Jadis je t’ai écrit de mau­vais poèmes
quand nous fai­sions du stop
depuis les majoliques mul­ti­col­ores de l’Alhambra
qui ont fait danser nos yeux
jusqu’aux ruelles de Fez
où les potiers tra­vail­laient dans l’argile jusqu’à la taille,
nous, por­tant tous deux nos sacs à dos sans bébé
à tra­vers le mas­sif de l’Atlas
éclairé par les étoiles
jusqu’à une con­stel­la­tion d’oasis au Sahara
où le soleil de juil­let était si fort
qu’il t’a souf­fleté le visage.
Nous avons atten­du vingt-deux heures
sur une route per­due en Algérie
sec­ouant nos têtes à la vue de la seule circulation :
un trou­peau de brebis.
Quand nous nous sommes quit­tés à Tunis
je me suis assis sur les march­es les plus proches
et j’ai pleuré dans les paumes de mes mains.

Et main­tenant, quar­ante ans plus tard,
est-il vrai­ment pos­si­ble qu’on se retrou­ve dans ton Paris ?
C’est comme si je te voy­ais dans une autre vie
où nous sommes morts et avons été réincarnés
en homme et femme entre deux âges —
toi, pro­fesseur d’anthropologie
avec un appart plein
de cof­fres en bois ciselés
pour trousseaux de mariées,
de coussins de brocart,
de fla­cons en céramique
vernissée avec des cerfs et des poissons —
et moi, le fier père ou beau-père
de qua­tre enfants.

Nous suiv­ons les méan­dres de la Seine tout l’après-midi,
le soleil semant des sequins
sur le fleuve.
Plus tard tu me donnes à manger
des con­fi­tures maison
que tu as conservées
en bocaux de verre épais,
abri­cots à la cardamome,
reines-claudes telle­ment délectables
qu’elles n’avaient presque pas besoin de sucre.

Est-ce qu’il reste encore quelque chose de nous
après quar­ante ans
quand les cel­lules mêmes de nos corps
ont été rem­placées cinq fois,
quand l’imposante jus­tice envis­agée par notre génération
s’est fracturée
en quartiers de compromis
et quand sur nos vis­ages se voit l’usure
de qua­tre décennies
d’amis et de famille
qui sont par­tis ou n’y sont pas parvenus ?
Qu’est-ce qui reste, sinon tes yeux
sem­blables au ciel de Paris en septembre
et ta manière de rire d’un moment
juste parce qu’il est ce qu’il est.

traduit par Renée Morel et par l’auteur
 

 

Reunion in Paris 

 

Once I wrote you bad poems
while we hitchhiked
from the mul­ti­col­ored tiles of the Alhambra
that made our eyes dance
to alleys in Fez
where pot­ters worked waist-deep in clay,
the two of us car­ry­ing our baby-less backpacks
across star­lit Atlas mountains
to a ring of oases in the Sahara
where the July sun was so strong
it slapped you in the face.
We wait­ed twen­ty-two hours
on a back road in Algeria,
shak­ing our heads at the only traffic—
a herd of sheep.
When we part­ed in Tunis
I sat down on the near­est steps
and wept into my palms.

Now, forty years later,
could we real­ly be meet­ing in your Paris?
It’s like see­ing you in anoth­er life
where we’ve died and been reincarnated
as a mid­dle-aged man and woman—

 

you, a pro­fes­sor of anthropology,
with an apart­ment full
of wood­en trunks carved
for bridal trousseaus,
bro­cad­ed pillows,
and ceram­ic flasks glazed
with deer and fish;
and me, proud father or step-
to four children.

We fol­low the bends in the Seine all afternoon
with the sun sprin­kling sequins
on the river.
Lat­er you feed me
con­fi­tures de maison
you’ve pre­served in thick glass jars,
apri­cots with cardamom,
green Reine Claude plums so sweet
they hard­ly need­ed sugar.

Is any part of us still left
after forty years
when the very cells of our body
have been replaced five times over,
when the tow­er­ing jus­tice our gen­er­a­tion envisioned
has fractured
into neigh­bor­hoods of compromise,
and our faces show the wear
of four decades

of friends and family
who’ve gone or didn’t make it?
What’s left, if not your eyes
like Sep­tem­ber Paris skies
and your way of laugh­ing at a moment
just because it is what it is.

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