(2010)

 

 

 

Du reste : ne s’agirait-il pas, dans l’acte d’écriture,
D’une forme par­ti­c­ulière de fer­veur, de religion ?

 

 

Oui, le délire d’amour est capa­ble d’attenter à la poésie
Oui, l’ardente extase est folie qui attente à l’œuvre
A l’exquise et lente mat­u­ra­tion du poème

Sais-tu qu’une heure auprès des Morts
Vaut plus qu’une sai­son de labeur
Par les artères de Baby­lone et que
S’armer d’un vers est aus­si vital
Que d’être aimé par les soupirs et les corps des femmes
Les plus diverses
Les plus sensibles
A ton silence

 

 

 

GLOSSAIRE, MOSAÏQUE

 

A. Cossery

 

Du reste tu n’es pas mort

En cet état cata­tonique momie figée à l’heure des avant-gardes depuis longtemps cré­pus­cu­laire tu souti­rais le rire aux lèvres rebelles et com­po­sais une rixe ver­bale à la mesure de ta propen­tion à la satire : un rire à gorge déployé fait éclore les lèvres rouge-sang des jeunes filles des jeunes garçons du Caire qui inno­cents cop­u­lent par les abysses de la Ville des morts et blas­phè­ment con­tre tout ce qui n’est pas aus­si pur que leurs peaux con­tre tout ce qui n’est pas l’exact reflet de leurs ardeurs cop­u­la­tri­ces de leurs regards incen­di­aires, mélancoliques

Du reste tu n’es pas mort

 

E. Bilal.

 

Fis­sure est ton nom
A cela – rien d’équivoque

 

Nous por­tions un nom autre – serais-ce que nous fumes aimé ?
Tes fig­ures hiéra­tiques furent autan de mis­es en abime de ce pre­mier espace pre­mier lan­gage pre­mière appro­pri­a­tion où tu dessi­nais, enfant, sur le sol d’une citadelle de pierre
Qui s’élançait au-dessus des eaux

L’être est scindé entre ici et là-bas entre passé et présent entre enfance et maturité
Là-bas féconde ton œuvre présente
Là-bas brisure
L’écarlate éclat d’une unique fissure
Qui seule à présent nous est commune
Comme éclate la pierre depuis le cœur
A présent tout perce d’une fissure

 

 

E. Cio­ran

 

Mansarde dont luit la lumière
Le blaf­fard écho de connaissance
Appose ta signature
Aux cor­roles éclosent de mon nom
Pour cette autre mélancolie

 

Et l’œuvre disait :
Seule compte la maturité

 

 

W. George

 

Ce siè­cle parisien sans toi et ton adresse sont-ils seule­ment pensable ?
Alors qu’un jeune homme – peut-être est il poète
Mord à pleine dent sous le soleil de midi son sand­wich tunisien
Avant de repar­tir en pèleri­nage chez les libraires humer
Le vent du large des hautes con­trées littéraires
Tu sautille tel un bouc
Par les allées du parc pour­suiv­ant ce dia­logue inachevé avec Ferlinghetti

 

 

J. R. R.

 

 

Poètes majeurs, je me repet de vos cervelles
Lorsque je dis majeurs c’est au sens où l’Unique l’entend
Serais-tu ce poète à l’unique pièce de l’Anthologie
Tu te sublimas
Pour moi, tu es de tout autre l’égal
Pour moi
Mon dou­ble d’outre-mer
Mon être nécessaire
Mon pain, mon vin
Fruit d’un âpre d’un divin amour
D’un délir spirituel
Qui per­met de vivre, qui ma soif apaise et apaise ma faim
Poètes majeurs, je me repet de vos cervelles
Et épelle vos noms
En liturgique oraison
En office des morts
Jour après jour, nuit après nuit
Depuis cette fenêtre d’où mes jours s’égrainnent
Entre deux bouf­fées de cigarettes
Place (…).

 

 

 

 

K. Milan

En marge de l’Immor­tal­ité

 

L’étrangéité de mon appartenance
Est un réconfort

 

 

M.Tsernianski.

 

L’extase poé­tique serait l’unique vérité. Un mon­sieur au vis­age grave, fatigué pour­rait en témoign­er qui, chaque matin, dès l’aube, vogue d’une porte à l’autre de Hyde Park et mène sa danse de Not­ting Hill à Hyde Park’s Cor­ner, de Queensway au Albert Memo­r­i­al tel un navire aux voiles déchirées, en com­pag­nie du prince Riép­nine, de Pavel Issakovitch, las d’amertume, tran­sis, transfiguré.

Son Lamen­to paraît à Paris.

 

P. C.

 

 

Par­mi tant de langues étrangères
Les unes aux autres
Par­mi autant d’hymnes con­tra­dic­toires
Avoir trou­vé son rythme
Avoir pesé et posé son sujet
Per­cé son secret
Pétri la rime de clarté
Filé d’un ver­set le linceul

D’un saut dans la Seine

 

 

S. B.

 

L’attente fut longue sage tu l’écourtas :
Ayant fait bâtir cette mai­son loin des ten­tac­ules urbaines tu soufflais
Fasse ô Godot que moi aus­si je trou­ve un havre de bièvre de marne de que sais-je
Où je puisse enfin et à jamais m’étendre au cré­pus­cule au silence au tertre

 

Beck­ett
Ô Beck­ett ai pitié du jeune homme qui par coeur t’apprenait
Et jouait tes ombres amères par les provinces d’Europe
Afin d’aspirer quelques bouf­fées d’air salutaire
Sage Irlandais artiste exact du verbe
Ô Beck­ett ai pitié de ma longue misère

 

 

G. Klein

 

Prospecteur aux superbes con­nais­sances qui est arrimé aux champs du vide, par­fait et sub­tile louangeur dont chaque essai spécu­latif est comme un para­pet qui le pro­tège de l’immensité, du vide, de la chute

 

 

C. Moliterni

 

Un fla­neur espag­nol le dénonça – il trou­va jetée à même le sol
Une entière bibliothèque
Des étagère de col­lec­tions uniques
De fanzines, de revues, de catalogues
Jetée depuis la fenêtre de son appartement
Par quelque impa­tient héritier
Une bib­lio­thèque entière battue par les pluies
Une immense col­lec­tion engrais­sée d’urine de matières fécales
Pho­tographiée par un pas­sant en terre étrangère
Exposée sur la Toile
Telle une œuvre de maître
Con­cassée (à la manière de César)
Pour une poésie des regrets

 

Y. Ilitch

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