tail qu’on pous­sait est tombé
Et les fougères défer­lent autour de ses mon­tants aus­si hauts
Que des hommes. Mais depuis la source tu suiv­ais ce même chemin
Der­rière le débor­dant char­roi de la citerne par un jour de chaleur.

On n’imaginerait pas que nous avions un grand espace,
Mais oui. Nous l’appelions les Plaines. Il y avait assez de place
Pour que s’assoient autour les habi­tants de l’île
Regar­dant un match de ten­nis ou de crick­et. Notre ter­rain de jeu
Est par­ti comme les champs et je ne saurais pas
Où chercher main­tenant le court et le gazon.

Sub­mergées les petites îles déjà per­dues pour nous
Fleuris­sant les pro­fondeurs du vert amer.
Nous regar­dons depuis les bateaux les rats courir affamés entre
Les ter­res à l’abandon. Rap­pelons-nous vite
Où se trou­vaient les sources et quand
Et par qui les champs furent d’abord sous­traits à ces fougères.

Quelque­fois en été nous nous fai­sions un lit
Sous les fougères, pour nous ren­dre à jamais introuvables,
Et nous regar­dions à tra­vers la belle ver­dure le ciel en nous disant
Que nous étions au fond de la mer et noyés.
Je crois que par­fois nous dormions, mais l’après-midi
Quand nous nous réveil­lions n’était pas avancé.

Nous sommes allongés sur le mur du port observant
Le varech qui se bal­ance et des griffes hideuses
En quête de nour­ri­t­ure, nous voyons les nuages qui ne se noient pas
Dans l’eau sans chemins où sont par­tis nos sou­venirs, naviguer
Indemnes à tra­vers le corail et les fleurs salées
A tra­vers les coins de l’île qui jadis étaient nôtres.

 

2..

At blown cock­crow, hear­ing the dri­ven sea,
You remem­ber the rat­tling sash, starlight
Sur­viv­ing faint­ly on the looking-glass
And the islands trou­bled with a cease­less crying.

Scheria, kind to strangers, wept for her ship
Sunk by God unjust­ly; for the Schiller’s
More than three hun­dred souls there were many in
Two con­ti­nents weep­ing; and everywhere

For the sailors of our wars, numberless
Moth­ers’ sons who have rolled in with­out faces.
Indif­fer­ent Her­mes con­duct­ed them all.
The sea turns and its crea­tures hunger. Soon

Every­thing lies under the mer­cy of day.
The sur­face flick­ers with scared. pilchards.
Light, above all the light. And the sea comes,
At sun­ny tide-flow the plucked, the smit­ten sea

Comes run­ning. The wind then, high-rid­den by
One non­cha­lant gull, bat­ters the opening
Eyes of the sun with water. Far-reaching,
Iri­des­cent, the white surf comes and comes.

Chil­dren are play­ing under a rainbow
On Pool Green; or behind Innisvouls,
Delight­ed in a rock­ing boat, they stand
Out­star­ing the ancient quizzi­ness of seals.

 

 

2.

A la trompette du coq, écoutant le galop de la mer,
Tu te rap­pelles la fenêtre qui bat, le faible reflet
Des étoiles resté dans le miroir
Et les îles trou­blées par un cri incessant.

Schérie , accueil­lante aux étrangers, pleu­ra son navire
Noyé par un Dieu injuste. Pour les trois cents âmes
Et plus du Schiller, sur deux con­ti­nents beaucoup
Pleu­raient aus­si ; et partout

Les mères pleu­raient les marins de nos guerres,
Leurs innom­brables fils poussés sans vis­age au rivage.
Indif­férent, Her­mès les con­duisit tous.
La mer se retire et ses créa­tures ont faim. Bientôt

Toutes choses seront gisantes à la mer­ci du jour.
La sur­face étin­celle de pilchards apeurés.
Lumière, surtout la lumière. Et la mer revient,
Le plec­tre de la marée ensoleil­lée, le fra­cas de la mer

Qui arrive en courant. Là-haut alors, le vent, chevauché
D’une seule mou­ette non­cha­lante, de force va ouvrant
Les yeux du soleil avec de l’eau. Loin étendue,
Iri­des­cente, la blanche écume ne cesse de déferler.

Des enfants jouent sous un arc-en-ciel
Sur Pool Green ; ou der­rière Innisvouls,
Joyeux dans le bal­ance­ment d’une bar­que, ils se tiennent
Fix­ant l’antique per­plex­ité des phoques.

 

 

3.

Our child when we came look­ing and call­ing after her
And had come through mar­ram and sea-hol­ly to the dunes’ crest
When we stood crush­ing in our fin­gers plucked samphire
Look­ing still fur­ther and call­ing and saw her at last

She was remote and small on an almost island
And turned away, at tide-flow, but our fear was less
Of the sea already part­ing the cord of sand
Than that she was so small and avert­ed from us.

