Apprivois­er la douleur : c’est ce à quoi nous sommes con­damnés quand dis­paraît un être cher. Corinne Le Lep­vri­er n’écrit pas des poèmes mais quelque chose qui ressem­ble à un jour­nal où se mêlent l’ag­o­nie et la mort du père, la mort comme  ses alen­tours et la vie qui reste, les sou­venirs, le passé et le présent, le paysage, les oiseaux… La langue se fait volon­tiers prosaïque, voire tech­nique pour mieux décrire le vécu : “C’é­tait asthénie hypoxémie agueusie anos­mie amnésie stéréo­typ­ie aphasie…” Ailleurs, elle est heurtée, on a une curieuse impres­sion d’el­lipse due à la jux­ta­po­si­tion de bribes de phras­es sans leur lien syn­tax­ique atten­du… Comme pour mieux capter les sen­ti­ments et les sou­venirs qui s’en­tre­choquent. Et tout au long du livre, les faits objec­tifs du présent se mêlent à ceux du passé qui ont pris forme de sou­venirs. Vien­nent s’y ajouter les réflex­ions sur la langue et sur l’écri­t­ure, ça fait un va et vient inces­sant entre la douleur et la périphérie loin­taine de la vie de Corinne Le Lep­vri­er. L’aide que cette dernière trou­ve pour sup­port­er (?) cette dis­pari­tion et la douleur qui en est la con­séquence vient de l’en­fant, Néo, qui décou­vre le monde (et sans doute la mort et la douleur des “grands”) et qui inter­roge sa mère, par­fois naïve­ment : “Pourquoi on dirait pas telle mère tel fils ?” et des oiseaux qui sont une référence absolue. De ces réal­ités, qui sont sources d’émer­veille­ment, va naître le sen­ti­ment de la beauté de la vie, sen­ti­ment qui est d’abord refusé alors que Corinne Le Lep­vri­er est par­faite­ment con­sciente de ce qui la pousse à écrire, cette néces­sité qu’elle finit par nom­mer : “Écrire ce recueil ; te recueil­lir, me recueil­lir”. Même si elle ne cesse de s’in­ter­roger : “Pourquoi la vie est si belle ?” Jusqu’à l’ac­cep­ta­tion finale de cette beauté qui est aus­si celle du monde (en dépit de ses laideurs), accep­ta­tion qui est l’oc­ca­sion de pos­er de nou­velles ques­tions comme : “Écrirai-je un jour pourquoi la vie est si belle sans recours à Néo et aux oiseaux ?” Ce long mono­logue n’est finale­ment que l’oc­ca­sion de dire la beauté de la vie, mal­gré tout.

    La mort du père (ou de la mère) est le moment soigneuse­ment enfoui où l’on rede­vient un enfant, où l’on se rend compte qu’on n’a jamais cessé d’être un enfant, qui a certes gran­di…. Mais pour quoi ? sinon pour se con­fron­ter à son tour à la mort.

image_pdfimage_print