Com­ment se recon­naitre à tra­vers les élé­ments d’une biogra­phie ? Peut-on deman­der au poète s’il a des recettes à révéler, des secrets à dévoiler ?

Il aimerait peut-être laiss­er dans une zone d’ombre cette part anec­do­tique ou cri­tique de lui-même. Elle n’est pas l’essentiel. Mais qu’est l’ « essen­tiel » ? En posant cette ques­tion le poète s’aperçoit qu’elle entraine d’autres ques­tions qui recu­lent sans cesse la déf­i­ni­tion exacte. Il sait que son domaine n’est pas celui du dis­cours rationnel. Pourquoi emprun­terait-il aux cri­tiques ou aux philosophes leur lan­gage ? Il n’aura pas assez d’une vie pour se créer un lan­gage, dés­espérant de lui don­ner cette per­fec­tion dont il rêve, et il ten­terait d’en chercher un autre ! Aus­si, ne pour­ra-t-il que dire : voici mes œuvres, c’est en elles seules que peut se trou­ver une réponse.

Quelques notes cepen­dant peu­vent essay­er d’éclairer le prob­lème. Veille, som­meil,  importe, les images afflu­ent, mais ne con­stituent pas encore une « écri­t­ure ». Celle-ci n’existera qu’après une plus nette émer­gence, née d’une décan­ta­tion. Ces images s’insèrent dans un rythme qui nait avec elles. Les refuser serait mentir

Les mots vien­nent et leur cours les assem­ble. Il ne faut jamais oubli­er que les mots ont sou­vent moins d’échos pour ceux qui les lisent ou les écoutent que pour celui qui les écrit. Ce dernier doit tou­jours y penser et se méfi­er, en par­ti­c­uli­er, de ce que le sens com­mun qual­i­fie de « poé­tique ». rien de plus hor­rip­i­lant que ce qual­i­fi­catif, qui parait enfer­mer le poème dans un domaine réservé. Réservé à quoi ? En général, à sa néga­tion même. La poésie doit désacralis­er le lan­gage et rester vraie, tou­jours plus près pos­si­ble des êtres et des choses.

En résumé : le poème n’a pas de des­ti­na­tion préétablie. Il est, dans le monde, un objet par­mi les autres objets. Avec une dif­férence, essen­tielle : cet objet, par­fois, irradie sa lumière sur les autres et surtout sur lui-même. Il se dénude en s’éclairant. Du moins telle est l’ambition de celui qui le crée.

Paul Pug­naud, texte pré­paré pour l’émission de FR3 du 22 avril 1983

 

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Brouil­lon d’une let­tre à Hen­ri Frère, 25 novem­bre 1967

En réponse à une let­tre dans laque­lle celui-ci cri­tique les poèmes de P Pug­naud à la suite de l’envoi de « la nuit ouverte »

Extraits

Il est évi­dent que ce que tu me dis d’une cer­taine obscu­rité de ma poésie me sur­prend. Je ne nie pas, remar­que-le, qu’une telle impres­sion puisse s’en dégager pour cer­tains lecteurs mais vrai­ment cela m’étonne, naïve­ment sans doute !

En aucun cas je ne recherche cette obscu­rité ‑si obscu­rité il y a- pour elle-même. Il me sem­ble au con­traire ten­ter tou­jours de suiv­re la ré   alité au plus près dans ses man­i­fes­ta­tions les plus sim­ples, les plus évi­dentes, les plus « con­crètes ». Mais est-ce « un lan­gage claire­ment accordé » ? Peut-être pas car, en effet, comme tu le prévois je ne pense pas que la poésie doive être un lan­gage « logique­ment artic­ulé ». Il me sem­ble même que c’est un des élé­ments qui la dif­féren­cie de la prose. Tout certes est une ques­tion de mesure. A tes yeux je dois sou­vent dépass­er cette mesure. Que sais-je ?

Je serai mois ferme pour la ponc­tu­a­tion quoique à vrai dire il me sem­ble que l’absence de ponc­tu­a­tion doive par­ti­c­ulière­ment s’accorder avec cette con­cep­tion de la poésie. Si l’image et la musique (une musique qu’il s’agit-sans doute très pré­ten­tieuse­ment- de vouloir « per­son­nelle » non appuyée sur des « moules » de musique anci­ennes) pri­ment je ne vois pas bien le rôle que peu­vent jouer ici les points ou vir­gules nor­male­ment à leur place dans un dis­cours des­tiné à se « faire com­pren­dre » alors qu’ici il s’agit sim­ple­ment d’ « être ».

Un poème, à mes yeux, est un objet à pren­dre tel quel, un tout, qui n’explique rien, mais qui « touche » (ou du moins qui vise à cela).

Cette ques­tion de la ponc­tu­a­tion – non essen­tielle je te l’accorde — n’est donc pas aus­si gra­tu­ite qu’on pour­rait croire et le fait que depuis cinquante ans (depuis Apol­li­naire je pense) bien des poètes la sup­pri­ment n’est pas seule­ment une mode mais un trait entre autres, d’une expres­sion de la poésie.

Je dis bien une expres­sion. La poésie ne change pas mais son expres­sion oui qui est liée à chaque époque et c’est en cela seule­ment qu’elle peut avoir des racines. 

 

Recours au Poème remer­cie chaleureuse­ment Sylvie Pugnaud.

L’oeu­vre de Paul Pug­naud est disponible auprès des édi­tions Rougerie

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Poèmes inédits de Paul Pugnaud

 

 

(8 )                            

11 jan­vi­er 1985

 

L’objet enfer­mé en lui-même
Fini­ra par répondre
A la question
En roulant dans le feu
Une bûche éparpille
Des étin­celles qui ressemblent
A la pous­sière de la vie

(83)                          

 6 mai 1985

 

De ces vielles murailles
Les pier­res se détachent
Leur chute nous menace
Quand toutes les poussières
Se groupent en nuages
Un feu les habille et ses flammes
Trans­fig­urent le jour

 

(233)  

 

7 décem­bre 1985

 

Piqué par les éclaboussures
Le feu s’étale sur le sable
Il éclaire les mains
Qui se ten­dent vers un visage
Mar­qué par un autre désir

(31)       

20 févri­er 1986

 

Voir le jour
La paille ardente enflamme l’air
Ce feu cou­vre la mer
Où les vagues n’éclatent pas
Mais bercent l’insomnie soumise
Aux retombées de la lumière

 

 (115)      

18 sep­tem­bre 1986

 

La paresse de l’herbe
Accueillera la chute
Des pier­res descellées

La réu­nion des ombres
Groupera les regards
Qui étein­dront le feu

 

(134) 

9 octo­bre 1986

 

Le poids de la lumière
Est plus lourd que celui
Qui s’appuie sur ces flammes

Pris­on­nier du sommeil
Un écran s’interpose
Et per­met de calmer
La vio­lence du feu

 

(153)

29 octo­bre 86

 

Tra­ver­sons les brasiers
Où crépi­tent les flammes
Ils entourent aussi
Les corps qui se délivrent
Lorsque les mots perdus
Cal­ci­nent nos désirs

 

 

Ces poèmes sont pub­liés avec l’aimable autori­sa­tion de Sylvie Pugnaud.

 

 

 

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