(ART POETIQUE)

Si d’aventure tu fai­sais le por­trait d’un bouleau
Regarde d’abord le ciel assure-toi de sa candeur
S’il est gris s’il est fade
Sors ton pinceau
Mais s’il est bleu méditerranée
Abstiens-toi : tu risques de le défigurer
Ce matin le soleil brille par son absence
Alors hop ! glisse-le de gauche à droite
Puis de droite à gauche
Ne laisse sub­sis­ter sur la toile ni trace ni trait ni bruit
Efface jusqu’au chant du rossig­nol séducteur
Le bouleau n’en a que faire
Car le ciel et l’hiver ont la même essence
Laisse-la infuser en toi
Te voilà accordé. À présent sors la craie
La vieille craie gris-bleu riche de reflets
Pour des yeux à même de boire son lait
Étale-le de haut en bas en bifurquant
Vers ses branch­es de poudre et d’or.
Te voilà enrichi d’un étang d’un ciel d’un miroir
Qui reflète ton âme assagie par l’air insolé
Écrase ici et là un vert anglais un vert nuit plus qu’olive
Si tu n’y parviens pas, écrase la nuit elle-même sur le vert
La voilà enfin nim­bée d’une présence douteuse
Qui chante avec le gris un chant d’après glacia¬tion
Véri­fie qu’elle n’est ni atmo­sphérique ni soporifique
Et qu’elle s’étale comme l’air vis­i­ble invisible
Comme lui, sois patient : tu n’es plus très loin du terme
Mais avant de le laiss­er à son soin de soie et d’estime
Con­sid­ère-le de long en large et de haut en bas
Si le ciel chante et si le bouleau glisse sur le bouleau
Tu sauras alors que tu viens de pein­dre le Ville‑d’Avray son étang ses villas
Et Camille Corot t’en sera reconnaissant
 

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