We ran heav­i­ly, the white sand sank us in,
But through the neck of the place stole then like bird-stalkers
Over the flat wrack that popped and stank in the sun
Towards her kneel­ing before big gran­ite chairs

Gen­tly stroking for shells. When she turned and looked up
And showed us word­less in her palm the fis­sured cowrie
The spi­ralling white horn of wentletrap
And scal­lops small­er than her small­est nail then we

With our looks put upon her the fear of death
And the own­er­ship of love. Between our tall shadows
She walked to the safe beach down the snake path
Already sunk over ankles in warm shallows.

Grate­ful­ly then the weed rose in the sun­ny water
And swirled as it liked and flowed and the bright shell
Hoards sparkled before the thrones with­out her
Who stood between us watch­ing, wait­ing for tide-fall.

 

3.

Notre enfant quand nous sommes venus la chercher, la héler
Après avoir tra­ver­sé oyats et pan­i­cauts jusqu’au som­met des dunes,
Ecras­ant dans nos mains la cueil­lai­son de salicornes
Regar­dant encore plus loin et l’appelant jusqu’à la voir enfin

Elle était à l’écart et toute menue sur une presqu’île
Et nous tour­nait le dos à marée mon­tante, mais nous avions moins peur
De la mer déjà en train de fendre le cor­don de sable
Que de sa petitesse et son éloigne­ment de nous.

Nous avons cou­ru avec lour­deur, plom­bés par le sable blanc,
Et à tra­vers l’isthme avan­cions à pas feu­trés comme vers un oiseau
Sur le varech flac­cide qui éclatait puant sous le soleil
Vers elle age­nouil­lée devant de grandes chaires granitiques.

Elle cher­chait avec douceur des coquil­lages. Quand elle se retour­na et nous vit
nous mon­trant sans un mot dans sa paume la fente de la porcelaine
La blanche pointe spi­ralée de l’escargot de mer
Et des coquilles plus petites que son ongle le plus petit alors

Nos regards lancèrent sur elle notre ter­reur de la perdre
Et notre amour impérieux. Entre nos grandes ombres
Elle mar­cha par le sen­tier sin­ueux jusqu’à la plage sûre
Déjà cou­verte aux chevilles par les eaux tièdes de surface.

Alors l’algue s’offrit avec recon­nais­sance dans l’eau ensoleillée
Tournoya à son gré, s’étira et les tré­sors de coquillages
Lui­saient, étince­laient devant les trônes sans elle
Qui restait entre nous, qui obser­vait, qui attendait la marée descendante.

 

4. The Drowned

Flat calm. The ships have gone.
By moon­light and by day­light one by one
Into a dif­fer­ent world the drowned men rise
But can­not claw the sleep out of their eyes.
None such can know the big­ger light from the less
Nor taste even the salt. Their heaviness
By no means may be leav­ened. Now they live
As tim­bers do where ship­worms thrive
Only in what they feed. Strange things engross
The lit­tle gal­leries of thought after the loss
Of breath. The white clouds pass, but still
The drowned increase upon the sens­es till
The moon deliv­ers them. On islands then
See­ing the love­ly day­light watch­ful men
Come down and haul these bur­dens from the waves
And slow­ly cart them home and dig them graves.

 

4.  Les Noyés

Calme plat. Les navires sont repartis.
Au clair de lune ou au plein jour l’un après l’autre
Dans un monde dif­férent les noyés se relèvent
Mais ne peu­vent chas­s­er le som­meil de leurs yeux.
Aucun ne peut dis­tinguer ni le grand ni le petit luminaire
Ni goûter même le sel. Leur lourdeur
Nul moyen ne sait l’alléger. Main­tenant ils vivent
Comme les mem­bres ver­moulus d’un bateau
Seule­ment dans ce qu’ils nour­ris­sent. D’étranges choses engrossent
Les petites galeries de la pen­sée après la cessation
Du souf­fle. Passent les nuages blancs, mais les noyés
Acca­blent encore les sens jusqu’à ce que
La lune les délivre. Alors sur les îles
Voy­ant le bel éclat du jour des hommes vigilants
Descen­dent et traî­nent ces fardeaux hors des vagues
Et lente­ment les char­gent vers leur mai­son et creusent leurs tombes.

 

5.

The trees here, though the wind leave off, nev­er unbend.
Like­wise when he sat the stick retained
The shape of the six­ty years he had limped and leaned.
He would haul from under the bed with the crook-end

His bun­dle of pho­tographs and the sol­dier’s pay-book,
The usu­al ser­vice medals and a card or two in silk.
The mar­riage bed was draped to the floor like a catafalque
And he hauled the War from under it. And when he spoke

Of the craters at Ypres he used the pool on Pool Green
As mea­sure, and the island’s entan­gle­ment of bram­bles when
He spoke of the wire. He rose, drink­ing gin,
Mas­sive, straighter than his stick, and boys were shown

At the hoist­ing of his trouser up the sun­less calf
A place that shrank like Lazarus from being raised,
A flesh the iron seemed only late­ly to have bruised.
And if one, being bid­den and not in disbelief,

Put in the hand to prove him right who bet
That he was past hurt there–probing appalled
In that still weep­ing place the fin­gers rolled
Won­der­ing between them an angle of iron grit.

For year by year his flesh, till he was dead,
Evict­ed its shrap­nel, as the liv­ing ground
Puts out for the Par­son or the School­mas­ter to find,
Scour­ing at leisure, anoth­er arrow head.

