ça peut pas faire de mal la poésie
Baude­laire, Apol­li­naire, Aragon, Éluard

lus et com­men­tés par Guil­laume Gallienne

 

Mal­gré le titre, je ne mégot­terai pas quand tant de bonnes volon­tés, à com­mencer par la radio publique, s’unissent pour faire sor­tir la poésie de sa con­frérie et de ses réseaux. Loin de don­ner à lire des nou­veautés, ce livre beau et con­fort­able a le mérite de s’adresser à qui n’associerait les poètes qu’à de mau­vais sou­venirs sco­laires. Faire lire et écouter « Les petites vieilles » de Baude­laire aujourd’hui c’est aus­si mon­tr­er que l’injustice et la soli­tude qui achèvent de désen­chanter la moder­nité peu­vent s’exprimer autrement qu’au moyen du faux réal­isme des dis­cours et des images d’actualité, par la rigueur intime­ment libre du vers.

Dans sa pré­face, André Vel­ter par­le de la « mis­sion de la poésie » : … dire avec des mots et avec la musique des mots ce qui appar­tient au mys­tère, à l’imprévu, à l’inconnu, à ce qui n’a pas encore été for­mulé. Cela paraît si évi­dent quand c’est ain­si énon­cé. L’ayant inti­t­ulé « les grandes ondes » par référence à l’émission dont le livre est tiré, il insiste sur les « lieux » de la poésie, sur l’attachement de cette parole aux lieux où elle se crée, se trans­met et se trans­forme : des salles aux préaux jusqu’à la radiod­if­fu­sion et le CD.

De larges cita­tions de Sem­prun, Bre­ton — et même une de Bataille qui répare le titre au accents pub­lic­i­taires : Si la lit­téra­ture s’éloigne du mal, elle devient vite ennuyeuse — jalon­nent l’ouvrage, don­nant une accroche sim­ple et vivante aux qua­tre piliers de la moder­nité. Pour chaque poème le com­men­taire du comé­di­en est factuel et laisse à l’œuvre toute lat­i­tude pour s’épanouir dans un esprit dis­crète­ment pré­paré. Guil­laume Gal­li­enne se con­tente d’informations de base. Bel exer­ci­ce d’humilité au ser­vice de. Pour le château des pau­vres, d’Éluard, voici ce qu’il écrit :

 

(…) l’ultime hom­mage que rend Élu­ard à sa dernière com­pagne, une déc­la­ra­tion d’amour qui est aus­si un chant d’espérance. (…) Rap­pelons-nous la promesse faite par André Bre­ton et Paul Élu­ard en 1930 dans l’Immac­ulée con­cep­tion. Le poète promet­tait à sa muse, « cent mille châteaux aux riv­ières d’émeraude ». À la fin de sa vie, Elu­ard évoque au con­traire un mys­térieux château des pau­vres d’où les pris­on­niers s’échappent pour vivre leur amour en liberté.

 

Rap­pelons que pour beau­coup de lecteurs néo­phytes le décourage­ment vient d’une absence de mise en sit­u­a­tion (ce que Fumaroli appelait les clefs, hon­nies par tous, mais en cachette fort prisées).

Quant à la voix, elle est sans affé­terie. Un CD n’est pas une salle de spec­ta­cle, ni même une classe de col­lège. C’est dit plus que déclamé, presque à l’oreille mais jamais chu­choté. Adap­té il me sem­ble à des écou­teurs plus qu’à des enceintes, la dic­tion ami­cale de Guil­laume Gal­li­enne repose sur la maîtrise des émo­tions, sans envolées ni accéléra­tions. Un jeune audi­teur y trou­vera en out­re un anti­dote au bafouil­lage organ­isé de la plu­part des films français.

 

**

 

Le tour du monde en poésie
antholo­gie et dossier par Mar­i­anne et Stéphane Chomienne

avec une lec­ture d’image de Pierre-Olivi­er Douphis

 

Ouverte­ment des­tiné à un usage péd­a­gogique, ce Tour du monde est un excel­lent recueil thé­ma­tique. Par son classe­ment d’abord : Départs, à pied à cheval, escales. Par son choix ensuite. Si l’on a droit comme dans le précé­dent livre à l’Invi­ta­tion de Baude­laire, c’est pour s’acheminer vers des voix con­tem­po­raines, comme Bernard Cham­baz, Fran­cis Dan­nemark ou Jacques Roubaud. Ou des voix un peu oubliées comme Vic­tor Serge : Quels yeux ten­dus vers l’Asie regar­dent là-bas l’Océan, / tristes comme mes yeux de son­der ce tan­gi­ble néant du com­mence­ment et de la fin des con­ti­nents / par le silence de l’autre vis­age humain ?

Beau voy­age entre des œuvres-ter­ri­toires qui évite l’écueil chronologique et offre une approche géopoé­tique : Rim­baud, Du Bel­lay, Duhault, Lenau, Limbour 

 

Et le wag­on / tout entier sent l’oignon entamé, le tabac / refroi­di et les con­ver­sa­tions inachevées / cepen­dant que nul ne voit, dans le jour / débu­tant, le relief lente­ment changer (…) 

 

Que ces accents grac­quiens et cet art du rejet fassent, entre autres, décou­vrir l’œuvre de Gilles Ortlieb à de nou­veaux lecteurs, et leur prou­vent que le roman ou l’image ani­mée ne sont pas les seuls à savoir par­ler du réel !

 

image_pdfimage_print