 

5.

Les arbres ici, même si le vent se calme, ne se redressent jamais.
Pareil pour lui quand il s’asseyait : la canne gardait
La forme de soix­ante ans de boi­terie et de soutien.
Il tirait de sous le lit avec la crosse

Un tas de pho­tos et le car­net de ses payes de soldat,
Les médailles habituelles du ser­vice et une ou deux cartes en soie.
Le lit con­ju­gal était drapé jusqu’au sol comme un catafalque
Et il tirait la Guerre d’en dessous. Et quand il parlait

Des cratères à Ypres il les com­para­it à l’étang
Sur Pool Green, et se référait aux fouil­lis de ronces sur l’île
Quand il par­lait des bar­belés. Il se rel­e­vait, buvant son gin,
Mas­sif, plus raide que sa canne, et il mon­trait aux garçons

En retrous­sant son pan­talon sur son mol­let privé de soleil
Un rétré­cisse­ment, comme un Lazare relevé du tombeau
Une chair que le fer sem­blait avoir tumé­fiée depuis peu.
Et si quelqu’un, étant prié mais ne man­quant de foi,

Met­tait la main pour prou­ver juste à qui avait parié
Que là il ne sen­tait plus rien – en tâtant ahuris
Cet endroit encore sup­pu­rant les doigts interrogatifs
Roulaient entre eux une minus­cule pointe de fer.

Année après année sa chair jusqu’à sa mort
Reje­ta son shrap­nel, comme la terre vivante
Fait sor­tir pour le pas­teur ou le maître d’école
Fouil­lant à loisir, une autre tête de flèche.

 

6. Spring Tide

The sum­mer moon was ter­ri­ble. It beamed
Like Christ on Lazarus. Nobody now,
In day­light, can dis­tin­guish what he dreamed
And what he saw, in night-clothes at the window.

It was like All Souls when every­thing lost
And the smoth­ered dead strug­gle to rise. Around
Mid­night the moon hauled hand over fist
And sheet by sheet the waters were unwound.

But noth­ing was recov­ered. Still the sand,
That we saw white and phos­pho­res­cent, levels
The slopes and pleas­ant laps of land
And stops the door­ways and the fires and wells.

The curlews cried like springs start­ing to run.
Then sleep began to fill us and we felt
A weep­ing rise and flow. Now in the sun
The sea is brim­ful and our cheeks are wet and salt.

 

 

6.  Marée de printemps

La lune d’été fut ter­ri­ble. Elle irradiait
Comme Christ sur Lazare. Per­son­ne maintenant,
Dans la lumière du jour, ne peut devin­er ce qu’il rêva
Et ce qu’il vit, en pyja­ma à sa fenêtre.

C’était comme Tou­s­saint lorsque tout ce qui a disparu 
Ain­si que les morts ensevelis lut­tent pour se lever. Vers
Minu­it la lune tira ses filets main par dessus poing
Et linceul par linceul les eaux se défirent.

Mais rien ne fut recou­vré. Tou­jours le sable,
Qu’on voy­ait blanc et phos­pho­res­cent, nivelle
Les pentes et ten­dres cuiss­es de la terre
Et bouche les portes les chem­inées les puits.

Les courlis cri­aient comme sources jaillissantes.
Alors le som­meil com­mença à nous emplir et nous sentions
Mon­ter des larmes en nous. Main­tenant sous le soleil
La mer est tout à fait haute et nos joues humides sont salées.

 

7.

Sheer nowhere: the land
Ends, the rocks pile dumb­ly where they fell,
And hold for any life near­er to ours than lichen
There is none; the useful
Wood of wrecks whitens beyond our reach.

Rain pass­es, rain on the sea, and sweetens
With all its copi­ous fall
By not one mea­sur­able jot the expanse of salt.
Cling­ing to islands we
Camp­ing with our dead around a sunken plain

Such as we are, late on,
Want above all things pas­sage to one another,
Aid and the shar­ing of wells
And not to swell our bit­ter­ness beyond
The nor­mal allo­ca­tion of tears.

 

Suite of poems tak­en from
Watch­ing for Dol­phins by David Constantine,
Blood­axe Books Ltd, New­cas­tle upon Tyne, 1983.

 

7.

 

Ver­tig­ineux nulle part : la terre
Finit, les rochers s’amassent muets où ils tombèrent,
Et de prise pour autre vie telle la nôtre plus proche que lichens
Il n’y a pas ; l’utile
Bois des naufrages blan­chit hors de notre portée.

La pluie arrive, pluie sur la mer, et ne radoucit
D’une ondée copieuse
Même pas un grain de l’étendue salée.
Nous cram­pon­nant aux îles
Cam­pant avec nos morts autour d’une plaine submergée

Tels que nous sommes, avancés dans nos vies,
Nous désirons avant tout pass­er de l’un à l’autre,
Nous entraider, partager les puits
Et que notre amer­tume ne débor­de pas
La mesure nor­male des larmes.

 

Tra­duc­tion de Delia Mor­ris et André Ughetto
 

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